La Vie : le début du commencement

Pour les membres de l’équipe du Pr Abderrazak El Albani, tout commence en 2008 quand ils ramènent deux cents fossiles d’une carrière gabonaise. Certains des organismes multicellulaires conservés dans la roche qu’ils ont découverts seraient âgés de 2,1 milliards d’années. Une étrange anomalie puisque, depuis les années 1950, la communauté scientifique fixe à 600 millions d’années seulement l’apparition des organismes complexes. Cette différence de taille, de 1,5 milliard d’années, ne fait pas consensus : « La bagarre n’est toujours pas finie, rappelle le minéralogiste Alain Meunier (Université de Poitiers-CNRS), qui travaille avec le professeur El Albani. Les plus influents des spécialistes de la vie ancienne, poursuit-il, s’opposent à cette conception parce qu’elle change trop les schémas sur lesquels ils ont construit leurs propres dogmes. Ce n’est pas facile de faire changer les dogmes, même en sciences. » Étape fondamentale dans le développement de la vie, le passage des organismes simples, unicellulaires, aux organismes complexes, multicellulaires, est encore mal connu. Poursuivant ses recherches, le Pr El Albani parcourt le globe dans l’espoir de trouver d’autres spécimens qui pourraient témoigner d’une première tentative avortée d’évolution du vivant vers la complexification.

Une école de patience

En mission au bord de la mer Noire, dans une région d’Ukraine réputée pour abriter des fossiles datant de l’édiacarien — la dernière époque du précambrien, qui démarre il y a 4,5 milliards d’années avec la formation de la Terre et s’achève il y a 500 millions d’années —, Abder El Albani s’attarde sur des plaques entières couvertes de fossiles en forme de disque. « Le précambrien est une période énigmatique, précise le géologue, mais en même temps très excitante […] Dans certains cas, on a des ressemblances vraiment troublantes avec des formes que l’on trouve notamment au Gabon. La vie est coriace finalement, parce que depuis deux milliards d’années elle essaie de se mettre en place ! » De retour dans leur labo universitaire, les chercheurs soumettent les spécimens ukrainiens aux rayons X d’un tomographe, sorte de scanner qui permet de révéler, modélisée en 3D, la structure interne des organismes fossilisés. Il s’agit de vérifier s’ils ont affaire à des amas de bactéries monocellulaires ou à des organismes multicellulaires uniques. Reparti en mission au Gabon, le Pr El Albani retrouve la carrière de Franceville, berceau de sa révolutionnaire découverte de 2008. Mine d’information pour les chercheurs, ce site a la particularité rare d’être resté géologiquement intact depuis près de 2 milliards d’années. Accompagné par une équipe pluridisciplinaire composée entre autres d’un physicien et d’un océanographe, il y poursuit sa quête de nouvelles pièces prometteuses. Soigneusement sélectionnées et empaquetées, un peu plus de cinq cents kilos de pierres sont rapatriées jusqu’à son labo poitevin. Le chercheur et ses étudiants vont devoir s’armer de patience pour que, un à un, les nouveaux fossiles gabonais livrent la nature chimique des traces organiques piégées, il y a bien longtemps, dans la roche...

Christine Guillemeau