Et l’un de vous disparaîtra… chantonne la fillette du générique. À qui le tour ?
Tous les mécanismes du thriller sont là : suspense, surprise, angoisse, cliffhangers... Et, surtout, ce jeu d’anticipation et de devinettes avec le spectateur qui donne tout son attrait au genre.
Mais cette mécanique du thriller et du « who done it ? » ne prend jamais le pas sur le romanesque.
Si nous aimons cette histoire, si nous nous attachons à ces personnages de chair et de sang, c’est parce qu’ils sont guidés par l’amour, par la haine, la passion, par les remords et les regrets, même si certains savent cacher mieux que d’autres – et jusqu’à un certain point – la violence de leurs sentiments…
Camille Bordes-Resnais et Alexis Lecaye
Que se passe-t-il en 2017 dans le petit village de Valmoline ? Que s’y est-il passé vingt ans plus tôt ? Le Chalet nous invite à reconstituer le puzzle. Jusqu’à ce que les deux récits imbriqués n’en fassent plus qu’un...
Comment cela a-t-il commencé ? À l’origine du Chalet, y a-t-il eu pour vous des lieux, des situations, des personnages ?
Camille Bordes-Resnais : Au départ, on avait envie de créer une série télévisée qui jouerait avec les codes et les figures du film de genre, plus particulièrement du thriller, mais aussi avec certains archétypes des contes de fées.
Alexis Lecaye : Très vite sont venus à la fois des situations et des personnages. D’abord créer un petit monde, puis le peupler, le faire vivre... Les choses se sont enchaînées assez logiquement. L’idée de se placer dans un univers clos et de faire disparaître un à un des personnages a été immédiatement très excitante. C’est un principe canonique du thriller qui a l’avantage d’être aussi ludique qu’angoissant. Quels sont les univers clos les plus efficaces ? La planète Mars, une île éloignée de tout, un village coupé du monde… L’île, c’est assez rebattu depuis les Dix Petits Nègres d’Agatha Christie, et en France, ce n’est pas trop crédible.
C. B.-R. : Restait le village isolé en pleine montagne. C’est un environnement familier et qui véhicule instantanément tout un tas d’images : la forêt, la nuit, le vent dans les arbres, les animaux sauvages, l’angoisse... Les personnages se sont précisés peu à peu : sexes, âges, liens entre eux, motivations... Il y a pour cela différentes façons de procéder.
A. L. : Celle que nous avons choisie était de faire jouer simultanément les événements du présent et ceux du passé. Cela permettait de typer, de caractériser les personnages en montrant à la fois qui ils avaient été, et ce qu’ils étaient devenus, qui ils avaient aimé ou haï, ce qu’ils avaient fait, et les conséquences.
C. B.-R. : Ce puzzle temporel permet de jouer avec le spectateur en dévoilant une à une – mais pas forcément dans l’ordre – les pièces qui finissent par composer le tableau complet d’événements, de relations et d’actes qui se déroulent sur une période de vingt années.
A. L. : Il nous fallait donc maîtriser l’ensemble des ressorts et des motivations des personnages pour pouvoir écrire cette histoire qui est bâtie selon une logique sous-jacente très forte.
L’originalité de cette série est de dérouler une histoire sur deux périodes – aujourd’hui (2017-2018) et il y a vingt ans (1997) – racontées en parallèle et pour ainsi dire chacune au présent. Il faudra attendre le dernier épisode pour réunir les deux fils narratifs et comprendre à la fois ce qui se passe, ce qui s’est passé et les liens entre ces deux moments...
A. L. : Ce qui nous intéressait, c’était de jouer avec le temps, les époques, en passant de l’une à l’autre sans effets de mise en scène ou d’étalonnage, comme s’il s’agissait effectivement de deux espaces-temps équivalents dont l’imbrication forme un tout. Ce qui permettait également de mettre en question le lien entre causes et effets. Si on y réfléchit, cela n’a rien d’artificiel. Dans la vie, il nous arrive à tous des choses qui sont le résultat d’événements passés plus ou moins lointains, dont parfois nous n’avions pas même connaissance. En somme, nous ne prenons conscience des causes qu’après leurs conséquences. Et si ces conséquences sont mystérieuses, le risque est alors de se tromper de causes...
C. B.-R. : Il faut préciser que, pour respecter la règle du jeu, la partie 2017 de l’intrigue est linéaire, tandis que la partie 1997 est déstructurée, c’est-à-dire que les éléments y sont présentés selon la logique du récit et notamment en fonction des personnages, donc pas toujours de manière chronologique.
A. L. : J’ai conçu l’arche de cette manière, et l’écriture des scènes et des dialogues a respecté cette construction. Il n’a pas existé de récit linéaire global que nous aurions démembré pour le recomposer ensuite.
C. B.-R. : Le montage, s’il a été déterminant – notamment pour une scène-clé de la partie 1997, qui est racontée plusieurs fois selon plusieurs points de vue différents –, ne s’éloigne pas ou très peu du scénario initial...
Ce qui est intéressant, c’est que ce choix, ou cette contrainte d’écriture, produit des effets dans le récit, notamment l’impression que tous les personnages sont hantés par un passé qui ne passe pas, qui n’est pas révolu parce qu’il n’est pas résolu, et qu’on ne cesse de tourner autour de cette scène-clé dont vous parliez.
A. L. : Le passé n’est pas passé, il n’a pas été digéré. Les personnages s’arrangent avec cela chacun à sa façon : la dualité, le refoulement, la duplicité, le mensonge, la culpabilité... le désir de vengeance. Il est difficile d’en dire plus...
Un ancien mathématicien récompensé par la médaille Fields et devenu ermite, une allusion aux membres d’une famille dont les cadavres ont été retrouvés sous une terrasse... Le Chalet est parsemé de renvois à la réalité...
A. L. : La référence à Alexandre Grothendieck est un clin d’œil. Celle à la tuerie du Grand-Bornand est plus évidente. C’est une affaire qui appartient à toute une série de crimes étranges et effrayants ayant pour cadre la montagne – plus récemment, par exemple, la tuerie de Chevaline. Ce n’est pas tant la réalité des faits qui nous intéressait, à vrai dire, mais de puiser dans la mémoire de chacun, ce mélange de choses vécues, entendues, lues..., et de réactiver tel souvenir plus ou moins flou, telle angoisse un peu diffuse...
C. B.-R. : Tout cela appartient, au fond, à l’imaginaire collectif, au même titre que les contes pour enfants, qui nous ont également beaucoup inspirés : la forêt, les enfants perdus, l’ogre... Là, on touche vraiment aux archétypes, aux peurs archaïques qui survivent à l’enfance.
A. L. : Évidemment, le but est d’exciter l’imagination des spectateurs, d’alimenter leurs doutes, de susciter des questions, des suppositions. Et si Gossange était un « ogre » ? Et si Rodier avait massacré sa famille pour disparaître et refaire sa vie ?, etc.
Au fond, quand on parvient à déclencher la paranoïa du spectateur, ou son délire d’interprétation, une bonne part est faite...
C. B.-R. : C’est un mode de narration qui demande une participation du téléspectateur. Notre message est : « Voici les cartes, venez jouer avec nous ! Tentez de reconstituer le puzzle. » En somme, nous voulions faire des promesses... mais aussi les honorer. Cela implique, bien entendu, d’être à la hauteur de l’attente quand nous livrons la clé.
A. L. : En tant que spectateur ou que lecteur, quand je me fais embarquer dans un thriller – et vous imaginez que j’en suis friand –, j’ai envie de scénariser de mon côté et de recomposer l’histoire. Si j’y parviens trop facilement, je suis très déçu. En revanche, je suis toujours reconnaissant si ça frôle ce que j’avais anticipé mais que la solution est plus maligne. C’est ce qu’on a tenté de faire : ne pas s’en tenir à la première explication mais en trouver une seconde qui est moins évidente, plus retorse que ce que le spectateur peut imaginer.
C. B.-R. : Cela impose aussi une certaine honnêteté : nous ne trichons pas avec le spectateur. Il n’y a pas véritablement de faux indices, même si certains éléments mènent évidemment vers de fausses pistes. Ceux qui mènent aux bonnes sont là aussi.
A. L. : Nous avions déjà beaucoup travaillé sur cet aspect dans la collection des « Dames », avec Carole Le Berre : on doit surprendre mais on doit s’efforcer de ne jamais décevoir. Rien de pire pour moi que ces histoires où des éléments tombent in extremis du chapeau pour boucler l’intrigue. À la fin, on doit retomber sur ses pieds, prouver que tout était justifié et montrer aux téléspectateurs qu’ils n’ont pas joué pour rien.
Vous aviez déjà travaillé avec une bonne partie des comédiens du Chalet...
C. B.-R. : Pratiquement tous ceux de la partie 1997, les « anciens », si j’ose dire. Éric Savin, Blanche Veisberg, Chloé Lambert, Philippe Dusseau, Mia Delmaë, Manuel Blanc, Samantha Markowic, Thierry Godard... Ce sont des comédiens que nous connaissons bien et avec qui nous aimons travailler. Pour certains, nous les avions même à l’esprit dès le début du projet, ce qui rend l’écriture des dialogues toujours assez amusante.
A. L. : En tout cas, c’était d’autant plus rassurant de les avoir avec nous que j’avais pour ma part beaucoup sous-estimé les difficultés de la préparation, du casting et du tournage : trente-cinq comédiens, des lieux de tournage différents, la montagne, deux époques, des décors en studio monstrueux, beaucoup de maquillage, des enfants...
C. B.-R. : En ce qui concerne les « trentenaires », le casting était plus délicat. D’abord parce qu’il y avait la question des ressemblances physiques entre comédiens jouant le même personnage enfant et adulte – je ne peux pas m’étendre là-dessus sans en dire trop. Mais aussi parce que nous voulions privilégier des visages peu vus encore à la télévision, ce qui ajoute, je crois, de la fraîcheur, de l’authenticité et de la crédibilité à l’histoire. Le travail a donc été plus long – les derniers ont été choisis quelques jours avant le tournage ! –, mais très payant.
Et ce village de Valmoline ? Et ce chalet ? Ont-ils été difficiles à trouver ?
A. L. : Le problème, à vrai dire, n’était pas de les trouver mais de les faire coexister. Le chalet est à Chamonix, le village deux cents kilomètres plus loin, en Savoie, et le pont du Diable à quatre cents kilomètres de là, dans le Jura !
C. B.-R. : Pour couronner, le tout, il était assez compliqué de tourner dans le chalet. Sous certains angles, on apercevait Chamonix, sous d’autres, le petit train qui passait presque dans le parc ! Mais nous tenions à ce chalet, qui est hors norme. Il ne ressemble pas du tout à un chalet français. Je crois qu’il a été importé en pièces détachées du Canada dans les années 1960. C’était le seul qui avait cet aspect ancien, pas tellement réaliste, presque onirique. Pour moi, c’est une vraie maison de conte de fées. Elle me fait penser à Hansel et Gretel...
Tout à fait en accord avec cette délicieuse, entêtante et macabre comptine enfantine du générique...
C. B.-R. : Samuel Hercule, le musicien, est aussi quelqu’un avec qui nous aimons travailler. Il a composé cette comptine dès l’écriture du scénario et je suis partie avec sur le tournage.
A. L. : C’est tout à fait dans l’esprit du thriller comme nous l’aimons, de tradition anglo-saxonne. Assez ludique pour faire passer le fait qu’on parle de choses horribles. Mais assez grinçant pour faire quand même froid dans le dos. Souvenez-vous de la comptine des Dix Petits Nègres... D’ailleurs, vous savez que beaucoup de chansons enfantines sont extrêmement ambigües et évoquent à mots couverts des sujets cruels voire scabreux.
Propos recueillis par Christophe Kechroud-Gibassier