Le monde des océans nous est étrange.
Le poisson est taciturne. Jamais un mot plus haut que l’autre. Il ne parle pas pour ne rien dire. Il est difficile de savoir ce qu’il pense. Il n’a pas de paupières et ne ferme jamais l’œil. Il a le regard effrayant de celui qui est toujours en action, jamais apaisé, toujours à la recherche. Il est notre plus ancien remords. La sévère mademoiselle Champion, qui vient d’être nommée chef de service à la sous-direction des Ponts et Chaussées de la région Grand-Ouest, et qui plusieurs fois eut maille à partir avec certains supérieurs, est d’accord avec la plupart des mérous : « il vaut mieux bouffer les autres que se faire bouffer ».
On peut bien sûr opter pour des comportements plus pacifiques. Ce n’est pas faire injure au concombre des mers que de signaler qu’il n’a pas un physique facile, facile... Par exemple, comment vivre une vie sociale épanouie quand sa bouche est située pile à côté de son anus, qui par ailleurs est un refuge pour les petits poissons craintifs ?
Le poisson est un être courageux qui même dans l’océan Arctique ne se plaint jamais de la fraîcheur de l’eau. Il ne se mouche pas, n’éternue jamais. La mère du poisson ne lui fait jamais de réflexions déplacées du style « Où es-tu encore aller te fourrer, tu es trempé ? »
Le poisson est un être particulièrement intrépide, qui n’hésite pas à nager sitôt après avoir mangé, quand les hommes craignant l’hydrocution attendent deux heures après chaque repas avant d’aller piquer une tête. Qui a déjà évoqué l’imprudence congénitale du poisson ?
Avant de porter des lunettes de soleil, des gourmettes, des tatouages ou des rouflaquettes, avant de n’oser se baigner qu’en périodes estivales et sous certaines conditions météorologiques, les hommes, il y a des millénaires, ont été des poissons.
C’est dire si leur comportement semble à la fois si proche et si lointain, si familier et si exotique.
François Morel