21 rue La Boétie

« Mon grand-père Paul a voué toute sa vie à l’art. Ses toiles, c’était toute son œuvre, sa vocation, son ambition. J’ai voulu redonner vie à un personnage qui était un grand monsieur, discret, et à qui le marché et le monde de l’art devaient beaucoup », raconte la journaliste Anne Sinclair. S’appuyant sur le livre que lui a consacré sa petite-fille et porté par sa voix, ce documentaire retrace la vie du grand marchand d’art Paul Rosenberg (1881-1959). Sensibilisé à la modernité par son père, qui possède une galerie d’objets d’art et de curiosités, il a son premier choc esthétique vers 10 ans devant La Chambre de Van Gogh à Arles. « Le plancher me semblait courbe et les meubles me donnaient l’impression de danser et de vouloir, comme dans un dessin animé, sauter de la toile et fuir par la fenêtre, écrit-il. […] Trente ans plus tard, je l’ai vendu à l’Art Institute, le célèbre musée de Chicago. »

Une figure influente du marché de l’art

21, rue La Boétie. © Image et Compagnie

En 1910, Paul et son frère Léonce ouvrent chacun leur galerie. Si Léonce n’expose que les artistes se réclamant du cubisme, Paul mélange les styles au 21, rue La Boétie, dans le VIII^e arrondissement de Paris. Les toiles des peintres modernes sont exposées au rez-de-chaussée, financées par les ventes des tableaux des maîtres du XIX^e siècle du premier étage. Une association qui fait de lui l’un des marchands d’art européens les plus influents de l’entre-deux-guerres. Ami intime de Marie Laurencin et de Pablo Picasso, il signe des contrats d’exclusivité avec Georges Braque, Fernand Léger, Henri Matisse… Dès les années 1920, il cherche à faire connaître aux États-Unis la peinture qu’il aime et multiplie les expositions outre-Atlantique. Mais la menace nazie gronde en Allemagne.

En 1939, « conscient des noirs événements qui s’annoncent », Paul Rosenberg fait fermer La Boétie, confie une partie de ses toiles à son chauffeur et met le reste sous coffre à la Banque nationale pour le commerce et l’industrie, à Libourne, en Gironde. Après l’entrée des Allemands dans Paris, la famille Rosenberg fuit au Portugal, avant de trouver refuge à New York. Au 21, rue La Boétie, les biens de Paul sont saisis, comme bientôt tous ceux des grands marchands et collectionneurs juifs. Cruelle ironie de l’histoire, sa galerie devient le siège de l’Institut d’étude des questions juives, mis en place par la Gestapo. À la Libération, Paul Rosenberg, qui a été déchu de sa nationalité française par le régime de Vichy, découvre qu’une grande quantité de sa collection a été spoliée par l’occupant allemand. Commence alors pour lui un véritable combat pour retrouver les près de 400 toiles volées et éparpillées sur tout le continent européen…

Amandine Deroubaix