Temps fort semaine 42
Victimes de leur succès depuis trois quarts de siècle, les antibiotiques ont largement perdu de leur efficacité face à des bactéries de plus en plus résistantes aux traitements. Des germes qui tuent chaque année en France 12 500 personnes. Enquête sur un problème majeur de santé publique. Le documentaire de Caroline Diebold sera suivi d’un débat animé par Michel Cymes, Marina Carrère d’Encausse et Benoît Thevenet.
« Quand les sulfamides ont été commercialisés dans les années 1930, c’était fantastique. On pouvait traiter la fièvre typhoïde, les MST à gonocoque, les infections urinaires, les pneumonies… Puis l’arrivée de la pénicilline quelques années plus tard, ç’a été absolument miraculeux. […] Ces deux antibiotiques sont à l’origine des deux filières qui vont alimenter toutes les découvertes (ultérieures). » Le Pr Vincent Jarlier, bactériologiste à la Pitié-Salpêtrière, résume ainsi l’extraordinaire avancée qu’a représentée l’avènement de l’ère antibiotique. L’un des progrès majeurs de la médecine moderne. Soixante-dix ans plus tard, ces médicaments précieux sont en grande perte de vitesse devant les bactéries, au point d’inquiéter sérieusement les spécialistes.
Chaque année, en France, quelque 160 000 personnes sont hospitalisées pour une infection bactérienne multirésistante et 12 500 en meurent. Les traitements sont devenus plus longs, plus coûteux et moins efficaces. Pire, une récente étude britannique indique que, si la situation persiste, les antibio-résistances dans le monde pourraient entraîner un décès toutes les trois secondes en 2050. Une « véritable bombe à retardement » selon le Dr Thierry Naas, microbiologiste au CHU du Kremlin-Bicêtre.
Une baisse d’efficacité sensible
Face à la multiplication des antibiotiques et à leur administration en excès, les microbes ont riposté en s’adaptant et en mutant. Et ils ont pris de l’avance, d’autant plus qu’aucune nouvelle molécule n’a été mise au point depuis vingt ans. Le Pr Antoine Andremont, microbiologiste à l’hôpital Bichat, explique : « […] Aujourd’hui, les grosses unités de production de génériques se trouvent dans les pays du Sud, en Asie du Sud-Est, en Chine, en Amérique du Sud. Comme ils sont très utilisés dans ces zones-là, les bactéries y sont plus résistantes et elles reviennent vers les États-Unis ou l’Europe avec les produits alimentaires, les voyages, la mondialisation. » Certains patients font déjà les frais de la diminution d’efficacité des antibiotiques. C’est le cas de Gérard, un retraité de 69 ans, qui a dû être hospitalisé à domicile pour une cystite contractée vraisemblablement au cours d’un voyage à Bali. Malgré le traitement de choc, il a fait deux rechutes en l’espace de six semaines avant d’être tiré d’affaire. À l’instar de celle de Gérard, les infections graves à Escherichia coli (un germe très présent dans l’intestin) ont été multipliées par trois en dix ans. Mustapha, 31 ans, se bat, lui, depuis treize ans contre un staphylocoque doré. Contaminé lors d’une intervention chirurgicale à la suite d’un accident de moto, il est actuellement en impasse thérapeutique.
Une guerre de longue haleine
Soucieux, les spécialistes comme le Pr Andremont estiment qu’il est indispensable « aujourd’hui de réduire ce qui aboutit à la résistance, c’est-à-dire la consommation abusive des antibiotiques à notre disposition ». Éviter notamment les prescriptions inutiles, encore trop nombreuses, mais aussi la mauvaise observance et l’automédication des patients. À l’hôpital, où l’on a mis en place un protocole très strict de désinfection qui a permis de diviser par cinq le risque d’épidémie, on prône également une autre mesure très performante. Selon le Pr Bruno Grandbastien, hygiéniste, « le principal mode de transmission des bactéries, quelles qu’elles soient, est le manuportage, donc […] la méthode de référence, c’est la friction des mains avec un produit hydro-alcoolique ». En systématisant cette pratique, les établissements de santé ont remporté une première victoire : dans la dernière décennie, le nombre d’infections nosocomiales à staphylocoque doré a été divisé par deux. Le combat est également à mener du côté des animaux, car l’essentiel de la consommation mondiale d’antibiotiques concerne l’élevage ! À l’instar de ce qui se fait dans les pays du nord de l’Europe, le ministère de l’Agriculture a lancé un plan national visant à réduire de 25 % l’emploi de ces médicaments grâce, notamment, à la vaccination des bêtes. Depuis 2006, l’Union européenne a également interdit de les utiliser pour faire grossir les animaux, ce qui n’est malheureusement pas encore le cas ailleurs dans le monde.
Dans les laboratoires, les chercheurs essaient de mettre au point de nouvelles stratégies contre les superbactéries. D’autres s’intéressent à de vieux traitements comme la phagothérapie, une méthode vieille de quatre-vingts ans qui a recours à des virus et semble donner de bons résultats. Mais la guerre est loin d’être gagnée.
Beatriz Loiseau
Magazine
Durée 50 min
Présentation Marina Carrère d’Encausse et Michel Cymes, avec la participation de Benoît Thevenet
Réalisation Bernard Faroux
Production Pulsations, avec la participation de France Télévisions
Documentaire « Bactéries résistantes – La guerre est déclarée »
Durée 52 min
Réalisation Caroline Diebold
Production Pulsations, avec la participation de France Télévisions
Année 2016
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