Apocalypse - La Paix impossible

Apocalypse - La Paix impossible 1918-1926

Doc - Lundi 11 novembre 2018 à 21.00

Le nouveau documentaire de la collection « Apocalypse » est consacré à la « paix impossible » au lendemain de la Première Guerre mondiale. Traité de Versailles inapplicable, révoltes populaires… Le film de Daniel Costelle et Isabelle Clarke raconte ce que sont devenus les immenses espoirs issus de l’armistice du 11 novembre 1918.

Pourquoi la paix était-elle impossible après 1914-1918 ?
Isabelle Clarke : Outre l’adoption d’un traité de Versailles intenable pour l’Allemagne, grande perdante du conflit, la volonté d’indépendance des peuples européens a sans doute encouragé la montée des nationalismes. Ce courant populiste va se muer en conflits nationaux, comme dans le cas des révoltes communistes en Russie, en Hongrie ou en Allemagne, qui se solderont par des issues diamétralement différentes.

Daniel Costelle : Nous ne saurons jamais ce qu’était véritablement le communisme, puisque les bolcheviks ont fusillé ses véritables leaders en 1919-1920 pour laisser le pouvoir à un petit groupe d’hommes ayant instauré une dictature. Des mouvements de droite et d’extrême droite se sont alors mis en place pour lutter contre eux. Un enchaînement de violence épouvantable a suivi. Mais, de façon plus générale, on peut dire qu’Hitler est le produit de différentes forces liées au traité de Versailles.  

Pour quelles raisons avoir couvert la période allant de 1918 à 1926 et non pas jusqu’à la crise de 1929 ?
D. C. : Car la crise de 1929 appartient véritablement à la période suivante : celle où la situation économique se détériore avant que des événements ne précipitent le continent vers un nouveau conflit en 1939. 

I. C. : Jusqu’en 1926, l’Europe est confrontée à la « paix impossible ». Et à partir de 1926, elle entame un glissement inéluctable vers la guerre.

La guerre semble être un thème récurrent dans votre travail ?
D. C. : Nous n’avons aucune fascination pour la guerre, elle nous inspire au contraire une répulsion profonde ! Nous disons souvent que si nous avons mis de la couleur, c’est pour que chacun se rende compte que le sang n’est pas une tache isolée sur la pellicule et que la souffrance endurée par les hommes était malheureusement bien réelle. La guerre de 1914 représente à notre sens le summum de l’horreur humaine.

Au même titre que les atrocités de la Seconde Guerre mondiale ?
D. C. : J’ai tendance à penser que celles-ci s’inscrivent dans la continuité macabre de la Grande Guerre.

I. C. : Churchill et de Gaulle ont d’ailleurs eux-mêmes assimilé la période 1914-1945 à la deuxième guerre de Trente Ans.  

80 % des images sont inédites. Où avez-vous trouvé ce socle inestimable de matière ?
D. C. : La société de production Clarke Costelle & Co dispose d’un service spécialisé dans la recherche d’archives. Peut-être l’un des plus performants au monde. Nous recevons à ce titre des demandes d’un peu partout. La NHK, la télévision japonaise, nous a par exemple commandé un film sur le centenaire de la ville de Tokyo. Nous avons accepté car nous avions l’expertise pour réaliser ce projet.  

I. C. : Nous nous appuyons sur un grand nombre de sources pour sélectionner les images : les grands fonds publics, comme l’ECPAD (Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense) en France ou les archives nationales aux États-Unis… Ou encore des fonds privés appartenant à des collectionneurs. Pour ce film dans lequel nous embrassons l’histoire internationale, nous sommes vraiment allés chercher partout, avec un credo immuable consistant à toujours trouver des originaux.

Peut-on parler d’une patte Costelle et Clarke ? Par rapport à cette volonté de toujours retenir des images inédites ?
D. C. : Cela ne correspond qu’à une partie de notre travail. Celui-ci se caractérise aussi par une rigueur historique certaine.

I. C. : Je ne sais pas si l’on peut parler de « patte Costelle et Clarke », mais nous nous évertuons à suivre une démarche précise : l’image arrive en salle de montage, muette et en noir et blanc. Nous lui insufflons donc une nouvelle vie, avec de la couleur, de la lumière et un habillage sonore méticuleusement choisi. Mais aussi de la musique originale, composée pour ce numéro par Christian Clermont, qui avait déjà travaillé avec nous sur la Première Guerre mondiale.

Justement, peut-on en savoir plus sur les équipes qui travaillent avec vous ?
D. C. : Au total, 70 personnes sont impliquées sur la série Apocalypse. Outre une importante équipe de recherchistes chargée de trouver les images, nous avons un service de coloristes très élaboré. Nous faisons une image fixe de tout ce qui est diffusé (tableaux, gravures, vêtements…) et les historiens réalisent des recherches pour déterminer la couleur authentique de chaque élément. Un jour, j’ai eu le malheur de dire à notre coloriste François Montpellier qu’il fallait changer la couleur de l’herbe qui apparaît à l’image. Du coup, il m’a proposé 300 nuances de vert authentique.

I. C. : François prélève de la matière pour identifier la couleur d’origine, à savoir dans ce cas du vert pelouse et non pas de simples aplats de couleur. C’est une succession de détails sur lesquels nous travaillons avec minutie. Il ne faut pas imaginer que nous nous contentons de coloriser les images à l’aveuglette ou de façon approximative. Notre approche s’inscrit dans une méthode quasi scientifique. Il faut aussi souligner le travail phénoménal des documentalistes avec lesquels nous travaillons depuis des années. Sans oublier les excellentes chefs monteuses de France Télévisions, avec à leur tête Mickaël Gamrasni, historien à Sciences Po et réalisateur. L’habillage sonore est le fruit d’une collaboration entre notre fidèle collectionneur de sons d’époque, Gilbert Courtois et le Canadien Christian Rivest. Nous sommes aussi heureux d’avoir pu compter sur le grand historien Georges-Henri Soutou en tant que conseiller historique. Après de longues années, car nous en sommes à la saison 6, la confiance est totale. Ce sont tous des professionnels rigoureux qui connaissent notre niveau d’exigence. En tout, ce sont près de 70 professionnels, mais qui n’interviennent pas en même temps ! C’est en fait un travail très artisanal, qui demande beaucoup d’humilité, et en fin de compte, nous sommes très seuls, Daniel et moi.  

Parmi les images inédites de « La Paix impossible », lesquelles vous ont le plus frappé ?
D. C. : Le retour des soldats à la fin du conflit… Et tout particulièrement la séquence du militaire français qui rentre chez lui alors qu’est diffusée dans les rues la chanson « Mon homme »… Cette image me met les larmes aux yeux.

I. C. : Pour ma part, je dirais les images d’un Britannique qui se marie en uniforme, avec ces femmes qui dansent en ayant juste l’envie d’oublier ce que le pays a vécu. Nous essayons quand même de diffuser une note d’espoir, même si nous connaissons la suite tragique des événements.

Le regard parfois un peu méprisant sur la colorisation a-t-il changé ?
D. C. : Certaines mauvaises langues disent que les images doivent être en noir et blanc, sales et usées, car c’est dans cet état qu’elles ont été trouvées… Mais ces documents n’étaient pas détériorés dès leur origine. Notre rôle est donc de les restaurer. Ces reproches sur la remise en couleurs sont absurdes.

I. C. : Il y a aussi des avis positifs. Je me souviens d’un article très intéressant du Monde nous concernant et qui avait pour titre « L’histoire prend des couleurs ». J’ajouterais aussi qu’à notre époque les plus grands cinéastes ont adopté la remise en couleurs : Peter Jackson (réalisateur du Seigneur des anneaux) dans son film événement sur la Grande Guerre They Shall Not Grow Old a lui aussi restauré une centaine d’heures d’archives sur la Première Guerre mondiale en y apportant de la couleur.

Après les précédents numéros, on retrouve à nouveau Mathieu Kassovitz aux commentaires. Il est véritablement la voix de la collection Apocalypse ?
I. C. : Il a à la fois une violence froide et une tendresse profondément sincère. Je le trouve incroyablement authentique. De plus, il adore l’histoire. S’il y a une chose qu’il ne comprend pas, il n’hésite pas à le dire en expliquant qu’il préfère la raconter d’une autre façon. Nous aimons lorsqu’il s’approprie le film et qu’il nous apporte sa vision et son énergie. Je n’échangerais sa contribution contre aucune autre.

D. C. : Les gens ne s’en rendent pas compte, mais il faut une énergie incroyable pour poser sa voix sur un film d’une heure trente. Et il y parvient avec un engagement et une intelligence sans faille.  

Qu’est-ce qui vous rend le plus fier aujourd’hui ?
D. C. : Une jeune fille à qui je dédicaçais le livre d’histoire de troisième illustré avec des visuels d’Apocalypse m’a dit qu’elle avait enfin compris l’histoire grâce à moi. J’ai été extrêmement touché.

I. C. : Avoir la reconnaissance d’étudiants et de gens qui nous écrivent ou être repris dans des manuels scolaires est pour nous plus valorisant qu’obtenir les deux « T » de Télérama.  

La télévision est un moyen de rendre l’histoire plus accessible en somme ?
I. C. : L’histoire s’adressait souvent à ceux qui connaissent l’histoire. À nous deux, nous tentons de raconter le présent du passé. Nous sommes un peu des cinéastes de l’histoire.

D. C. : Oui, nous sommes un peu les cameramen de Napoléon et de Clemenceau (rires).

Quels sont vos prochains projets ?
D. C. : Le prochain film aura pour thème « La guerre des mondes » et retracera la guerre froide. Ce film que nous montons en ce moment sera diffusé sur France 2 en 2019.

I. C. : Je dirais tout simplement de continuer à prendre du plaisir et à travailler avec Daniel.

Propos recueillis par Yannick Sado

Claire Deshoux
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