Interview de Frédéric Lopez

Interview de Frédéric Lopez

Frédéric Lopez range son passeport, du moins pour Rendez-vous en terre inconnue... Même s'il compte bien rester présent derrière la réalisation du programme, l'animateur a décidé de passer la main à Raphaël de Casabianca. Quinze ans de rencontres extraordinaires et d'émotions parfois difficiles à mettre de côté...
Frédéric Lopez explique sa décision et nous raconte la saveur particulière de sa dernière aventure en terre inconnue.

C’est votre dernier Rendez-vous en terre inconnue… Pourquoi arrêter ?
Oui, j’ai décidé de passer le relais à Raphaël de Casabianca, d’Échappées belles. Je suis très heureux d’avoir trouvé quelqu’un de sincère, qui aime les gens et qui ne triche pas pour reprendre la suite.
Vous savez, avec Franck Desplanques, le rédacteur en chef de l’équipe, on a vécu des émotions très fortes pendant toutes ces années. Bizarrement, on n’en parlait pas entre nous, de cette difficulté à nous en remettre. Pourtant, des invités nous avaient bien dit : « C’est cruel, ton truc ! Tu nous présentes des gens formidables, et quand on les aime, on leur dit adieux ! » Et puis, quand c’est Thomas Pesquet, un scientifique, avec une sensibilité d’ingénieur, qui vous dit : « C’est brutal », on finit par réaliser ce qu’on s’est infligé, on en vient à l’évidence que toutes ces émotions, tous ces déchirements, tous ces adieux, c’était beaucoup pour un seul homme et qu’il était peut-être temps de passer la main...  
Quand j’ai annoncé ma décision sur les réseaux sociaux, les internautes ont dit : « Merci pour ce que vous avez fait, on vous comprend. » Je ne pensais pas être compris. C’est important pour moi de le dire. Je sais aujourd’hui que j’ai fait le bon choix. 

Quelle saveur avez-vous donnée à votre aventure, en sachant que c’était la dernière ?
J’étais conscient que, tout ce que je vivais, c’était pour la dernière fois. D’une part, avec mon équipe, avec qui j’ai parcouru le monde, dans des conditions extrêmes… Je suis entouré des gens les plus doués du métier sur le plan mondial – le réalisateur, Pierre Stine, est le chouchou de National Geographic ! Ce sont des talents qui mettent tout en œuvre pour arriver à un film qui, on l’espère, va toucher des millions de gens. Ensemble, on est allé dans le cœur des hommes. C’était comme un huis clos au sein de paysages époustouflants. Et puis, d’autre part, il y a la confiance, à la fois des invités, qui partent les yeux fermés, et celle des gens qui nous reçoivent. Je continuerai jusqu’à mon dernier souffle à être bouleversé par cette confiance qui nous est donnée…

En 15 ans d’émissions, que retenez-vous ?
Toutes ces rencontres, dans des environnements extrêmes, avec des gens différents en apparence, nous disent beaucoup du petit sapiens que nous sommes, de sa capacité d’adaptation et, surtout de coopération. Les chercheurs savent très bien que nous en sommes arrivés là grâce à la coopération. Or, aujourd’hui, dans le monde occidental, c’est un peu le contraire qui est préconisé. On y met en avant la compétition et la comparaison. On célèbre celui qui a le plus accumulé, contrairement aux Kogis, par exemple, qui vont célébrer celui qui est le plus capable d’aider. Ces peuples autochtones m’ont appris qu’il n’y a pas une seule représentation du monde. Dans les Cévennes, où je suis parti pour Nos Terres inconnues, j’ai retrouvé les mêmes valeurs. On s’est rendu compte, là-bas, que les gens parlaient tous de liens, entre eux, à la nature, de respect.

Un souvenir particulier ? 
Il y en a beaucoup, mais je me souviens spécialement de Sissay (Rendez-vous en terre inconnue avec Adriana Karembeu, NDLR) qui a sauvé sa fille de 12 ans d’un mariage arrangé après avoir, selon ses mots, « enterrée vivante » la première. Il était pourtant menacé par la famille du promis, par sa propre famille qui avait honte de lui. Cet homme humble, à l’autre bout du monde, est comme l’arbre au milieu de la rivière. Ça donne de l’espoir.

Frédéric Lopez et Thomas Pesquet avec les Kogis

 

« Évidemment, tout n’est pas bon dans la tradition.
Il y a alors un être humain, un petit sapiens
qui se met à contre-courant. Et ces personnes 
à contre-courant, elles me touchent. »

Voyage singulier, invité exceptionnel... Pour sa dernière aventure à l'autre bout du monde, Frédéric Lopez a le plaisir d'être accompagné du spationaute Thomas Pesquet. Ensemble, ils partent à la rencontre des Kogis, sur les terres de la Sierra Nevada, en Colombie.

 

Thomas Pesquet avec Frédéric Lopez

Le choix de votre dernier invité n’est certainement pas anodin. Pourquoi s’est-il porté sur Thomas Pesquet ?
Quand Thomas était dans l'Espace, on a appris avec mon équipe qu'il aimait Rendez-vous en terre inconnue. On était très flatté d'imaginer que cette personne extraordinaire, qui me fascine au plus haut point, était fan de ce qu’on faisait. 
Nous, on vit des aventures les yeux dans les yeux, à hauteur d’hommes. Lui, il est parti voir la planète et l’humanité de loin. C’est quelque chose d’extrêmement romanesque, d’existentiel même. On ne pouvait pas ne pas lui proposer, et on était fous de joie qu’il accepte, d’autant plus qu’il a fait ça sur ses jours de congés personnels. Pour la dernière, être accompagné d’une telle personnalité, très humble et extraordinaire, qui a un peu vécu l’aventure ultime, allait donner une autre dimension à l’émission. 

N’aviez-vous pas de crainte à l’idée de partir avec quelqu’un qui a appris à contrôler ses émotions ?
Effectivement, pour la première fois de ma vie, un invité m’avoue n’être pas très connecté à ses émotions. Pendant le voyage, il m’a même répété : « Je ne sais pas si tu réalises la personne que tu as en face de toi : j’ai été entraîné à m’asseoir dans un engin qui part dans l’Espace et qui peut exploser d’une seconde à l’autre. Alors si j’étais émotif, tu imagines ! » Thomas Pesquet est fait d’un bois particulier, et son honnêteté m’a beaucoup touché. Je me suis dit que ça allait être un challenge incroyable. Comment réagira-t-il ? Comment, quand on a cette sensibilité-là, quand on se protège à ce point, vit-on ce genre d’aventure ? Quel suspense !

Pour reprendre les mots de l’hôtesse de l’air à votre arrivée à l’aéroport, c’est un peu « monsieur Parfait »… 
Oui, c’est l’image qu’on a de lui, et c’est un peu vrai. Il a une personnalité très particulière : il vous met à l’aise, il vous décomplexe, il est souriant, cool. En même temps, Thomas précise qu’il a un peu le syndrome du premier de la classe. Tout doit être parfait. Je dois avouer qu’il a une capacité d’adaptation assez exceptionnelle. Il se décrypte lui-même en permanence, et à travers ses mots à lui, son recul, sa capacité à analyser, on comprend ce qu’ont vécu les autres invités – surtout des artistes – ; il donne du crédit à tous leurs témoignages.  

Vous avez donc emmené notre héros national en Colombie, sur la Cordillère des Andes, dans la communauté des Kogis…
Oui, cette fois, on est allé voir un peuple qui ne reçoit pas facilement. Depuis 500 ans, les Kogis sont maltraités. Ils ont d’abord été décimés par les conquistadors. Puis, après s’être réfugiés dans les montagnes, ils ont été victimes des guerillas, des Farcs, des paramilitaires, des trafiquants de drogue… L’histoire les a rendus extrêmement méfiants vis-à-vis de l’extérieur. Gagner leur confiance était donc un enjeu majeur. 

Ce voyage était-il aussi l'occasion de confronter une vision ancestrale de l’humanité avec celle d’un spationaute qui incarne le futur ?
C’est vrai que le titre de cette émission aurait pu être Le Spationaute et les Chamans ! D’un côté, on a un scientifique hyper documenté qui, depuis l’Espace, a développé une vision globale et objective de l’activité humaine sur la planète et qui ne comprend pas très bien le concept des frontières. De l’autre, on a des gens extrêmement intuitifs et spirituels. Pourtant, tous partagent certaines vues sur l’état de la planète et le comportement de l’humanité. Me retrouver face à ces êtres humains qui ont des sensibilités complètement différentes et qui, finalement, arrivent à partager des points de vue et même à tomber d’accord, c’était inouï. 

Comment les Kogis ont-ils accueilli l'aventure de Thomas dans l'Espace ?
Il y avait deux typologies de questions : celles – nombreuses – des femmes portaient sur des aspects pratiques, concrets : « Comment te lavais-tu ? Comment faisais-tu pour manger ? » ; puis celles des hommes, d’ordre plutôt existentiel. 
Je crois que l’aventure de Thomas les a confortés dans leurs croyances… Les Kogis s’appellent eux-mêmes les grands frères, et nous, nous sommes les petits frères. Ils vivent en harmonie avec la nature depuis la nuit des temps. Les chamans ont cette idée qu’ils ne doivent pas briser l’équilibre, qu’ils ne doivent pas être une contamination pour la Terre. Alors, quand ils voient notre mode de vie, pour eux, c’est une catastrophe, c’est très violent.
S’ils ont accepté de nous recevoir, c’est pour délivrer un message. Mais ils n’avaient pas réalisé que d’autres gens sur cette Terre travaillaient également à améliorer le sort de la planète. Thomas les a réconfortés en leur annonçant qu’ils n’étaient pas seuls dans ce combat. 

Vous êtes donc restés trois semaines dans une communauté très attachée à la spiritualité, à la terre nourricière…
Oui, on a vécu des scènes très fortes. Le soir, par exemple, on se retrouvait dans une maison qui s’appelle la « nuhué ». À un moment, il y avait à l’intérieur 300 personnes. Elles sont toutes habillées en blanc, avec des cheveux longs, elles se tournent le dos, vous ne croisez aucun regard. C’était inédit pour moi. 
Aussi, dès notre arrivée, Thomas et moi avons suivi une cérémonie de près d’une heure. Les chamans nous ont demandé de leur laisser nos pensées négatives. C’est un sujet que je trouve fascinant et sur lequel je travaille – j’ai découvert la méditation pleine conscience il y a 10 ans. Les Kogis ignorent toutes les recherches occidentales sur l’effet de la méditation sur l’esprit. Ils se basent sur leur intuition et leur tradition ancestrale. 
L’équilibre est une notion très importante pour eux. Pour eux, on est tous reliés les uns aux autres, à la nature. Ce n’est pas une vision chamanique du monde. Tous les scientifiques expliquent que l’écosystème s’effondre dès qu’un animal disparaît. Quand j’ai remercié la femme pour le repas qu’elle nous avait préparé, elle a dit non, c’est la Terre qui nous l’offre qu’il faut remercier. Notre nourriture est tellement transformée qu’on oublie cette réalité pourtant si évidente. J’aime bien ce choc émotionnel que des petites phrases comme celles-ci provoquent. 

Vous avez été accueillis spécifiquement par trois frères : Felix, Santos et Antonio. Qui étaient-ils ?
Je les vois comme des princes, tout de blanc vêtus. Et ils ont « la classe », pas seulement physiquement : ils ont la classe dans leur tête. Ce sont des gens bien. Ça paraît bizarre de dire ça, mais ils ont une éthique, et leur sourire a une valeur inestimable.
Felix, il est jeune, il ne connaît pas son âge. Parfois, il parlait comme un sage, puis il faisait des blagues avec beaucoup d’humour : c’était un sage facétieux ! Quant à Antonio, le petit frère, chez nous, on appelle ça un enfant surdoué. Il est d’une maturité incroyable. Au lieu d’aller s’amuser comme un gamin de son âge, il écoutait tout, posait sans cesse des questions à Thomas, il était dans une sorte de soif d’apprendre. L’attachement était donc très puissant, et à notre départ, on ne sait pas quel sera son destin. Thomas a la sensation que ce gamin si bienveillant, si curieux, si intelligent, pourrait choisir son avenir s’il était chez nous. C’est difficile, parce qu’on ne peut pas s’empêcher de transposer. Qu’est-ce qui est mieux pour lui ? Être dans un bureau dans une grande ville ou dans la nature avec sa famille ? 

Après votre séjour dans les montagnes, vous descendez « en ville ». Le choc a l’air brutal… 
Oui. On était dans un environnement sans aucune nuisance : pas de téléphones portables, pas de mails auxquels répondre, on est ici et maintenant. Et d’un coup, vous arrivez en ville. Là, c’est un enchaînement de coups de Klaxon, de bruits de moteur, de gros camions, de produits dont on n’a pas besoin mais qu’on nous propose d’acheter. En fait, tout est une agression. C’est presqu’un monde parallèle – qu’on ne peut pas juger puisqu’on y participe tous –, où des milliards sont consacrés à des publicités pour créer des besoins, donc des frustrations. C’est assez violent, oui. Ce sont des voyages qui remettent en question beaucoup de choses…

 

Propos recueillis par Aline Guyard. 

Contact Presse

Isabelle Cibrélus
Chargée de Marketing Numérique Martinique La 1ère