Quinze hommes retrouvés congelés dans un bus : tous ont aimé la même femme...
Sandra Winckler (Marie Dompnier) reprend du service pour cette seconde saison très attendue des Témoins. Audrey Fleurot en mère amnésique, des orphelins au passé trouble et un minotaure qui rôde : plongez dans cette enquête aux confins de l'étrange, dont le duo Hervé Hadmar (réalisateur et scénariste) et Marc Herpoux (scénariste) a le terrifiant secret. Interview.
Vous avez commencé à écrire la saison 2 des Témoins avant la diffusion de la première saison. Quel en a été le point de départ ?
Hervé Hadmar : L’image de ces quinze hommes, retrouvés congelés dans un bus, dont l’unique point commun est d’avoir aimé la même femme. Nous n’en savions pas plus... Ce que nous savions, en revanche, tenait au principe même des Témoins : décrire, à travers la résolution d’une enquête, le parcours de vie d’une femme, le lieutenant Sandra Winckler incarnée par Marie Dompnier. La saison 1 suivait ses premiers pas professionnels au cours d’une affaire qui la renvoyait directement à ses névroses et phobies – la question de la famille idéale, à l’heure où elle-même tentait d’en construire une. La nouvelle saison mêle cette fois son quotidien de mère célibataire à une enquête qui interroge les fondements mêmes de la maternité, de l’instinct maternel, de l’éducation.
Marc Herpoux : De même, dans l’ADN de la série, il y a l’idée d’éprouver la personnalité de Sandra à travers un duo. Dans la première saison, elle apprenait à s’émanciper de la figure paternelle – voire paternaliste – de Paul Maisonneuve, son ancien mentor interprété par Thierry Lhermitte. Pour la saison 2, autour du thème de la maternité, nous avons souhaité bousculer davantage Sandra en la confrontant à une autre femme, une autre mère. C’est ainsi qu’est « venue » Catherine Keemer, jouée par Audrey Fleurot. Elle est la femme qu’ont aimée les hommes du bus. Amnésique, elle ne se souvient plus de ses deux filles aînées, mais est prête à tout pour retrouver l’enfant qu’elle vient d’avoir. Tout en instinct et fragilité, elle est l’antithèse de Sandra, qui exerce sur sa vie – professionnelle et personnelle – un contrôle maniaque.
H. H. : Avec ce paradoxe, redoutable en termes de dramaturgie, qui veut que, en aidant Catherine à chercher son enfant, Sandra va courir le risque de perdre les siens…
Pour incarner ce duo, vous êtes épaulés par un casting de choix…
H. H. : Je trouvais déjà Marie Dompnier formidable dans la saison 1, mais je dois dire qu’elle a continué à me surprendre, à me bluffer même, tout au long de ce nouveau tournage. Pour le rôle de Catherine Keemer, nous avons très tôt pensé à Audrey Fleurot.
M. H. : Avec sa grande chevelure rousse, ses yeux bleus et sa voix grave, elle impose en soi un mystère, proche du conte, qui correspond à notre univers.
H. H. : Et puis, elle a parfaitement su jouer du contraste entre l’image qu’elle renvoie – une figure ultraféminine au caractère fort – et le côté totalement perdu, désarmé de son personnage.
M. H. : Leur duo fonctionne à merveille ! Il était indispensable que cette relation, à la fois tendue et complice, que nous avions patiemment imaginée et qui est le moteur émotionnel de la saison, soit crédible à l’écran. Et là, l’alchimie est non seulement réelle mais palpable.
« Qu’est-ce qui fonde une famille ?
Comment la construire ?
Et comment se construire soi, avec elle,
ou, évidemment, en l’absence d’elle ? »
Entre la saison 1 et 2, on passe de cadavres retrouvés dans des maisons témoins à d’autres habillés comme des témoins de mariage. Quelle signification donnez-vous au titre de la série ?
H. H. : Au-delà du jeu de mots autour des témoins – d’ailleurs intraduisible dans la plupart des 71 pays qui ont acheté la saison 1 –, le titre renvoie plutôt à l’idée que la série se fait, au fond, le témoin de la vie de Sandra. Les « témoins », ce sont chacun d’entre nous face aux évolutions de cette femme si particulière et attachante…
M. H. : Difficile de construire une série entière sur ce seul gimmick / clin d’oeil des « témoins ». Ce qui, vraiment, sous-tend l’ensemble de ce travail et lie les deux saisons entre elles vient plutôt de notre interrogation autour du thème de la famille. Qu’est-ce qui fonde une famille ? Comment la construire ? Et comment se construire soi, avec elle – ou, évidemment, en l’absence d’elle ? La famille nucléaire, dans ce qu’elle peut avoir à la fois d’idéal et d’étouffant, était comme cristallisée dans la mort par les mises en scène macabres de la première saison – ces corps de parents et d’enfants « modèles », figés dans des maisons témoins. Le noyau familial représente un cocon accueillant, épanouissant et confortable, certes, mais il faut aussi réussir à s’en libérer pour trouver et bâtir sa propre identité. Cette liberté – et le lien qui, dans la maternité, dans l’éducation, la contraint ou la favorise – est au cœur de la saison 2.
Vous allez jusqu’à imaginer une société sans éducation, ce qui est une manière pour le moins radicale d’interroger cette liberté et ce lien. « Votre enfant ne veut pas dépendre de vous », s’entend dire Catherine Keemer…
M. H. : Éduquer un enfant, c’est d’une certaine manière l’apprivoiser, c’est-à-dire lui donner un cadre, des codes, des normes, au risque de l’enfermer et d’entraver sa liberté. Il s’exerce là, quand on y réfléchit bien, une certaine violence – nécessaire, évidemment. La figure du mal, dans cette saison 2, est incarnée par quelqu’un qui justement refuse, retourne cette violence en offrant – en imposant ? – une liberté totale aux enfants. Sa philosophie s’incarne dans un projet de vie, une organisation collective, qui est le reflet inversé – et effroyable – de notre société.
« Notre mouvement est
chaque fois le même.
Partir du drame (...)
pour aller vers le conte,
la fable noire. »
Vous êtes-vous, vous-mêmes, sentis plus libres ? Est-ce un des avantages d’écrire une deuxième saison ?
H. H. : Le premier avantage est que les téléspectateurs connaissent déjà – et apprécient – notre héroïne. Dès lors, on peut se permettre d’emmener Sandra plus loin, de dévoiler d’autres aspects d’elle-même, quitte à lui faire prendre des chemins plus « borderline », à la « noircir » un peu... Ensuite, la grande chance que nous avons eue pour cette nouvelle saison est qu’elle compte huit épisodes et non plus six. Dès le départ, France 2 nous a donné le feu vert, ce qui nous a permis de véritablement nous libérer de la mécanique du 6 x 52, pour prendre le temps de développer tous les personnages et de fouiller davantage leurs relations. C’est un luxe de temps et d’espace inestimable ! Autant j’aime énormément la première saison, autant je suis bien forcé de constater que l’on s’y est parfois retrouvés esclaves de la structure…
M. H. : Il y a par exemple beaucoup de choses que nous n’avons pu dire, en six épisodes, du duo Sandra-Maisonneuve, puisqu’il fallait en priorité dénouer les fils de l’enquête… Là, je ne dirais pas que l’intrigue est secondaire (elle est tout aussi dense et complexe que pour la première saison), mais elle n’est pas ce qui conduit seule le récit.
H. H. : Au fond, comme dans la plupart de nos séries, Les Témoins commence de façon très classique : une scène de crime, une flic et une enquête qui démarre… On prend le téléspectateur par la main pour, peu à peu, glisser, en introduisant notamment le personnage de Catherine Keemer, vers quelque chose de plus mystérieux, qui n’est acceptable que parce que l’on prend le temps d’y aller progressivement.
M. H. : Notre mouvement est chaque fois le même. Partir du drame, dans sa dimension la plus vraisemblable possible, avec des personnages et des psychologies réalistes, pour aller vers le conte, la fable noire, c’est-à-dire une forme plus allégorique, nourrie d’archétypes, de symboles – ici, en l’occurrence, la figure du minotaure, du labyrinthe.
Après Le Tréport qui participait à l’atmosphère de la première saison, vous explorez cette fois la côte d’Opale et descendez jusqu’au Mont-Saint-Michel. Quels rôles jouent pour vous les décors ?
H. H. : Nos histoires sont tellement dingues, à la limite du fantastique. Il faut, pour les rendre un tout petit peu crédibles, pour que les téléspectateurs nous suivent jusque-là, ancrer le récit dans une réalité tangible et précise. Tout le contexte socioculturel du Nord, même s’il n’est pas le sujet de la série, la nourrit et l’imprègne. Et c’est d’ailleurs, je crois, ce qui a fait le succès des Témoins à l’étranger, cette façon, tout en se réclamant d’influences anglo-saxonnes ou nordiques, d’être culturellement identifiée, « territorialisée » dans un contexte local français.
M. H. : Il y a deux mouvements. D’abord, avant même d’écrire, nous nous rendons sur place, nous observons, nous nous imprégnons des lieux, de façon à ce que le décor devienne un des acteurs du récit. Ensuite, au moment de l’écriture, nous choisissons les lieux pour leur dimension émotionnelle, en fonction des situations et du ressenti des personnages, comme une sorte de géographie mentale. Pas la peine, par exemple, d’exprimer l’état psychologique de Sandra par des lignes et des lignes de dialogue, si l’on peut s’appuyer sur ce que transmet tel ou tel décor… Dans la première saison, Le Tréport dessinait comme une arène fermée autour des personnages, renforçant l’effet de claustration. Pour la nouvelle saison, afin d’accompagner la quête de Sandra et Catherine, il était évident qu’il fallait du mouvement, des trajets en voiture, des paysages de bords de mer. On est passé du huis clos au road-movie.
On retrouve là votre approche visuelle de l’écriture…
M. H. : Je n’ai jamais été, et ne serai jamais, un dialoguiste. Je serais incapable d’écrire une pièce de théâtre par exemple. Venant des Beaux-Arts comme Hervé, ma culture et mes références sont avant tout plastiques, visuelles. Pour cette saison, nous avons travaillé encore différemment que sur nos précédents projets. Après avoir défini ensemble le « squelette » général des huit épisodes, j’ai écrit seul ce qu’on appelle les « traitements », qui, à la manière d’un roman, racontent l’ensemble de la saison. Avec le temps, nous nous connaissons mieux. Je sais ce qui va pouvoir inspirer Hervé, je peux anticiper sur la façon dont il va traduire telle ou telle idée à l’image. Je ne m’étais fixé aucune limite, pour pousser notre histoire et nos personnages le plus loin possible, en sachant que, ensuite, Hervé ferait le tri.
H. H. : Et je me suis chargé d’écrire, à partir de cette matière volontairement foisonnante, les versions dialoguées, ce qui est une façon d’intégrer déjà, dans l’écriture du scénario proprement dit, la part future de mise en scène.
« Je revendique une part d’abstraction
qui permet de mieux dire les choses,
de les dire plus fort.
(...) Notre travail est davantage
harmonique que mélodique. »
Votre mise en scène toujours aussi hypnotique vise, comme souvent, une forme d’épure. Comment cette matière la nourrit-elle ?
H. H. : Je revendique une part d’abstraction qui permet de mieux dire les choses, de les dire plus fort. Pour faire l’analogie avec la musique contemporaine, disons que notre travail est davantage harmonique que mélodique.
M. H. : Je ne considère pas le scénario comme un objet fini. Un film, ou une série, ne se résume pas à son histoire ni à ses dialogues. C’est un processus collaboratif et continu qui ne cesse de s’écrire – jusqu’au montage final.
H. H. : Oui, la série s’écrit en permanence. On passe notre temps à creuser, tenter, revenir, fouiller, pour, par couches successives et intuitives, atteindre le cœur de nos obsessions. Ce qui participe certainement du caractère hypnotique de nos séries. En tournage, par exemple, les comédiens peuvent être assez surpris de me voir soudain réécrire un dialogue ou cadrer moi-même certaines scènes, notamment les gros plans, en fonction de ce que je ressens, de ce qu’appelle l’énergie du moment ou l’intimité d’un visage.
M. H. : L’essentiel est de garder et de suivre une même direction, dont Hervé est le garant.
H. H. : Mon rôle consiste, en effet, à chaque étape, à transmettre et respecter la vision qui était la nôtre au départ, tout en me nourrissant de la créativité de mes différents collaborateurs. J’ai la chance de pouvoir compter, depuis dix ans, sur une équipe fidèle et inventive. Eric Demarsan, par exemple, qui est notre compositeur depuis Les Oubliées, me fait une grande confiance. Il me livre ses thèmes piste par piste pour que, ensuite, au mixage, je puisse m’autoriser à enlever ici les cordes ou ajouter là une nappe inédite.
Les Oubliées (2008), Pigalle, la nuit (2009), Signature (2011), Au-delà des murs (2015) : vous avez su créer des séries personnelles, traversées par des obsessions formelles et thématiques communes, tout en réussissant à rassembler un large public. Ils étaient par exemple plus de 5 millions à suivre le premier épisode de la première saison des Témoins. Comment expliquez-vous ce succès ?
H. H. : Lorsque je demande aux diffuseurs étrangers pourquoi ils ont acheté la série, tous me parlent de la qualité de l’intrigue, de la direction artistique et tous sont très attachés au personnage de Sandra.
M. H. : Il y a tout de même quelque chose de touchant à constater que, à force de travailler de façon plus ou moins consciente autour des mêmes thèmes, nos séries ont acquis une sorte d’identité propre, qu’elles construisent quelque chose de plus vaste, susceptible de fédérer, au-delà d’un succès ponctuel, un noyau de téléspectateurs fidèles, qui se reconnaissent dans notre travail.
H. H. : Il faut dire aussi que, en parallèle, depuis notre première expérience, le paysage audiovisuel a beaucoup évolué. La série a maintenant largement gagné ses lettres de noblesse, grâce aux nombreux chefs-d’oeuvre qui nous viennent des États-Unis, d’Angleterre ou des pays scandinaves. Longtemps cantonnée à une logique purement industrielle, la série commence à être considérée comme un art. En France, elle est désormais un bien culturel à part entière.
Propos recueillis par Cyrille Latour
Scénario de
Hervé Hadmar & Marc Herpoux
Réalisée par Hervé Hadmar
Musique d’Éric Demarsan
Une production Cinétévé, en coproduction avec Pictanovo
Avec la participation de France Télévisions
Avec Marie Dompnier, Audrey Fleurot, Jan Hammenecker, Judith Henry, Steve Driesen, Anne Benoît, Alexandre Carrière, Philip Desmeules, Dominique Bettenfeld, Yannick Choirat, Séverine Vincent, Nina Simonpoli-Barthelemy, Héloïse Dugas, Lila Gueneau Lefas, Guillaume Durieux.
8 x 52 min
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Épisode 1
Un matin d'hiver, brumeux. Un bus abandonné sur le bord d'une route de campagne dans le nord de la France. À l'intérieur, 15 cadavres congelés. Tous portent de beaux vêtements. Sandra Winckler prend l'affaire. Pourquoi cette mise en scène macabre ? La réponse viendra d'une femme : Catherine Keemer. Ces hommes ont tous été ses amants à un moment ou un autre de sa vie... et Catherine Keemer a disparu depuis trois ans ! Pourtant, la voilà qui se réveille dans sa voiture, en plein cœur de Lille... La jeune femme est immédiatement hospitalisée. Catherine est amnésique et ne se souvient ni de son mari ni de ses deux filles. Les résultats des examens sont formels : elle a reçu une forte dose d'hypnotiques, mais il y a autre chose… Catherine a accouché durant sa disparition. Avec qui a-t-elle eu cet enfant ? Pourquoi ne s'en souvient-elle pas ? L’enfant, où est-il ?
Épisode 2
Alors qu'elle enquête sur les disparitions passées, Sandra découvre qu'il y a un précédent : un homme retrouvé mort dans un bus abandonné, il a de cela près de 10 ans. Le corps de sa compagne, portée disparue à la même époque, avait été retrouvé quelque temps après… Elle aussi venait d'accoucher. En inspectant l'ancien bus entreposé, Sandra découvre les phrases d’un poème, des phrases qu'elle se souvient avoir vues sur l’Abribus de la première scène de crime... Elle spécule : un homme enlèverait des femmes dont il effacerait le passé, leurs souvenirs, les hommes qu’elles ont aimés, et leur ferait un enfant. Pourquoi ? Alors qu'elle fait la connaissance d'une certaine Christiane Varène, une femme internée dans un institut psychiatrique et qui prétend connaître le tueur, des souvenirs refont surface chez Catherine : elle se voit déposer son bébé au pied d'un arbre dans une grande forêt. Sur cet arbre, une étrange inscription : la figure d'un minotaure.