Interview croisée de Lucie Carrasco et Jérémy Michalak

Après plus de 70 000 kilomètres parcourus, des États Unis jusqu’au Japon en passant par le Brésil, Lucie revient pour un nouveau périple… à Québec ! Toujours accompagnée par son acolyte Jérémy Michalak, le documentaire nous montre la vie avec un lourd handicap, sans langue de bois… 

 

C’est votre quatrième voyage ensemble, États-Unis, Japon, Brésil… Attendiez-vous particulièrement celui-ci ? 

Lucie : Particulièrement ! Le COVID nous a retenus deux ans, nous empêchant de voyager. L’attente qu’a entraînée la pandémie renforçait la hâte que l’on avait à vouloir repartir. Ce voyage est aussi différent car on rentre davantage dans mon intimité. L’aventure prend donc une dimension un peu particulière.  

Jérémy : Bien sûr, le voyage a été bien différent des précédents. Initialement, on devait partir en Thaïlande. Trois ans après, on a changé nos plans pour des questions météorologiques et on a choisi d’aller s’aventurer au Québec ! Concrètement, ce qui a rendu ce voyage si particulier, c’est qu’avant de repartir en cavale, il y avait deux inconnues.
Premièrement, va-t-on pouvoir voyager de nouveau ? La deuxième inconnue, c’était Lucie. Même si elle a l’air d’avoir une santé de fer, deux ans dans sa vie comptent plus que deux ans dans la nôtre. Quand elle était bébé, les médecins ne lui donnaient pas plus de trois ans à vivre. Et quarante ans plus tard, si je peux me permettre, elle est toujours là, mais sa santé n’en reste pas pour le moins très fragile. 

Lucie : C’est plus un défi pour eux que pour moi, en fait, parce que je sais que ça va aller ! (rires) 

Jérémy : Tu n’as pas toujours dit ça ! Dans la jungle, au Brésil….

Lucie : Au départ, lorsqu’on m’a dit : “Ca va durer une heure et demie, j’étais sereine”. Cinq heures et demi plus tard, je ne l’étais plus ! (rires) Mais j’adore rester avec quatre garçons qui me protègent ; avec eux, je ne risque rien ! 

Jérémy : Normalement, elle ne risque rien… (rires). Mais chaque voyage reste un grand saut dans le vide, même si les tournages sont solidement préparés. 

 

Ce voyage a été fort en émotion, du début à la fin. Y a t-il un moment qui restera comme “le moment” de ce voyage, qui vous a particulièrement marqué ? 

Jérémy : Je dirai le vol retour, quand on ne se voit plus pendant un an ! C’est le moment que je préfère dans cette aventure ! (rires)

Lucie : C’est réciproque… 

Plus sérieusement, les retrouvailles avec mon oncle ont été un moment suspendu, hors du temps. Il nous a insufflé une sensation que je ne saurais décrire. C’était très fort en émotion, en sensibilité, en intelligence… il a vraiment séduit tout le monde. 

La séquence de fin, lorsque Jérémy me fait un semblant de compliments, restera un moment unique (rires). Ça n’est pas dans les habitudes de la maison, car l’un comme l’autre, nous ne prenons jamais de pincettes. J’ai cru à une blague ! C’était une séquence intense… sans oublier celle où Jean (ndlr : son compagnon) se baigne tout nu dans une rivière. (rires)

Jérémy : De mon côté, le moment qui m’a le plus marqué… 

Lucie : Le jacuzzi avec la bière peut-être ? Pendant que je dormais. 

Jérémy : Non non (rires). En revanche, lorsque l’on était à Québec avec l’ancien colocataire de Lucie, un autre Jérémy, il nous a raconté ce qu’elle avait changé dans sa vie, ce qu’elle lui avait appris. Tout ce qu’elle lui avait apporté, pour devenir l’homme qu’il est aujourd’hui. C’était incroyablement fort et bouleversant. Le soir même, je me suis moi-même demandé : qu’est-ce que Lucie a apporté dans ma vie ? C’est ça, le moment qui m’a le plus ému. 

Je me suis aussi laissé cueillir par l’oncle de Lucie et son discours bouleversant sur la vie et l’écologie, auquel je suis sensible. 

Lucie : Toutes les rencontres que l’on a faites et notamment celle avec mon oncle, ont éveillé beaucoup d’émotions. 

 

Quel regard portez-vous sur l’inclusion et la prise en compte du handicap dans la société ? 

Lucie : Malheureusement, on se dit à chaque fois : “ On n’est pas en France hein !”

On parle beaucoup d'inclusion en s’en vantant. Mais, selon moi, il y a beaucoup de faux-semblants. L’inclusion exige un mélange de volonté et d’un grain de folie. En France, il nous manque l’un des deux. 

Jérémy : Pauline Déroulède, une championne française de tennis handisport, a récemment twitté que Roland-Garros ne proposait pas assez de places accessibles pour les fauteuils roulants. Une nouvelle preuve que la société n’est pas adaptée aux personnes en situation de handicap et qu’il faut changer ça. D’ailleurs, l’ex-colocataire de Lucie nous expliquait que dans les écoles au Québec, tous les enfants grandissent ensemble : valides et handicapés - lorsque les handicaps le permettent évidemment. Ce qui diminue la moquerie face à la différence. 

Lucie : Pendant ce voyage au Québec, j’ai compris que la clé fondamentale est la jeunesse. Par exemple, on n’a jamais vu un(e) présentateur(trice) handicapé(e) à la télévision alors que sur les réseaux sociaux, utilisés majoritairement par les jeunes, les handicapés sont visibles. Les jeunes sont la solution pour faire bouger les choses, accepter et faire accepter cette inclusion et ainsi en faire une évidence. 

Jérémy : Il y a même un problème de vocabulaire. Aux États-Unis, on ne parle pas de personnes handicapées, mais de personnes “special”. Spécial au sens “différent”, ni moins bien, ni mieux, juste différent. Sans faire du “politiquement correct”, pourrait-on gommer ce mot qui n’a pas une connotation positive et qui ne sert donc pas le propos ? 

Lucie : Par ailleurs, que l’on dise “handicapé”, “personne à mobilité réduite”, ou” personne porteuse de handicap” revient au même, à mon sens. Le terme “special” me plaît. Je suis spéciale. Je ne revendique pas être “comme les autres”, parce que visiblement, je ne suis pas comme les autres ! (rires) Et ça me va très bien. 

 

L’émission est ponctuée d’humour sans langue de bois, ce qui rend vos échanges "haut en couleurs”. Il y a une vraie complicité entre vous ! Quels sont les ingrédients de cette complicité ?

Lucie : Le début de notre relation ressemblait à une caméra cachée. Dès notre première rencontre, on a beaucoup ri !

Jérémy : C’est vrai ! On s’est rencontrés pour la première fois dans un restaurant. Le hasard a drôlement fait les choses puisqu’on était entourés de personnes handicapées. Je me suis réellement demandé si c’était une caméra cachée ! Au delà de ça, nos personnalités coïncident, on aime dire des bêtises, user du second degré. Je trouve que l’humour est inclusif. Si je prenais des pincettes avec elle, je ne la traiterais pas comme les autres. Je fais les mêmes vannes que celles que je ferais à un ami valide.  

Lucie : En agissant de cette façon, je me sens vraiment considérée, sans filtre. Et puis il dit des horreurs, mais moi aussi… Après douze ans, il s’est installé une fluidité, comme si on était de vieux potes. 

Jérémy : Cette relation s’est construite, comme celle avec un vrai pote. Par exemple, sur le premier documentaire (ndlr : Lucie à la conquête de l’Ouest), les débuts sont un peu plus timides. Notre relation évolue dans chaque numéro, et les personnages autour de nous aussi. Comment va se finir cette histoire, Lulu ? (rires)

 

Propos recueillis par Margaux Karp

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