Les poupées russes

Cinq ans ont passé depuis la colocation barcelonaise. Xavier a sauté le pas : il a plaqué les sciences économiques pour devenir écrivain. « Écrivain », pour l’heure, c’est un bien grand mot. Dans les faits, c’est plus compliqué et moins reluisant. Cela consiste surtout à enchaîner les travaux alimentaires : nègre pour plusieurs célébrités et starlettes de pacotilles, rédacteur, pisse-copie, scénariste d’une croquignole série télé, Passion d’amour à Venise, etc. Cela signifie aussi raconter des histoires, au propre comme au figuré : jouer du pipeau à sa banquière, baratiner de possibles employeurs, s’inventer une fiancée pour faire plaisir à son grand-père, etc. Évidemment, à force de raconter des histoires aux autres, et surtout des histoires d’amour, Xavier finit par s’inquiéter de ne pas en vivre lui-même. Un peu d’impatience, de frustration, donc, et l’impression persistante que la vie piétine un peu.

Du coup, son projet de roman n’avance pas. Son ex, Martine, est devenue sa meilleure amie. Maman d’un petit garçon, elle vit seule et cherche désespérément le grand amour. Isabelle, elle, vogue d’aventure en aventure. Journaliste financière, elle a bien réussi professionnellement. C’est elle qui accueille Xavier lorsqu’il se retrouve sans logement. Engagé pour écrire le scénario d’un feuilleton télé, il se heurte aux réticences des producteurs jusqu’à ce qu’il rencontre Wendy, de passage à Paris. Elle aussi scénariste, elle accepte de travailler avec Xavier sur son projet...

Tandis que la fraîcheur et la légèreté se sont estompées de L’Auberge aux Poupées, c’est aussi l’esprit de groupe qui a été sacrifié au cours de ces cinq années. Si l’on retrouve finalement – et brièvement – la petite tribu de Barcelone au grand complet pour un mariage sur la mer Baltique, l’action s’est resserrée sur cinq personnages : Xavier (Romain Duris) ; Martine (Audrey Tautou), l’ex un peu chieuse ; Isabelle (Cécile de France), la copine lesbienne ; William (Kevin Bishop), qui n’est plus le petit crétin de jadis ; et sa sœur Wendy (Kelly Reilly), qui cache bien son jeu… L’action s’est resserrée, donc, mais l’espace s’est dilaté. De métaphore communautaire, l’Europe est pour sa part devenue (dans des dimensions non encore officielles : de Londres à Moscou) le prétexte d’une course-poursuite à la fois sentimentale et littéraire, puisque, comme le remarque Xavier, une belle histoire d’amour – celle qu’il essaie d’écrire, celle qu’il essaie de vivre –, c’est d’abord une belle histoire.