Le portrait-roman de Jean Ferrat par Philippe Kohly, une voix d’or, un grand mélodiste, qui a chanté le merveilleux de vivre et, dénonçant l’injustice, a porté l’espoir de tout un peuple.
Mais connaît-on bien le chanteur ? Jean Ferrat était secret, taiseux. Son éternel demi-sourire a masqué 3 grandes tragédies. Celle de l’enfant dont le père fut déporté. Celle de l’homme qui vécut l’autodestruction de sa femme. Celle du militant qui vit l’effondrement de toutes ses espérances.
Amoureux de la vie malgré tout : tel est son message, plus fraternel que jamais.
Jean Ferrat ne se livre pas, ne se lâche pas. Tant de défenses supposent une fragilité, des blessures, des émotions violentes.
Ce sont elles qu’il faut rechercher à travers son répertoire en allant de chanson en chanson, de « Ma Môme » à « Nuit et Brouillard », de « C’est beau la vie » à » La Montagne », de « Camarade » à « Potemkine », sans oublier « A Santiago », « Que serais-je sans toi », « Ma France », « Aimer à perdre la raison », « On ne voit pas le temps passer »…
Un portrait-musical, riche en chansons et en images d’archives.
Faire un vrai portrait de Jean Ferrat est une gageure. Sur scène le chanteur ne se lâchait pas. Dans la vie, l’homme était secret, taiseux. Jean Ferrat le souriant est une citadelle hérissée de défenses. Partir à la recherche d’un personnage qu’on ne connaît pas : tel est notre propos.
La première intention est contribuer à une transmission : gratifié d’une voix d’or, « céleste », Jean Ferrat n’est pas seulement un chanteur des années 60 et 70. Sa place est quelque part à côté de Brel et de Brassens, celle d’un vrai poète. Grand mélodiste, il a composé les musiques de ses 200 chansons dont une bonne vingtaine résistent au temps. Le portrait les met en scène en les intégrant dans sa vie.
Chemin faisant, il répond à des questions : Comment le futur ingénieur chimiste est-il devenu chanteur ? Pourquoi a-t-il arrêté la scène à 42 ans ? Aimait-il chanter sur scène ? A-t-il mené sa carrière avec un seul poumon ? etc.
La deuxième idée est de dégager « l’équation Jean Ferrat », son style propre, sa signature particulière : l’alliance des contraires.
Les contraires ont gouverné son histoire. Depuis sa naissance (d’une mère auvergnate et d’un père Juif russe), à son mariage (avec Christine Sèvres, chanteuse au tempérament de feu ) jusqu’aux deux époques de sa vie (chanteur vedette sur les routes, Ardéchois en espadrilles pendant 40 ans).
Ce mariage des contraires gouverne sa création. Celui qui chante «Je ne suis qu’un cri » n’est jamais violent. Il reste toujours mélodieux, harmonieux. Jean Ferrat est le chanteur du cri harmonieux. Même quand il dénonce l’horreur, même dans Nuit et Brouillard, Jean Ferrat enchante.
Le troisième mouvement est de comprendre, de rechercher les clés. Ce style particulier de Jean Ferrat - enchanteur et indigné - est le fruit de son enfance. Il est issu du tragique.
A 11 ans, en 1941, le ciel dans lequel il vivait lui est tombé sur la tête : le garçon a découvert qu’il était juif. Il a vu son père disparaître pour être déporté et mourir à Auschwitz. Il ne s’en est jamais remis. Pour survivre, il s’est révolté, il a dénoncé l’injustice et en même temps il a voulu restaurer le ciel fracassé de son enfance. Chanteur de la révolte et du merveilleux de vivre, Jean Ferrat, derrière son demi-sourire, a mené une longue résilience.
Un sourire qui dût masquer deux autres grandes tragédies :
L’homme a connu l’autodestruction de sa femme, Christine Sèvres, qui mourut à 50 ans.
Le militant enfin, celui de l’idéal communiste, a vu s’effondrer toutes ses espérances dans les années 80. Jean Ferrat avait l’utopie chevillée au corps. Il était le poète des lendemains qui chantent. Il portait l’espoir de ceux qui souffrent. C’est le sens de sa vie qui s’est brisé quand advint le règne de l’argent.
Ne renonçant jamais à l’idéal, révolté et exaltant le merveilleux de vivre, Jean Ferrat est plus fraternel, et peut-être plus nécessaire que jamais.
Philippe KOHLY