Il entend. Il perçoit. Il goûte. Après le cinquième mois de grossesse, le fœtus entre en interaction avec son environnement, et ses gènes s’en souviennent. Romain Icard, réalisateur, a pénétré cet univers intime du futur bébé et nous invite à découvrir dans ce docu-fiction cette mémoire d’un autre monde.
Quel a été le point de départ de cette aventure ?
Avec ma productrice, Patricia Boutinard-Rouelle, nous avons discuté des nouvelles avancées scientifiques en matière de vie fœtale depuis dix ans et du magnifique film de Nils Tavernier, L’Odyssée de la vie. En effectuant quelques recherches, il nous est apparu qu’aujourd’hui, les médecins sont capables de prouver scientifiquement que l’environnement influence l’expression des gènes du fœtus et qu’ils peuvent entrer en interaction avec le monde fœtal, uniquement en cas de malformation lourde, notamment grâce à une chirurgie de pointe qui se pratique in utero.
Comment prouve-t-on l’influence de l’environnement sur le fœtus ?
Par l’épigénétique*. Cette science a prouvé ce que les psychologues, les haptothérapeutes** et la plupart des futures mamans tentent de démontrer depuis des décennies ou d’expliquer de manière empirique. L’environnement a une importance cruciale dans le développement du futur bébé. Ces preuves sont génétiques et biologiques et sont, aujourd’hui, indiscutables.
D’où votre postulat de départ : « Le jour de la naissance n’est pas le premier jour de notre vie »…
Nous ne naissons pas comme une page blanche. Nous possédons la mémoire de notre vie in utero. À partir du cinquième mois de grossesse, le fœtus commence à « goûter », au travers du liquide amniotique, les repas de sa mère. Il perçoit ses émotions, la lumière, les sons… Tous ces éléments vont impacter l’expression de ses gènes. Le professeur Storme parle de patrimoine génétique culturel. Mais, rassurons-nous, il n’y a pas de fatalité. Ces effets ne sont pas irréversibles.
Dans certains cas, l’interaction provient du corps médical. Est-elle très invasive ?
Certaines malformations exigent une chirurgie fœtale, comme l’hernie de coupole diaphragmatique***. En France, nous sommes à la pointe de cette chirurgie grâce au professeur Alexandra Benachi, qui a pris la succession du professeur Frydman à l’hôpital Antoine-Béclère, et Yves Ville, chef de service à Necker. Ils m’ont mis en contact avec plusieurs familles confrontées à cette difficulté.
Pourquoi avoir choisi le genre du docu-fiction ?
En rencontrant les médecins et les familles dans les services de néonatalogie et de gynécologie, je me suis vite aperçu de l’impossibilité de les filmer dans des moments aussi douloureux, où la mort s’invite parfois dans le processus de vie. Déontologiquement, c’était incompatible. Dès lors, la fiction s’est imposée. Nous nous sommes inspirés de la réalité de ces témoins pour donner corps à nos personnages. Les témoins racontent leur parcours, a posteriori, quand la charge émotionnelle est moins dense. Dans la forme, je me suis inspiré des meilleurs docu-fictions : Un cœur qui bat, Le Cerveau d’Hugo, Du baiser au bébé...
Comment avez-vous réalisé les images 3D du fœtus ?
Le studio français de création d’images 3D, Mikros Image, a réussi à créer l'image du fœtus très réaliste que nous souhaitions voir. Ils se sont inspirés de films échographiques très précis pour modéliser le futur bébé des pieds à la tête. On peut voir son évolution, ses mouvements, ses cheveux, le liquide aqueux dans lequel il évolue, même les particules qui y flottent. Tout cela sous l’œil vigilant de notre conseillère scientifique, le professeur Alexandra Benachi. Elle a supervisé tout le film, bien entendu, et particulièrement les images de cette chirurgie dite « du plug » qu’elle connaît parfaitement puisqu’elle l’a inventée.
Quels sont les prochains enjeux scientifiques ?
Faire progresser l’imagerie médicale et ainsi avoir des résultats en médecine fœtale sur d’autres pathologies diagnostiquées le plus tôt possible. Du point de vue de l’épigénétique, réussir à démêler et comprendre précisément les conséquences de l’environnement in utero. Une étude à mener après la naissance, sur l’enfant, l’adolescent et, plus tard, l’adulte pour pouvoir éventuellement corriger certains facteurs.
Propos recueillis par Diane Ermel
* L'épigénétique est un terme créé au XIXe siècle, puis redéfini par Conrad Waddington en 1942, qui désigne l'étude des influences de l'environnement cellulaire ou physiologique sur l'expression de nos gènes.
** L'haptonomie est la science des interactions et des relations affectives humaines. Elle permet d'entrer en contact (tactile) pour guérir. Elle est pratiquée pendant la grossesse également afin d’établir un contact affectif entre les parents et le futur bébé.
*** La hernie diaphragmatique congénitale (CDH) est un défaut postéro-latéral du diaphragme permettant le passage des viscères abdominaux dans le thorax et entraînant une insuffisance respiratoire et une hypertension pulmonaire persistante avec une haute mortalité. Cette pathologie touche un fœtus sur 2000. Elle le résultat d'une aplasie (arrêt du développement) diaphragmatique.
Nos bébés ont une histoire, c’est avant tout une promesse : celle de raconter comment un nouveau-né vient au monde, déjà marqué par ce qu’il a vécu au cœur du ventre maternel. La promesse aussi de dévoiler comment son cerveau en garde la mémoire et à quel point ce « premier » passé peut influer sur son devenir. Il s’agit, en somme, de raconter le roman de cette parenthèse prénatale. Une aventure où se croisent et s’entrechoquent science et poésie...
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Écrit par Romain Icard et Nathalie Saugeon
Réalisé par Romain Icard
Animation 3D par Mikros Image
Habillage graphique par 17 MARS
Musique composée par Pierre Adenot
Produit par Nilaya Productions
Avec la participation de France Télévisions
Raconté par Grégory Gadebois
Avec Alexandre Hamidi, Émilie Piponnier et Christiane Millet...
Durée 1h28 min
Professeur Alexandra Benachi
À 45 ans, cette gynécologue est une des créatrices (avec son collègue belge Jan Deprest) de la technique consistant à construire artificiellement des poumons à un fœtus. Elle pratique aujourd’hui cette technique dite du « plug » environ 25 à 30 fois par an dans son service. Elle a pris la succession de René Frydman à l’hôpital Antoine-Béclère. Elle est par ailleurs la conseillère scientifique du film.
Professeur Yves Ville
Chef de service à Necker, il pratique une cinquantaine d’interventions in utéro par an. Au sein de son service à la pointe de la recherche sont opérées, aujourd’hui, des malformations aortiques in utéro. Les médecins interviennent au laser dans certains cas de gémellités complexes.
Professeur Laurent Storme
Chef de service de l’unité néonatale Jeanne-de-Flandre, à Lille, c’est un des précurseurs en matière de recherche sur les relations mère / enfant au cours de la grossesse. Il fait partie du réseau international Dohad (Société des origines développementales de la santé).
Professeur Umberto Simeoni
Chef du service médico-chirurgical de pédiatrie de Lausanne, président de la Dohad, il fait figure de pionnier en matière d’épigénétique et d’applications de ces recherches théoriques sur le quotidien de l’enfant.
Professeur Benoist Schaal
Biologiste de renom, attaché au CNRS, il explore, avec ses collègues la manière dont nos sens, et plus particulièrement ce qui est en rapport avec l’olfaction et le goût, se développent pendant les premiers mois de la vie.