Fidèle téléspectateur de Rendez-vous en terre inconnue, l’acteur et réalisateur Franck Gastambide raconte son épopée au milieu des Van Gujjar, peuple musulman semi-nomade qui vit de l’élevage de buffles sur les pentes indiennes de l’Himalaya. Un périple qui commence par une surprise de taille : Frédéric Lopez ne part pas avec lui. C’est Raphaël de Casabianca qui sera son guide, premier choc d’une longue série.
A-t-il été difficile de vous convaincre de participer à Rendez-vous en terre inconnue ?
Quand on me l’a proposé, c’était un peu comme un saut à l’élastique : si on réfléchit un peu trop, on ne saute pas, j’ai donc dit oui tout de suite sans trop réfléchir. J’étais loin de me douter de ce qui allait m’arriver. À ce moment-là, j’étais en train d’accepter de faire une émission de télé. Je me doutais bien que j’allais vivre des moments forts, parce que je connais le programme. Mais mon réflexe était celui d’un acteur, d’un réalisateur qui fait du cinéma et à qui on propose une émission très regardée. Et puis quand on est là-bas, on oublie complètement qu’on est en train de faire de la télé. J’ai pris une claque, j’ai vécu l’une des expériences humaines les plus incroyables de ma vie.
Avez-vous tout de suite fait confiance à Frédéric Lopez ?
Mon premier contact avec Fred a eu lieu lors du Festival de la comédie de l’Alpe d’Huez. C’est quelqu’un passionné par les gens, qui s’intéresse à vous, à votre parcours. Il m’a avoué par la suite qu’après cette discussion, il savait qu’il m’emmènerait. Pour ma part, je suis très « control freak » en tant que réalisateur, acteur, producteur… C’est ainsi depuis le début de ma carrière. C’est ma manière de fonctionner et de lutter contre ma peur du vide et de l’inconnu… ça me rassure. Là, c’était un saut dans le vide total, qui allait à l’encontre de tout mon système de fonctionnement.
Le départ et les premiers moments dans l’avion sont toujours importants dans Rendez-vous en terre inconnue. Comment les avez-vous vécus ?
Pour être honnête, ce qui s’est passé à l’aéroport, je ne l’ai pas vu venir ! Fred m’annonce au dernier moment que je ne pars pas avec lui. Cette émission, c’est un rêve, et j’y vais parce que Fred m’a motivé et que j’ai confiance en lui ! Mon cerveau prend cette nouvelle comme un élément traumatique. Je m’envole donc déjà dans un état de fragilité. À ce moment-là, je n’ai aucune idée de ce qui va m’arriver. Est-ce que je pars seul ? Est-ce que je pars avec quelqu’un d’autre ? Je suis dans le flou total ! J’ai à peine le temps de réagir qu’on me met un bandeau sur les yeux, un casque sur la tête et je monte dans un avion sans savoir où on m’emmène. Psychologiquement, c’est un processus très déstabilisant.
« Qui êtes-vous ? Et où est-ce qu’on va ? »
Quelle est votre réaction quand vous ôtez le bandeau et le casque ?
Au bout d’une heure de vol, on me tape sur l’épaule pour que j’enlève tout ça. Je me retrouve au milieu de gens que je ne connais pas, dans un avion qui a une destination inconnue et je découvre un visage, celui de Raphaël. Je lui demande immédiatement : « Qui êtes-vous ? Et où est-ce qu’on va ? » Et comme Fred m’a déjà pris mon téléphone, je me retrouve seul avec mes émotions et personne avec qui les partager.
Comment s’est passée votre relation avec Raphaël de Casabianca ?
Au fur et à mesure de ce voyage, j’ai appris à le connaître. J’ai senti d’ailleurs qu’il était aussi gêné que moi par la situation. Il est immédiatement devenu mon référent. Le fait qu’il soit un grand voyageur, même plus que Fred, m’a beaucoup rassuré. Mais je crois qu’au final il était aussi ému et émerveillé que moi par son premier Rendez-vous en terre inconnue.
Comment avez-vous vécu votre rencontre avec les Van Gujjar ?
Après deux avions, dix-huit heures de 4 x 4 et deux journées de marche, on arrive à 3 000 mètres d’altitude, non pas dans un village mais sur une colline avec deux petites cabanes en bois. Je comprends que je vais passer quinze jours ici au milieu de deux familles d’éleveurs de buffles, une population à la culture étonnante que je découvre peu à peu. On est obligé d’être touché par l’histoire et le sort des Van Gujjar. Ils vivent en harmonie dans des conditions très sommaires, mais pour nous, c’était beaucoup plus compliqué.
« Évidemment qu’il y avait des mots qu’on n’arrivait pas à se dire, mais on arrivait à se comprendre. »
Comment avez-vous communiqué avec eux ?
Dans les premiers temps, on est très perturbé et on a tendance à n’écouter que le traducteur. Au bout de quelques jours, on se rend compte qu’on n’a plus besoin de lui pour comprendre des tas de choses. Je me suis surpris à partir en balade avec l’un des membres de la famille. Évidemment qu’il y avait des mots qu’on n’arrivait pas à se dire, mais on arrivait à se comprendre. Le plus troublant dans tout ça a été d’être confronté à des gens qui avaient des interrogations profondes sur nos modes de vie occidentaux. Ils nous envoyaient des vannes bien senties. De fait, l’affinité, l’amitié même, qui était en train de naître au fil du tournage n’était pas du tout artificielle. On a ri ensemble, échangé des points de vue, essayé de comprendre la culture de l’autre.
Quelle rencontre vous a le plus marqué ?
Une petite fille qui s’appelle Najma, une enfant tellement joyeuse et tellement belle. Je continue à beaucoup penser à elle. Ce sont des enfants qui n’ont pas de jouets, qui n’ont rien. Ils sont extrêmement pauvres et ils sont dans une joie déconcertante. Cette petite fille passait son temps à jouer, à rire, à courir, à s’amuser avec ses buffles qui étaient ses meilleurs amis. Et forcément, on se demande comment elle va grandir, quelle va être sa vie. Même si elle est entourée de parents aimants, drôles et intelligents… Le choc entre nos deux cultures m’oblige à me poser ces questions avec une certaine inquiétude.
« Ils ne voudraient pas de nos vies je pense, et nous, nous aurions du mal à vivre les leurs. »
Comment s’est passé votre retour ?
Je suis clairement revenu en état de choc. J’ai fait un rejet du téléphone pendant quelques jours. C’est un objet de stress et d’angoisse, et tout ça, je l’avais complètement oublié en étant là-bas. Quand on me l’a rendu, le premier texto que j’ai reçu était celui de Fred qui me demandait : « Je veux tout savoir. » Je lui ai répondu : « Tu n’avais qu’à venir ! » [Rires] Pendant longtemps, j’ai eu du mal à raconter la manière dont j’avais vécu cette aventure. J’étais convaincu que les gens ne comprendraient pas ce que je pourrais leur en dire. Mais je ne suis pas revenu avec des leçons. L’erreur serait de comparer nos deux mondes, ça n’a aucun sens. Ils ne voudraient pas de nos vies je pense, et nous, nous aurions du mal à vivre les leurs. En revanche, je peux dire que j’ai vécu avec des gens qui n’avaient rien et qui, malgré tout, avaient l’air de vivre dans le bonheur. Ce sont des gens qui ne font que rire, chanter et travailler… Ils vivent dans une joie évidente.
Pourquoi avez-vous décidé d’attendre la diffusion pour regarder l’émission ?
Pour une raison simple, je voulais la voir dans les meilleures conditions possibles. Parce que j’avais envie de découvrir le film terminé. Je ne voulais pas avoir à valider mes meilleurs profils dans une salle de montage, etc. Ce que j’ai vécu est plus fort que ça. J’ai tellement confiance en Fred et en toute l’équipe de l’émission que je leur ai dit que je n’avais pas besoin de venir au traditionnel visionnage de montage. Je suis très content que ça se passe de cette manière-là.
Propos recueillis par Ludovic Hoarau.