En 1999, beaucoup le tenaient au mieux pour un personnage terne, au pire pour un pantin. Aujourd'hui à la tête de la Russie, l'ex-lieutenant-colonel Vladimir Vladimirovitch Poutine est aussi un des maîtres du monde. Soutenu par des images d'archives rares et des témoignages de premiers plans (amis d'enfance, anciens collègues du KGB, partenaires et adversaires politiques), ce documentaire aux allures de thriller présenté par Laurent Delahousse permet de mieux cerner l'homme et son pays à l'heure où l'un et l'autre bouleversent les équilibres du monde. Explications avec le réalisateur Christophe Widemann.
Pourquoi un documentaire sur le chef de l’État russe ?
La collection "20 H 55 le jeudi" (auparavant "20 H 55 le dimanche"), initiée avec des films sur Ben Laden et sur le Vatican, propose des biopics documentés de personnages d’envergure exceptionnelle dont l’histoire épouse celle d’un pays, d’une région, du monde... Vladimir Poutine entre tout naturellement dans cette catégorie. C’est sans conteste un des hommes les plus puissants de la planète. À cela s’ajoute une dimension indéniablement romanesque. Lui consacrer un film permettait de mêler deux enjeux : raconter un pan de l’histoire contemporaine – l’URSS post-stalinienne, l’effondrement du communisme, la réorganisation de la Russie dans les années 90, le fonctionnement du pouvoir, ses coulisses – tout en racontant une trajectoire individuelle fascinante, celle d’un fils d’ouvriers pauvres, sauvé de la délinquance par une de ses institutrices et devenu officier du KGB, le parcours d’un homme de l’ombre qui, lorsqu’il accède au pouvoir, est vu par beaucoup comme une marionnette et qui, au terme d’une ascension fulgurante, concentre entre ses mains un pouvoir immense. L’histoire personnelle de cet homme en dit long sur la Russie d’hier et d’aujourd’hui, sur son rapport à la vie, à la mort, à la dureté et parfois à la cruauté. Et puis, elle nous permet de plonger dans un monde de coulisses, de complots, de manigances, de corruption, de mélange des genres...
Votre film réunit un grand nombre de témoignages de proches de Vladimir Poutine, de partenaires ou d’adversaires politiques. A-t-il été difficile de tourner en Russie et d’avoir accès à ces interlocuteurs ?
Pas tant que cela. Nous avons fait une demande de visa et d’autorisation de tournage. Il nous a fallu expliquer aux autorités russes quel était notre projet, en restant suffisamment vagues mais en présentant néanmoins une liste de personnes à interviewer la plus équilibrée possible. Ce n’était pas si difficile puisque notre film ne se veut ni à charge ni à décharge. Nous ne demandions pas aux gens de s’exprimer pour ou contre Poutine, même s’il y a forcément des personnes qui appartiennent à un camp ou à l’autre, voire qui affichent clairement leurs affinités ou inimitiés. Quoi qu’il en soit, on ne nous a pas fait de difficultés. Vous savez, les Russes, on est avec eux ou contre eux. C’est ainsi qu’ils voient les choses. Si nous étions allés enquêter sur des questions très précises, des sujets qui fâchent, la fortune cachée de Poutine, tel ou tel de ses amis, sa famille, les attentats de 1999 qui ont contribué à sa prise du pouvoir, etc., nous aurions eu des soucis, c’est certain. Mais notre démarche a été jugée suffisamment générale et équilibrée, sans doute. Les véritables difficultés sont souvent ailleurs, en fait. Dans la nécessité de faire le tri entre les points de vue, les thèses, les témoignages, la propagande... La notion de vérité est très complexe dans ce pays. Dans les propos des témoins de la jeunesse de Poutine, il y a sans doute pas mal de choses vraies. Mais leur récit cadre aussi très bien avec l’image que Poutine lui-même veut donner, celle d’un homme du peuple. Il est très rare de rencontrer quelqu’un qui dise la vérité ou qui ne dise que la vérité.
Quelques mots sur les partis pris formels de ce film...
C’est le mode d’écriture et la grammaire visuelle propres à Magneto Presse et plus particulièrement à cette collection. Des interviews posées – avec quelques principes de réalisation, comme ces photos projetées qui évoquent le personnage –, des archives retravaillées et enfin des séquences d’évocation. Ainsi, pour l’enfance et la jeunesse de Poutine, qui sont évidemment peu ou pas du tout documentées en images, nous avons recréé en studio l’appartement communautaire où il a grandi, ses cours au KGB, son séjour en Allemagne de l’Est en utilisant des « sosies de dos » ou des « sosies flous ». Ces moments qui jouent des codes de la fiction – et qui sont filmés comme tels, avec assistant réalisateur, chef op’, équipe technique, figurants, etc. – donnent une puissance extraordinaire au récit en conviant tout un imaginaire de thriller, d’espionnage, de complots, etc.
Quelle est l’ambition d’un tel film ?
Faire passer aux téléspectateurs un bon moment en leur apprenant des choses. Pour le reste, chacun se fera ou tentera de se faire sa propre opinion. Il y a des gens pour qui la fin justifie les moyens, ou plutôt pour qui des fins exceptionnelles justifient certains moyens hors normes, y compris par leur violence. Nous donnons cependant des pistes pour dépasser et remettre en question cette image de quasi-smicard incorruptible restaurant la fierté d’un peuple que véhicule la propagande. Elle est très éloignée de la véritable nature du pouvoir de cet homme. Ceux qui ont peur trouveront peut-être de quoi nourrir leur peur. Mais aussi de la relativiser. Il est vrai que Poutine concentre entre ses mains plus de force qu’aucun autre chef d’État car son pouvoir souffre peu de médiation. Mais la force de son pays est moindre qu’on veut bien le dire. Elle repose sur une économie à base d’hydrocarbures (c’est dire si elle est peu armée pour l’avenir), des têtes nucléaires, un siège à l’ONU, l’utilisation habile et opportuniste des faiblesses des autres... L’homme le plus puissant du monde est à la tête d’une puissance, pas d’une superpuissance.
Propos recueillis par Christophe Kechroud-Gibassier
Présenté par Laurent Delahousse
Produit par Magneto Presse
Réalisé par Christophe Widemann
Images : Ludovic Siméon
Rédaction en chef : Frédéric Martin
Durée 2h10 min
2016