Pauvres de nous

Les chiffres sont révoltants dans l’un des pays les plus riches de la planète : neuf millions de Français, soit un sur sept, vivent sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 1 015 € par mois. Pour ces hommes et femmes de tous âges et de toutes catégories socio-professionnelles, un sou est réellement un sou. Boucler les fins de mois relève de l’exploit. Mais, plus grave, cette réalité inacceptable, qui n’épargne personne, touche aussi un enfant sur cinq !

Mattéo, 12 ans, est un de ces gamins à qui le manque de moyens a fait perdre son insouciance : « Maman se débrouille toujours pour qu’on ait quelque chose dans notre assiette, des fois, c’est pas beaucoup (…). Même si je mange pas, je m’en fous, mes petites sœurs passent en premier, elles en ont plus besoin (que moi) pour grandir ; si un jour elles tombaient malades, je m’en voudrais à mort. » Dans cette famille recomposée de cinq enfants, on doit se contenter souvent de 800 € mensuels et chacun y met du sien. L’aînée, Maeva, 15 ans, donne des coups de main à une voisine et dépense les 10 ou 15 € qu’elle gagne ainsi au supermarché : « Maman est un peu gênée par rapport à ça, mais c’est pour qu’on réussisse à s’en sortir. » Consciente des difficultés financières de ses parents, l’adolescente ne regrette que « de ne pas pouvoir inviter ses copines à la maison, car ce n’est pas possible ».

Des situations très différentes

Avec un bac plus 6 et deux masters en poche, dont un à Sciences Po, Sébastien, 32 ans, s’est retrouvé dans une situation plus que délicate, après avoir perdu son emploi il y a trois ans. Hébergé par des amis pendant un temps, il a dû dormir six mois dans sa voiture avant d’obtenir un logement social : « Ma famille n’a pas les moyens de m’aider. Être précaire, c’est être dans une espèce d’antichambre de la vie, t’es pas vraiment dedans, mais t’es pas vraiment en dehors. C’est comme d’avoir un bracelet électronique. T’es chez toi, mais t’as pas de liberté, pas de boulot, pas d’argent, pas de vie sociale. » Erwan, la quarantaine, kiosquier à Paris depuis vingt ans, est devenu ce qu’on appelle un travailleur pauvre : « J’ai divisé mon salaire par trois parce que les ventes de la presse se sont effondrées ; je gagne entre 1 et 3 € de l’heure (…). Je ne pourrais pas tenir sans la subvention de la mairie, le soutien de ma compagne et de ma maman. Ce n’est pas normal à cet âge de demander de l’argent à ses parents. »

D’autres, comme Isabelle, 54 ans, qui a alterné travail à l’usine et petits boulots, survivent grâce au RSA : « On se lève en pensant à comment trouver un emploi, mais j’ai bien compris qu’à mon âge ils sont pas nombreux à vouloir de moi. Passé 43-45 ans, c’est beaucoup plus difficile. » Pour s’en sortir, Isabelle rend des services contre de la nourriture et vend des bougies et des produits de beauté sur les marchés : « Quand vous êtes dans la misère, il faut être un sacrément bon comptable ; c’est épuisant ; même les toilettes publiques sont payantes. » À l’instar d’un million de seniors en France, Marianne vit avec moins de 1 000 € par mois. Cette retraitée dynamique, qui « a basculé à cause de (sa) santé », est souvent obligée, bien malgré elle, d’accepter le coup de main de ses enfants pour finir ses mois. Et comme tant d’autres, malgré son invalidité, elle n’hésite pas à retrousser les manches pour faire des ménages dans les campings de sa région dès que l’occasion se présente.

Beatriz Loiseau