Temps fort Semaine 38
Pour damer le pion à Moscou dans l’espace, le président Reagan lance, au début des années 1980, un incroyable projet qui doit assurer la sécurité des Américains. Raconté par ceux qui en ont été les acteurs ou les observateurs, ce premier épisode de la série documentaire « Intox »* revient sur la stratégie qui a permis aux États-Unis de mettre un terme, grâce à l’effondrement de l’URSS, à des décennies de guerre froide.
Le 23 mars 1983, dans une allocution officielle, Ronald Reagan crée la surprise. En annonçant le projet IDS (Initiative de défense stratégique) — baptisé « Guerre des étoiles » par les médias —, le 40e président des États-Unis rebat les cartes de « l’équilibre de la terreur », instauré depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale entre l’Est et l’Ouest. Parrainé par Edward Teller, le père de la bombe H, le programme prévoit de déployer autour de la Terre un système de satellites équipés de lasers capables de détruire d’éventuels missiles russes. En poste à cette époque à la Maison-Blanche, Thomas Gibson explique : « Le concept MAD — destruction mutuelle assurée —, où nous pointons une arme sur les Soviétiques et ils en pointent une sur nous, est ce que l’on appelle une “impasse mexicaine”. Reagan considérait que c’était indéfendable. » Alors que la course aux armements engloutit déjà 40 % du budget de l’URSS, le Kremlin ne peut rester sans réaction. « Le gouvernement soviétique a eu peur, relève le colonel Dmitri Trenin, membre de la délégation soviétique à Genève et négociateur en armement nucléaire et spatial (1985-1991). Il a ordonné aux services secrets de repérer les signes de préparation d’une attaque nucléaire sur l’Union soviétique. » Les forces de défense russes sont mises en alerte maximale et, à coup de millions de roubles, ses chercheurs sont sommés de ne pas laisser les Américains seuls en tête dans la course à l’espace.
Une stratégie à multiples facettes
Ancien agent des opérations clandestines de la CIA, Robert Baer commente : « La première fois que j’ai entendu parler du projet “Guerre des étoiles”, j’ai trouvé cela insensé. À la CIA, nous avions l’habitude des armes sophistiquées et rien ne correspondait à ce que nous en connaissions. Même chose au Pentagone. Quand on y repense maintenant, ce n’était que du vent. Je ne sais pas si Reagan y croyait, mais nous, les gens de terrain, on n’y croyait pas. » L’avenir va lui donner raison. Le « bouclier de la paix », qui s’avère en effet impossible à réaliser, sera finalement abandonné. Pour autant, Reagan n’a pas manqué sa cible.
Incroyable bluff technologique, sa « Guerre des étoiles » n’a été que l’un des leviers activés par son administration pour éradiquer ce qu’il considérait comme l’« Empire du Mal ». Dans ce but, Reagan scelle une « Sainte Alliance » avec le pape Jean-Paul II afin de déstabiliser la Pologne communiste, considérée comme le « ventre mou » du bloc communiste. Pour asphyxier financièrement son ennemi, dont le pétrole est la première source de revenus, il négocie un accord avec l’Arabie Saoudite. Invitée à inonder le marché de son brut, la monarchie du Golfe fait plonger les cours mondiaux, privant Moscou d’une manne indispensable pour la prospérité de ses citoyens. Profitant, enfin, de la guerre que les troupes russes mènent depuis 1979 en Afghanistan, il apporte un soutien financier et logistique aux moudjahidines, leur faisant livrer, via le Pakistan, des missiles Stinger.
« Reagan a programmé la destruction de l’Union soviétique. Pas physiquement, mais politiquement et au niveau de ses capacités militaires », rappelle Richard Perle, l’un des faucons de la Maison-Blanche et conseiller auprès du secrétaire d’État à la Défense (1981-1987). En novembre 1985, l’URSS est au bord du gouffre. Acculé, Mikhaïl Gorbatchev, le nouveau maître du Kremlin, est contraint de réduire de manière drastique les dépenses militaires. Le 9 novembre 1989, le Mur qui tombe à Berlin fait vaciller l’Ours rouge. Comme en a rêvé Reagan, l’URSS va bientôt disparaître et, avec elle, la guerre froide.
Christine Guillemeau
* À suivre prochainement dans La Case du siècle, deux autres épisodes de la série documentaire Intox : Irak, une véritable imposture et Italie, les années de plomb.
Série documentaire
Durée 3 x 52 min
Sur une idée de Arnaud Hamelin et Nicolas Glimois
Auteur-réalisateur Frédéric Tonolli
Conseillers historiques Michael T. Klare, Steve LeVine
Production Sunset Presse, avec la participation de France Télévisions et d’Al Jazeera Media Network
Année 2016
#lacase du siecle