À Florence, Laurent le Magnifique

Un nez en pied de marmite surmonté de pommettes saillantes. Un visage asymétrique au regard dur et sombre. Un teint olivâtre entouré de cheveux drus... Le portrait de Laurent de Médicis est, à première vue, peu flatteur. Pourtant, l'homme plaît aux belles et aux galants. Car si son physique est disgracieux, sa personnalité insaisissable fascine. Tyran séduisant, poète violent, sage téméraire, despote éclairé, Laurent est l'homme des oxymores. Celui que l'on surnomme le magnifique pour avoir doté Florence de ses mille et un trésors est insondable, et donc craint par ses contemporains. Entre respect, inquiétude et haine, les sentiments qu'il inspire sont nombreux. Et si, sous son règne, la plus belle des cités toscanes s'épanouit, Florence n'en reste pas moins le théâtre de vils complots et de bains de sang dignes des plus grands thrillers historiques...

Roi sans couronne
Aîné d'une fratrie de 4 enfants, Laurent prend les rênes de la ville à la mort de son père, Pierre le Goûtteux, en 1469. Le jeune est alors à la tête du clan des Médicis, une famille passée en quelques années du statut de simple marchand rural à celui de banquier de rois et de papes. À coups de florentins, mais aussi à force d'habileté et d'ambition, les Médicis ont réussi à se hisser à la hauteur des plus grands d'Europe – Louis XI leur accorde l'ajout d'une fleur de lys sur le blason familial– tout en restant au plus près du peuple – Laurent prend régulièrement le pouls de la ville en se promenant place de la Seigneurie, où grouille la vie florentine. Une situation hégémonique qui en fait pâlir plus d'un. À commencer par le pape Sixte IV qui, au travers des Pazzi, la famille rivale des Médicis, fomente un complot connu sous le nom de « La conjuration des Pazzi ». L'attentat, dont l'échec engendre des représailles féroces, donne une autre dimension au pouvoir que Laurent exerce au sein de la République florentine, et c'est à ce moment que le Médicis disparaît pour céder la place au Magnifique.

Prince de la Renaissance
Si la vie de Laurent le Magnifique est marquée par le sang et la trahison, le complot et le meurtre, elle s'illustre également par un appétit insatiable de grandeur et de beauté. Mû par sa fascination pour les arts et les lettres, qu'il hérite de son grand-père Côsme l'Ancien, Laurent est l'incarnation même du mécène humaniste : il découvre et nourrit les ambitions d'un jeune Michel-Ange au talent encore méconnu, sauve du bûcher un Léonard de Vinci accusé d'hérésie, soutient un Ange Politien en créant une académie néoplatonicienne au rayonnement international, encourage un Donatello dans la sculpture d'un David au déhanché ambigu ou finance encore un Botticelli dont la muse, Lucrezia Donati* ravit tous les cœurs, y compris celui du Magnifique...

Réputé lui-même pour la qualité de ses poèmes, Laurent de Médicis offre à Florence une époque bénie, où chaque jour naissent de nouvelles œuvres influentes et de nouvelles fêtes toujours plus enivrantes. Mais alors que les habitants, à l'image des sculptures et tableaux des maîtres, s'adonnent corps et âme à une certaine joie de vivre, plongeant de plus en plus la cité dans la débauche, des voix commencent à s'élever contre ce qui se révèle être, aussi, des outils de propagande destinés à asseoir et maintenir la puissance d'une dynastie. Parmi elles, celle d'un dominicain, l'inquiétant moine Savonarole, dont la force austère pourrait bien s'avérer plus dangereuse que l'opulence corrompue du pape pour venir à bout d'un Magnifique assoiffé de plaisir...

Aline Guyard

^{* On peut voir le portrait de Lucrezia Donati, entre autres, dans La Naissance de Vénus.}