Reine du petit écran, vedette de l’intime, meilleure amie du téléspectateur, la speakerine a accompagné la vie des Français pendant près de quarante ans. Pour la première fois, un documentaire, riche en archives et témoignages, retrace l’épopée de ces animatrices d’antenne, de l’âge d’or à l’envers du décor.
Il fut un temps, révolu, où les « télé-speakerines » rythmaient la diffusion des programmes d’une chaîne de télévision dont elles incarnaient le visage. Chacune dans son genre, avec son style et son époque, a marqué les esprits. Dans ce film, Jacqueline Caurat, Michel Drucker, Denise Fabre, Olivier Minne, Dominique Besnehard, Antoine de Caunes, Marie-Ange Nardi, Alessandra Sublet évoquent les unes et les autres.
Il y eut la première, au début des années 1950. « Jacqueline Joubert a inventé le rôle et l’a magnifié », raconte Olivier Minne, ex-speakerin et auteur de La Saga des speakerines. À l’époque, il y a plus de directeurs de la RTF que de téléspectateurs devant leur poste de télévision ! À peu près à la même période, Catherine Langeais, de son vrai nom Marie-Louise Terrasse, incarne « la jeune femme de province » qui fait chavirer les cœurs. François Mitterrand en est éperdument amoureux, et lui écrit des lettres d’anthologie. « Jusqu’à présent, je n’ai jamais lu de courrier aussi joliment écrit, pensé, adressé à une femme », affirme Olivier Minne. Celle qui, plus tard, formera « un couple mythique » avec Pierre Sabbagh, déclarait alors : « Il s’agit d’un rôle que nous jouons dans un grand spectacle qu’est la télévision. »
Les voix de la France
Dans les années 1960, Jacqueline Huet, « la sublime », fait fantasmer les hommes. « Pour moi, c’était Hollywood », confie Dominique Besnehard. « Elle arrivait et tout le monde s’arrêtait de parler ! » se rappelle Denise Fabre. À l’opposé, il y a Jacqueline Caurat, qui rassure la population féminine. « Une femme de la middle class pouvait s’identifier à elle », explique Dominique Besnehard. Dans les années 1960, les premières speakerines noires font leur apparition avec Sylvette Cabrisseau. « Elles viennent des DOM-TOM et pas d’Afrique, souligne Dominique Besnehard. On se donne une espèce de bonne conscience en les prenant. À l’époque, ç’a été quand même une révolution ! » Denise Fabre, qui a été très proche de Sylvette, se souvient aussi des « attaques incessantes » : « Elle a reçu des courriers et des coups de téléphone insultants, qu’on pensait d’un autre âge. » Dans les années 1970, la jeune femme incarne la spontanéité et la gaieté : « On s’amusait énormément ! » Ses fous rires lui valent quand même des notes de service : « C’était strict, la télévision, à cette époque-là : on était la voix de la France. »
Les amies de la petite lucarne
Les speakerines sont surtout proches des téléspectateurs : « Au moment des fêtes, je savais qu’il y avait des gens qui pouvaient être seuls chez eux et à qui la speakerine que j’étais pouvait apporter un peu de chaleur ce soir-là. » Car Noël est aussi la période de l’année où celles-ci reçoivent le plus de courrier : les téléspectateurs y confient leurs malheurs et leur détresse. « Elles étaient tellement dans la vie des gens », insiste Alessandra Sublet. Leur quotidien n’est pas fait non plus que de paillettes : « On est seul dans un bocal, fermé par une porte de sas, comme un sous-marin. » Les plages horaires sont larges et les salaires sont bas. Olivier Minne mentionne que, jusqu’au bout, « les speakerines sont considérées comme des inter-programmes… une espèce de no man’s land ». La télécommande et les bandes-annonces entraîneront leur disparition. Michel Drucker voit en elles des avant-gardistes : « Les féministes de l’époque peuvent revendiquer le fait que les speakerines ont donné l’exemple. » « L’émancipation commençait, renchérit Alessandra Sublet. Certes elles étaient des femmes troncs, mais elles bossaient ! »
Anne-Laure Fournier
Documentaire
Durée 52 min
Réalisation Benoît Gautier
Production Mon Voisin Productions, avec la participation de France Télévisions
Année 2017