Alain Juppé le ressuscité

« Probablement le meilleur d’entre nous », a dit de lui un jour Jacques Chirac, son père en politique. Évidemment, on pourrait ergoter sur le « probablement »... Mais quel cadeau empoisonné ! C’était une façon d’en faire la cible des jaloux. Et ils ne manquèrent pas. Il n’empêche, on avait prédit depuis toujours un brillant avenir à Alain Juppé. Pur produit de la France rurale, gaulliste et catholique, il avale les concours et les diplômes : khâgne, Normale sup’, agrégation de lettres classiques, Sciences-Po, ENA..., et se taille une réputation de premier de la classe et de tête d’œuf. Il est repéré en 1976 par Jacques Chirac, qui en fait son collaborateur. Cela fera un drôle de duo, l’un tonitruant, l’autre plutôt coincé. La suite, c’est effectivement l’ascension irrésistible : adjoint au maire de Paris en 1983, député européen en 1984, député du XVIII^e arrondissement parisien en 1986, ministre du Budget en 1986, secrétaire général du RPR en 1988, ministre des Affaires étrangères en 1993, maire de Bordeaux et Premier ministre en 1995… Une stature d’homme d’État, une ascension parfaite… Trop, peut-être. Patatras ! La foudre, désormais, ne va cesser de s’abattre sur Alain Juppé, reconverti, à l’occasion, en paratonnerre pour des « amis » politiques trop heureux d’être épargnés ou le soutenant comme la corde soutient le pendu...

1995 : les Français dans la rue, un mouvement social sans précédent depuis des lustres, le niveau d’impopularité du Premier ministre atteint des sommets rarement égalés. Comme si cela ne suffisait pas, Alain Juppé doit faire face à deux affaires judiciaires (son logement parisien, les emplois fictifs de la Mairie de Paris), tandis que la dissolution de l’Assemblée nationale par Jacques Chirac tourne à la Bérézina. C’est la descente aux enfers. L’atterrissage sera rude : fin 2004, il est condamné à 14 mois de prison avec sursis et à une année d’inéligibilité pour prise illégale d’intérêts. Il démissionne de son mandat de maire de Bordeaux, s’exile au Canada, on le dit fini, et certains, dans son propre camp, n’en sont pas trop peinés.
Comme le remarque Franz-Olivier Giesbert, si on meurt souvent en politique, on ressuscite rarement. C’est pourtant ce qui est arrivé à Alain Juppé. Doucement, à petit pas, l’intéressé a mis en œuvre une véritable stratégie de reconquête.

Si « Juppé 1995 » lui colle encore aux basques, « Juppé 2016 », tel qu'il se laisse saisir dans ce documentaire-portrait, est plus mûr, plus rond, plus patient, plus rassurant… moins arrogant, aussi, ou même moins « emmerdant », diront certains. Et si son heure était enfin venue ?

C.K.G.