Sherlock Holmes contre Conan Doyle

Conan Doyle aurait pu être un personnage de roman : médecin, aventurier, champion de cricket, boxeur, joueur de billard à trois bandes, inventeur du ski de compétition, du gilet de sauvetage et du canot pneumatique… Avec son mètre quatre-vingt-douze pour cent kilos, il est pourtant d’abord un écrivain de génie. Lui qui a toujours nourri le rêve d’écrire un grand roman historique va lutter pendant quarante ans contre le pouvoir grandissant de Sherlock Holmes, son personnage créé en 1886 à des fins alimentaires.

Un ancien professeur de médecine, régulièrement consulté par Scotland Yard, a inspiré à Doyle les talents d’observation exceptionnels de son héros et sa méthode scientifique de déduction. Le roman ayant été refusé par les éditeurs, les premières aventures de Sherlock Holmes sont finalement publiées en 1891 sous forme mensuelle dans le magazine anglais The Strand. « Une série de nouvelles formant chacune une histoire complète, mais reliée aux autres par les personnages : c’était quelque chose de nouveau », rappelle Roger Johnson, président de la Sherlock Holmes Society de Londres. Les lecteurs en redemandent ! Pour l’écrivain Anthony Horowitz, « Conan Doyle a inventé le roman policier moderne… La simple idée d’un récit en trois actes, commençant par un meurtre, puis l’enquête et la solution, personne ne l’avait eue avant lui ».

Un héros qui échappe à son créateur

Surtout, le personnage de Sherlock Holmes est atypique : asocial, antipathique, toxicomane… « Ce n’est pas le genre de héros qu’on a l’habitude de voir dans le rôle du héros », rappelle l’auteur Rémy Guérin. « Il y a une sorte d’alchimie dans ce personnage qui est à la fois détestable et en même temps remarquable. » Son colocataire et le narrateur des histoires, John Watson, médecin militaire blessé qui revient d’Afghanistan, est celui qui le ramène à la réalité ; c’est aussi lui qui établit le lien entre le lecteur et Sherlock Holmes. « Je crois, confie Anthony Horowitz, que c’est l’un des secrets du succès de ces histoires. » Le public s’enthousiasme pour ce détective dont l’adresse mythique et les attributs vestimentaires – la casquette de chasse, la loupe et la pipe recourbée – vont peu à peu s’installer dans l’imaginaire collectif. Jusqu’au point de lui donner une existence réelle… Conan Doyle reçoit des tonnes de courrier destiné à sa créature ! « Sherlock Holmes a échappé à son créateur, explique Rémy Guérin, et ç’a été très dur à vivre pour Conan Doyle. » « Il pensait qu’il valait mieux que ça comme écrivain, précise Anthony Horowitz. À ses yeux, Sherlock Holmes était comme une indignité, juste un divertissement. »

Un personnage transformé en mythe

Alors il décide de le tuer… La première fois en vain : il est rattrapé par la pression commerciale. L’argent du Strand lui permet d’écrire enfin, en 1892, sa grande fresque historique – La Compagnie blanche –, acclamée par la critique, mais dédaignée par le public. La seconde fois, il se venge et écrit une fin en apothéose pour son héros de papier, qu’il envoie périr, en décembre 1893, avec son ennemi juré et double inversé, Moriarty, dans les chutes d’eau suisses du Reichenbach.

Conan Doyle n’a cure des réactions révoltées du public et renoue avec la vie d’aventurier et sa passion pour le spiritisme. Mais, rattrapé à nouveau par ses lecteurs, il s’incline devant Sherlock Holmes et, en 1901, revient définitivement à son héros… Après la mort de son créateur en 1930, celui-ci n’a jamais cessé d’occuper les esprits, sous différentes formes. « Conan Doyle a très bien perçu la force double du personnage, analyse le psychanalyste Pierre Bayard. C’est pour ça que Sherlock Holmes est devenu un mythe. »

Anne-Laure Fournier

Sherlock Holmes contre Conan Doyle est le premier film de la collection Nous sommes une légende, en dix volets. Les deux prochains opus seront consacrés à Dracula, puis à Tarzan et Jane.