La France se noie

La nature se rebiffe. Depuis quelques années, les intempéries sont plus violentes, plus soudaines. Le réchauffement climatique y est pour beaucoup, bien sûr. Mais s’y ajoute une grande fautive : l’urbanisation galopante. Certaines constructions, parkings, routes, aménagements ont imperméabilisé les sols, empêchant ainsi les eaux de ruisseler. Les zones commerciales, elles, représentent en France pas moins de 20 000 kilomètres carrés, l’équivalent d’un département. « La France est un grand pays rural où on a de la place. Mais on n’a absolument pas vu que cela pouvait être problématique de s’étaler, avec les maisons individuelles, les centres commerciaux périphériques et leurs nuées de parkings… » déclare l’architecte urbaniste Ariella Masboungi. Le béton a gagné du terrain, or c’est un revêtement imperméable, redoutable, car, en cas d’orages violents, l’eau se transforme en véritable lame de fond.

Une multiplication d'épisodes extrêmes

Depuis les événements climatiques de juin 2010, le département du Var a été classé dix fois en état de catastrophe naturelle. La plaine de l’Argens est sans cesse menacée par les crues. Dans cette région, l’horticulture représente un énorme enjeu économique — 590 exploitations, près de 2 000 emplois et 110 millions de chiffre d’affaires par an. Bruno Bury, horticulteur et leader sur le marché européen, installé là depuis 1980, a été deux fois sinistré depuis 2010. Pour lui, il n’y a guère d’espoir : « De l’eau, il y en a toujours eu, mais maintenant toutes les villes qui se sont développées à outrance sont en danger, sans exception. » Stéphane Morféa, l’un des plus gros maraîchers de France, qui résiste encore, renchérit : « Avant, l’eau montait tranquillement et déposait du limon, les inondations étaient donc bénéfiques, mais maintenant l’eau monte vite, ravine et fait d’énormes dégâts. »

© Eclectic Presse

« (L’urbanisation) génère de la richesse, de l’emploi, mais si on ne fait pas attention aux dommages collatéraux et qu’on ne les corrige pas, où est l’intérêt de créer de la richesse d’un côté et de démolir de l’autre ? À moins que ça ne rapporte à un côté ! » s’exclame Bruno Bury. Pourtant, les inondations ont coûté à l’État et aux assureurs, ces cinq dernières années, 5 milliards d’euros. Mais des promoteurs sont toujours à l’affût de terrains. Des vagues de nouveaux propriétaires amnésiques des catastrophes s’installent… Construire, construire, profiter au risque de tout détruire. Cela semble être la devise de la France.

« Les autorisations de (construction) de zones commerciales périphériques sont en croissance, alors que l’Europe du Nord n’en construit plus (…). Pour les Pays-Bas, le contre-modèle est le modèle français », explique Ariella Masboungi. « Cette urbanisation, elle tue », insiste Geneviève Azam, économiste et essayiste. Entre les enjeux financiers, la lourdeur administrative et le mode de vie des Français, le combat semble donc loin d’être gagné.

Un urbanisme amnésique

Le documentaire revient sur ce qui s'est passé à La Faute-sur-Mer. Cette petite ville de Vendée a été en partie engloutie lors de la tempête Xynthia, dans la nuit du 27 au 28 février 2010, l’une des plus meurtrières qu’ait connues le territoire français métropolitain depuis plusieurs décennies. L’ancien maire de la commune, René Marratier, et son adjointe, Françoise Babin, ont été condamnés en première instance, en décembre 2014, à respectivement quatre et deux ans de prison ferme pour « homicides involontaires aggravés » et « mise en danger de la vie d’autrui » [Ndlr : la Cour d’appel de Poitiers rendra son verdict le 4 avril 2016]. « Cela marquera, dans l’esprit de nos compatriotes et de nos élus, qu’il y a des comportements qu’on ne peut plus accepter », affirme l’avocate Corinne Lepage.

Mais tout peut-il reposer sur les épaules d’un seul homme ? L’imprévoyance et l’avidité de certains élus, des promoteurs prompts à ignorer les mises en garde et à bétonner de plus en plus pour des profits financiers ou politiques rongent le pays. On sait pourtant que des zones entières vont disparaître. Alors faudra-t-il attendre le « déluge » pour qu’il y ait un éveil de la conscience humaine ? Geneviève Azam prévient : « Nous devons concevoir à nouveau notre façon d’habiter cette Terre. »

Françoise Jallot