Les Super-pouvoirs de l’intestin

« On ne s’attendait pas à détecter une chose aussi importante », avoue Dusko Ehrlich. Pourtant, ce microbiologiste à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) a mis en lumière un organe jusque-là inexploré et négligé : le microbiote. « Ce que l’on appelait la flore intestinale il y a encore quelques années est composé d’un très grand nombre de bactéries qui sont donc étrangères, mais avec lesquelles l’espèce humaine vit depuis l’aube de l’humanité », explique le Pr Olivier Coudron, médecin nutritionniste et directeur de l’institut Siin. Rendue possible grâce aux machines capables de séquencer les gènes et aux supermicroscopes de l’Inra, cette découverte a été faite en analysant des échantillons de selles. Car un véritable écosystème vit en secret dans notre intestin. Il abrite 100 000 milliards de bactéries. « On connaît bien les microbes qui sont dangereux pour nous, reconnaît le Pr Gérard Eberl, directeur du département immunologie à l’Institut Pasteur. Mais la plupart des microbes qui vivent sur nous ou en nous sont inoffensifs. Au contraire, ils sont vraiment utiles à notre physiologie et à notre développement. »

L’intestin, notre deuxième cerveau

Composé de 300 espèces de bactéries, le microbiote est non seulement indispensable à notre digestion pour extraire l’énergie des aliments et synthétiser certaines vitamines, mais joue aussi un rôle-clé dans le développement de notre système immunitaire. Il aurait également une influence sur notre humeur. « Tout le long de notre tube digestif résident environ 200 millions de neurones, c’est-à-dire l’équivalent du cortex d’un petit animal de compagnie », confirme le Dr Michel Neunlist, directeur de recherche à l’Inserm. Considéré comme notre deuxième cerveau, l’intestin est directement connecté à nos émotions. Les deux organes, qui ont plus de similitudes qu’il n’y paraît, sont d’ailleurs en communication en permanence. « Il y a une autoroute nerveuse qui va de l’intestin au cerveau, qu’on appelle le nerf vague, souligne le Pr Gérard Eberl. Il peut en quelques secondes transférer au cerveau l’information qu’il collecte dans l’intestin. » Ces interactions complexes ont conduit certains patients souffrant du syndrome de l’intestin irritable, une maladie complexe qui toucherait une personne sur dix, à se voir prescrire des séances d’hypnose pour soulager leurs douleurs.

Les chercheurs s’intéressent aussi à l’impact du microbiote sur notre santé. Naissance par césarienne, cure d’antibiotiques pendant la petite enfance, alimentation déséquilibrée, manque de fibres — la nourriture préférée des petites bêtes de notre intestin… plusieurs facteurs extérieurs peuvent entraîner un dérèglement de cette véritable usine. Une personne sur quatre aurait un microbiote appauvri, ce qui serait à l’origine de certaines pathologies, comme la maladie de Parkinson ou encore l’obésité. Souffrant d’une très grave infection intestinale provoquée par la bactérie Clostridium difficile, Cosette a bénéficié d’un traitement qui a changé sa vie : la greffe de microbiote. Cette intervention consiste à transplanter dans l’intestin du malade la matière fécale d’un donneur sain. Encore expérimentale, elle est pourtant efficace à 90 % pour éradiquer cette infection. Des découvertes qui ouvrent la voie à d’immenses espoirs thérapeutiques. Les bactéries intestinales seront-elles les médicaments de demain ?

Amandine Deroubaix