Les Champs de la colère

Le foulard noir, c’est celui qu’elles portent en signe de deuil de l’agriculture : « On est en train de crever dans nos fermes ! » Des exploitantes agricoles ou femmes d’agriculteurs du Calvados ont décidé de se battre pour défendre leurs hommes. En 2016, en France, quatre cents d’entre eux se sont suicidés. C’est la population professionnelle la plus à risque. Confrontés à la chute des prix du lait, de la viande et des céréales, presque la moitié des paysans vit aujourd’hui avec seulement 350 euros par mois. Une réalité qui les étrangle financièrement et une situation qui ne cesse de se dégrader.

Dans ce documentaire, Anne Gintzburger (La Promesse de Florange*) suit ces combattantes qui, dès que leur travail le leur permet, organisent des opérations de tractage, manifestent ou interpellent les politiques. Souvent, ce sont elles qui désormais font vivre leur famille en acceptant un emploi salarié.

Des militantes et des combattantes

Il y a Charlène, devenue assistante maternelle pour soutenir son mari, Vincent, producteur de lait bio submergé par les dettes. Parents de deux jeunes enfants, ils ne comprennent pas pourquoi on continue de leur imposer un prix au litre bien inférieur à celui auquel le consommateur l’achète. « Si un jour on pouvait être reconnus à notre juste valeur : on fait manger tout le monde, mais, nous, on ne peut même plus manger ! »

Christophe, lui, n’a pas eu le choix : il s’est vu contraint de vendre ses cinquante vaches, héritées de son père. « C’est une déception pour lui, raconte Ludivine, sa femme. Je sais qu’il pense qu’il a été un “bon à rien”. » La voix tremblante, elle évoque ces jours noirs où elle a craint le pire : que son fils, comme d’autres enfants d’agriculteurs, découvre un jour son corps sans vie. « C’est une honte, confie-t-il aujourd’hui, parce que tu te dis : les autres ont l’air d’y arriver à peu près et, toi, tu n’y arrives pas !… Dans le monde où on vit, on peut très bien travailler et ne pas gagner d’argent. » Le couple a accepté de témoigner dans un livre : Le jour où on a vendu nos vaches. Une façon de partager avec d’autres, dans un milieu où l’on parle peu, ce qu’on a l’habitude de taire…

Stéphanie et Yannick s’occupent de leurs soixante vaches laitières sans jamais prendre un jour de repos. À deux, ils gagnent 234 euros par mois pour élever leurs deux enfants. « On travaille toujours à perte. Les mois passent et on est toujours dans la même impasse. » Alors, « le quotidien est calculé au centime près… on essaie de se débrouiller. »

Astrid, militante et stratège des Foulards noirs, est seule à la tête de son exploitation : deux cents hectares de cultures et cent vingt bêtes à viande. Elle revendique son goût pour la liberté et l’indépendance, et se révolte contre le marché qui dicte sa loi : « C’est quand même le seul métier où c’est pas nous qui décidons combien on vend notre marchandise… Tu ne peux pas t’investir autant et ne pas pouvoir te tirer un salaire ! »

Les Foulards noirs, l’espoir par les femmes

Alors, quand la malchance s’en mêle, la tragédie peut survenir à tout moment. Au début de l’hiver, les vaches et les veaux de Vincent et Charlène ont commencé à mourir… Au fil des mois, la situation s’est aggravée sans explication et a mis en péril la situation de la famille. « J’ai la boule au ventre tous les jours quand j’arrive à la ferme… » Ils attendent toujours les aides promises par le ministre de l’Agriculture depuis plus de deux ans. Stéphanie, Ludivine et Astrid vont monter au créneau pour tenter d’aider le couple…

En 2016, Catherine Deneuve – la voix off de ce film – a dédié son prix Lumière à tous les agriculteurs de France. Le mouvement des Foulards noirs s’étend peu à peu aux départements voisins et la clameur des femmes paysannes s’amplifie…

Anne-Laure Fournier

* Prix spécial du jury au Figra 2014.