Une soirée continue avec, tout d’abord, le téléfilm Ne m’abandonne pas, suivi d’un débat intitulé Qui sont ces jeunes qui partent faire le djihad ?, animé par Julian Bugier, qui donnera la parole à des parents d’enfants partis en Syrie et à des experts spécialistes de l’antiterrorisme, du djihadisme et de la famille.
Sélectionné au FIPA, Ne m’abandonne pas, raconte le combat d’une mère pour empêcher sa fille, fraîchement endoctrinée par la propagande djihadiste, de rejoindre la Syrie. Le film est servi par un casting de choix : on retrouve notamment Samia Sassi et Lina Elarabi dans un duo mère-fille époustouflant et Marc Lavoine et Sami Bouajila en pères désarmés face à un enfant devenu étranger.
Le jour où Inès, médecin urgentiste, découvre que Chama, 17 ans, a épousé sur Internet un djihadiste et qu’elle s’apprête à le rejoindre en Syrie, sa vie bascule. Pour tenter de sauver sa fille de l’embrigadement dont elle est victime, Inès va jusqu’à la séquestrer dans une maison loin de tout. Mais Chama, totalement endoctrinée, n’a pas l’intention de renoncer à ce qu’elle croit être sa destinée. Inès redoute plus que tout de voir sa fille partir malgré tout. La garder auprès d’elle, de force s’il le faut, et l’isoler, est la seule solution selon elle pour la sortir de l’influence néfaste de ceux qui l’ont fait basculer…
Durée : 1 h 30
Réalisation : Xavier Durringer
Scénario, adaptation et dialogues : Françoise Charpiat et Aude Marcle
Directrice littéraire : Clémentine Vaudaux
Avec : Lina Elarabi, Samia Sassi, Marc Lavoine, Sami Bouajila, Tassadit Mandi, Sofia Lesaffre
Production : Scarlett Production, avec la participation de France Télévisions
Comment est née l’idée d’écrire une fiction sur l’endoctrinement religieux, plus précisément sur ces jeunes Français qui se convertissent à l’islam et décident de partir faire le djihad en Syrie ?
Aude Marcle : En janvier 2014, Françoise Charpiat et moi avons entendu parler de cette jeune fille, à Avignon, qui, à 15 ans seulement, était partie faire le djihad en Syrie, et ce totalement à l’insu de sa famille et de ses proches. Le djihad, ce n’était pas une chose dont nous étions coutumières. Ce qui nous a frappées, voire même tristement fascinées, c’est comment une fille, une sœur, une amie puisse devenir, très rapidement, une étrangère sous nos yeux, sans que personne ne s’en rende compte.
La réalité a vite rattrapé la fiction…
Françoise Charpiat : Le synopsis était clair dès le départ. L’idée était de partir de ce fait divers sur une famille qui avait vu sa fille quitter la France pour la Syrie. L’écriture était déjà bien avancée quand les attentats de Charlie Hebdo se sont produits. On a dû reprendre nos esprits et le texte aussi. On ne savait plus très bien comment prendre le sujet…
A. M. : La réalité dépasse la fiction, et de loin. Ces événements nous ont effarées, comme tout le monde. Ils ont confirmé que nous touchions du doigt un phénomène. On les a intégrés dans l’écriture pour rester crédibles dans le discours des personnages.
La relation mère-fille est au cœur du film. Pourquoi avoir choisi cet angle ?
F. C. : À la lecture de l’article consacré à la famille dans le journal La Provence, Aude Marcle et moi nous sommes tout de suite mises dans la peau de la mère. En ce qui me concerne, ma première réaction aurait été d’emmener ma fille, de l’isoler. C’était assez épidermique. Par ailleurs, nos lectures et les témoignages de sociologues, psychologues, experts — tels que le juge Trévidic — valident cette réaction. Il faut tenter de ne pas perdre le lien. Pour garder sa fille auprès d’elle, Inès (la mère, interprétée par Samia Sassi, NDLR) en arrive à des moyens extrêmes : elle l’endort, la kidnappe, l’isole dans une maison de campagne… Malgré tout, c’est un amour infini, avec un côté sauvage, presque animal. D’abord, elle lui sauve la vie, et après, elle verra. Le principal est que sa fille ne parte pas, qu’elle ne meure pas.
A. M. : C’était intéressant de creuser ce lien qui était plus fort que tout, ce lien d’amour entre les deux femmes. Celui de la mère est intact. Et elle s’y accroche pour essayer de récupérer sa fille, lui éviter l’abîme dans lequel elle est en train de sombrer. Ce doit être effroyable de voir la chair de sa chair, en qui on a toute confiance, dont on est fière, pour qui on voit un avenir joyeux, radieux, se transformer en une étrangère totale et hostile.
Le film questionne le sujet du désendoctrinement, un processus peut-être encore plus délicat que l’endoctrinement lui-même…
F. C. : L’endoctrinement crée des êtres déshumanisés. On leur dit que la famille est l’ennemi, qu’ils sont les élus, qu’ils ne pourront jamais être compris. En tout cas, le désendoctrinement est un processus extrêmement individuel. Dans le film, on en donne un exemple avec Manon, une jeune fille revenue de Syrie qui ne voulait pas ouvrir les volets de peur de voir le diable venir la chercher. C’est un endoctrinement total, de l’âme, du corps, du cœur. Au Danemark, les spécialistes s’inspirent de programmes de désendoctrinement de nazis pour contrer le problème. En France, on fait des choses, mais on n’en est presque encore qu’au stade expérimental. C’est normal. Le phénomène est très neuf.
A. M : Il fallait que cette mère fasse quelque chose. On s’est demandé comment faire avec de petites armes face à une jeune fille aussi radicale qu’hostile. En lisant, on s’est rendu compte qu’essayer de raisonner quelqu’un d’endoctriné ne fonctionne pas. Ça ne sert à rien d’avancer des arguments sensés. Dans le film, on voit bien, à un moment donné, que la mère cesse de discuter, tout comme la fille. Il faut davantage tenter de rentrer par la petite porte du sentiment amoureux, filial. Dire à son enfant qu’on l’aime, ça paraît une arme dérisoire. Pourtant, c’est la seule arme qui reste.
Le film aborde aussi une nécessité douloureuse pour les parents : celle de dénoncer son propre enfant…
F. C. : Oui, on a pris la mesure de la complexité de cet acte en parlant avec les associations qui viennent en aide aux parents concernés par la radicalisation de leur enfant. La vie qui s’ensuit est hypothéquée par cette dénonciation. C’est pourtant ce qu’il faut faire pour le protéger, même si beaucoup passent encore entre les mailles du filet, grâce à de fausses cartes d’identité, de l’argent. Inès est prête à tout pour sa fille Chama, interprétée par Lina Elarabi, mais pas à la dénoncer.
Y avait-il des écueils à éviter avant d’aborder un tel sujet ?
A. M. : Nous avons fait très attention à ne pas faire d’amalgame. En ce sens, les personnages ne devaient être ni tout noirs ni tout blancs. Le problème de la radicalisation ne touche pas exclusivement les familles musulmanes, ni les milieux défavorisés. Dans Ne m’abandonne pas, la mère est médecin, issue d’une immigration plutôt bourgeoise même si ce sont des réfugiés politiques, la jeune fille a fait des études… Mais comme dans tous les cas où l’individu se réfugie dans un environnement sectaire, il y a certainement des failles intérieures importantes à l’origine de ce besoin d’appartenir à un autre groupe. On voulait vraiment faire en sorte que rien ne soit simple, peut-être pour inciter tous les parents à se poser des questions sur leurs enfants, des questions pas nécessairement en lien avec la radicalisation islamiste mais aussi avec l’adolescence.
Un mot sur le casting ?
A. M. : Je suis ravie ! Je ne connaissais pas Lina Elarabi. Elle est époustouflante. Samia Sassi est parfaite aussi. Pour Françoise et moi, c’était très important que ce duo fonctionne. Toute l’ossature du film reposait là-dessus. Marc Lavoine, lui, est tout en fragilité. Il est assez impressionnant dans ce rôle. Et j’adore Sami Bouajila… C’est vraiment un joli cadeau qu’après l’écriture les comédiens aient trouvé de quoi rendre aussi parfaitement cette histoire.
F. C. : Notre crainte reposait précisément dans ce duo mère-fille. On avait peur qu’il n’y ait que de la colère, qu’on ne voie plus assez d’amour. Parfois, elles retrouvent un peu de leur complicité ; en tout cas, on sent que ça a existé. C’est très réussi. Je suis aussi très contente de Marc Lavoine, qui joue avec beaucoup de sobriété. Il est très émouvant, et j’ai eu plusieurs fois envie de pleurer à le voir seul, devant ses ordinateurs.
Débat
Présentation : Julian Bugier
Rédaction en chef : Ophélie Radureau
Réalisation : Philippe Lallemant
Production : MFP
Qu’y a-t-il de commun entre une jeune fille suspectée d’avoir voulu commettre un attentat sur le sol français, un jeune couple parti avec son enfant faire « de l’humanitaire » en Syrie et un jeune homme prêt à tout quitter pour mourir en martyr ? Peu de choses, et pourtant… Ils ont tous été embrigadés pour devenir des combattants de Daesh.
Ils seraient plus de 1 700 Français, selon le ministère de l’Intérieur, impliqués dans les filières djihadistes. Parmi eux, la majorité a moins de 25 ans.
Qui sont ces jeunes qui partent faire le djihad ? Pour quelle raison décident-ils de s’engager volontairement ? Pourquoi reviennent-ils en France ? Quelles sont les techniques d’endoctrinement utilisées par Daesh pour les séduire ? Enfin, quelles sont les solutions mises en place par le gouvernement pour prévenir cette radicalisation ?
Pour répondre à ces questions, Julian Bugier donnera la parole sur le plateau à la Lina Elarabi, comédienne, Ben, père d’un garçon de 15 ans parti en Syrie (où il est resté vingt jours) et qui a été récupéré par son père à la frontière turque, Dounia Bouzar, anthropologue. Les experts suivants donneront également leur avis : Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la Famille, de l’Enfance, des Personnes Âgées et de l’Autonomie, de Béatrice Brugère, ancien juge antiterroriste, secrétaire générale du syndicat FO Magistrats, et de Hugo Micheron, spécialiste du djihadisme, doctorant à l’IEP de Paris.