Petit-fils de Louis XIII, neveu de Louis XIV, cousin du futur Louis XV, sur lequel il veilla jusqu'à ses 14 ans, le régent Philippe d'Orléans fut bien davantage que le débauché oisif et superficiel de la légende. Secrets d'Histoire nous révèle un prince étonnamment moderne et pragmatique, qui fit souffler un vent de liberté à la tête de l'État et transforma la cour en laboratoire politique, intellectuel et artistique.
Timide, versatile, lâche, sans parole, fourbe, ambitieux, empoisonneur, blasé, sceptique, sulfureux, dépravé, bâfreur, ivrogne, obsédé sexuel, incestueux... Le tribunal de la postérité ne s’est pas montré indulgent à l’égard de Philippe d’Orléans. Ses ennemis ne sont pas seuls en cause. Le duc de Saint-Simon lui-même, le célèbre mémorialiste, dépeint son ami comme un grand seigneur superbe, jouisseur, oisif, indolent et superficiel. Avec de pareils amis... Au pire, donc, un diable ; au mieux, un dilettante. Le tribunal de l’histoire, comme toujours, est plus nuancé. S’il n’est pas question de faire du Régent de France un parangon de vertu – son libertinage et ses excès sont avérés, ses « petits soupers » versant dans l’orgie célèbres –, sa vie dissolue ne saurait faire oublier que la Régence fut une période heureuse et prospère.
Enfant d’un couple assez extravagant – « Monsieur », frère unique du Roi-Soleil, est aussi efféminé qu’Élisabeth-Charlotte de Bavière est masculine –, Philippe est à la fois et paradoxalement l’un des plus grands princes du royaume et un « outsider ». Il n’est que sixième dans la ligne de succession au trône – après le roi d’Espagne Felipe V, petit-fils de Louis XIV. Les guerres que livrent la France à la quasi-totalité de l’Europe lui interdisent pratiquement tout espoir de trouver une épouse de son rang, et ce d’autant plus que le roi a résolu de lui faire épouser Mademoiselle de Blois, la fille qu’il a eue secrètement de Madame de Montespan. Malgré la promesse faite à sa mère, Philippe finit par accepter, ce qui lui vaudra une baffe retentissante et publique, en pleine Galerie des Glaces à Versailles, de la part de sa génitrice furieuse. Le mariage ne sera guère heureux, même si « Madame Lucifer », comme la surnomme son époux, mettra au monde huit enfants. Son éducation soignée et complète, prise en charge par un pédagogue hors pair, l’abbé Dubois – qui n’a guère d’ecclésiastique que sa soutane –, destine le futur régent à la diplomatie et aux armes. Mauvais cavalier, escrimeur médiocre, de caractère peu belliqueux, il se distingue pourtant par ses qualités militaires et son courage aux Pays-Bas et durant la guerre de Succession d’Espagne. Tandis que l’enseignement de son mentor lui laissera à jamais le goût de l’histoire, de la géographie, des sciences et même de l’alchimie et de l’ésotérisme.
Voilà où l’on en est dans les premières années du XVIIe siècle – un prince touche-à-tout sans grand horizon politique – lorsqu’une véritable hécatombe décime un à un les héritiers d’un Roi-Soleil vieillissant et bientôt à l’agonie : le Grand Dauphin (fils aîné de Louis XIV), son fils Louis, deux enfants de celui-ci... Seul en réchappe le petit Louis, duc d’Anjou, 5 ans, arrière-petit-fils du roi et futur Louis XV. Philippe d’Orléans, en sa qualité d’adulte le plus proche du futur monarque, et malgré la méfiance de Louis XIV, qui a tenté de le neutraliser dans son testament, est amené tout naturellement à prendre la tête de l’État jusqu’à ce que le petit Louis ait 14 ans.
Le royaume dont il hérite n’est pas en très bonne santé, c’est le moins que l’on puisse dire. Le faste et l’absolutisme louisquatorziens ont tourné à l’asphyxie et à la stérilité. Les finances sont en ruine (un endettement abyssal égal à vingt années de recettes fiscales). Durant les huit années de sa régence, le prince dilettante – qui quitte symboliquement Versailles, qu’il n’a jamais aimé, pour sa propre demeure du Palais-Royal – va se révéler, toujours épaulé par l’abbé Dubois devenu archevêque et cardinal, un véritable homme d’État, un travailleur acharné, un administrateur pragmatique et un politique habile qui tourne définitivement la page du vieux monde austère et religieux de Louis XIV. Moins solennel mais plus vivant, moins guerrier et plus commerçant, moins guindé et plus expérimental, c’est le style Régence, aussi bien en politique que dans les arts et les idées : la légèreté et la souplesse des toiles de Watteau, le sentiment de libération qui ébouriffe et allège la mode vestimentaire, le mobilier plus fonctionnel et plus confortable, les débats d’idées qui animent les cafés comme Le Procope, préfigurant les Lumières, etc. Même le « système de Law » (une banque par actions adossée à la Compagnie des Indes et développant l’utilisation novatrice du papier-monnaie) et son impressionnante banqueroute ont été favorablement réévalués par les historiens : ils ont permis le désendettement de l’État et un essor durable du commerce extérieur de la France.
Le régent Philippe d’Orléans n’aura donc pas démérité. Si on veut bien lui passer cette vie de patachon qui enflamma les rumeurs et inspira les pamphlets et les chansons grivoises du temps, et qui du reste le mènera prématurément au tombeau à seulement 49 ans, il faut reconnaître qu’à sa mort en 1723 (quelques mois après celle de son cher abbé), il laisse au jeune Louis XV, récemment couronné, un royaume dans un meilleur état qu’il ne l’avait trouvé. Tous les rois de France n’ont pas eu cette habileté ou cette chance...
Christophe Kechroud-Gibassier
Présenté par Stéphane Bern
Produit par la Société Européenne de Production
Réalisateur plateaux David Jankowski
Réalisateur évocations Benjamin Lehrer
Réalisateurs sujets Jean-François Méplon
Avec
François Hamel, écrivain
Jean-Christian Petitfils, historien
Patrick Avrane, psychanalyste
Evelyne Lever, historienne
Alexandre Dupilet, historien
Michèle Barrière, historienne gastronomique
Patrick Burensteinas, alchimiste
Brigitte Nicolas, Musée de la Compagnie des Indes
Denis Bruna & Anne Forray-Carlier, Musée des Arts décoratifs de Paris
Christiane Demeulenaere, Académie des sciences
Thierry Sarmant, Musée des Archives nationales
Bertrand Martinot, Musée de la monnaie de Paris
Emmanuelle Le Bail, Musée des Avelines de Saint-Cloud
Catherine Bréchignac, Institut de France
Guy Martin, Le Grand Véfour
Guillaume Faroult, Galerie des peintures du XVIIIe siècle au Musée du Louvre
Hubert L’Huillier, Hôtel des ventes de Drouot
Pierre-Yves Beaurepaire, café Le Procope