LE POINT DE VUE DE MARWA ET RAHA
Pourquoi avoir accepté de participer à ce projet ?
MARWA
Quand le gouvernement s’est effondré, on a commencé à vivre dans l’oppression et on a été abandonnées dans nos maisons. Ce projet m’a donné une grande opportunité de m’exprimer, de devenir la voix de ma famille, de mes sœurs, des femmes comme moi, de mon peuple, et je me suis dit : c’est comme ça que je peux m’engager. Il faut parler de ce qui se passe, de la perte de nos droits humains, de nos libertés. S’engager pour la paix. J’ai senti qu’il y avait une possibilité de devenir une voix pour les autres. J’ai voulu partager mon expérience, ce que je voyais, ce que je ressentais, sous les talibans d’abord, puis comme réfugiée, et ensuite transmettre ce que mes amis me disaient de ce qui se passait à Kaboul. Je veux parler pour eux, je ne veux pas qu’on les oublie. La deuxième raison, c’est que je me suis sentie très connectée avec Caroline. À ce moment-là, j’avais perdu tout espoir, je ne savais pas ce qui allait m’arriver. J’avais besoin d’en parler, de partager la douleur. Ça m’a fait du bien parce que je ne pouvais pas raconter mes difficultés à ma famille, elle souffrait déjà assez. Caroline était là, elle m’écoutait, me répondait. Cela me donnait de l’espoir et de l’énergie.
RAHA
Je me sentais effrayée et choquée après l'effondrement. Je n'étais pas capable d'accepter ce qui nous était arrivé cette nuit-là. Je ne parvenais pas à faire face à la situation, je devenais folle. Je voulais crier, aller ailleurs et pleurer autant que je le pouvais, je voulais parler à quelqu'un et lui dire à quel point j'étais devenue impuissante. Et là Caroline est sortie de nulle part et m'a demandé d'enregistrer des sons dans mon portable et de lui faire part de mes sentiments et de la situation en Afghanistan. Au début, je n'enregistrais des sons que pour me sentir mieux, pour évacuer ma colère, mon anxiété et mon épuisement. Puis j'ai senti et compris que je faisais quelque chose pour mon pays. On est responsables de notre pays, quand il s’y passe quelque chose de grave, on est responsable de faire quelque chose.
J’ai perdu ma liberté et tout ce que j’avais. Maintenant mes bras sont attachés. C’est tellement dur d’être enfermée à la maison. Quand il y a eu des manifestations dans les rues, je n’ai pas pu y aller, mes sœurs sont très jeunes, je n’ai pas voulu les mettre en danger, mais sinon j’y serais allée pour défendre mes droits. Ce projet m’a permis de faire ce que je devais faire pour mon pays. Sans doute pas de quoi aider tout le monde, mais au moins je prends la parole, je partage ma vérité, je parle de la réalité.
Je ne savais pas si cela allait fonctionner et faire des miracles, mais aujourd'hui je constate que ce n'est qu'un début. Cette émission de radio est devenue un podcast, puis un film d'animation et, qui sait, un jour nous pourrons peut-être en faire un long-métrage. Nous ferons en sorte que le monde entier sache ce qui se passe à Kaboul et en Afghanistan.
Résumés des épisodes
Synopsis version unitaire - 30 min
À l’été 2021, les talibans reviennent au pouvoir en Afghanistan et les destins de deux jeunes femmes, Raha et Marwa, bascule. Inside Kaboul est basé sur les centaines de notes vocales qu’elles ont échangées avec la journaliste Caroline Gillet, dans les mois qui ont suivi. Raha a fait le choix de rester à Kaboul ; elle se confronte aux violences du régime et à la crise dans laquelle sombre peu à peu le pays. Marwa est partie et se retrouve enfermée dans un camp de réfugiés à Abu Dhabi, dans lequel elle attend semaine après semaine d’être accueillie quelque part en Europe ou aux États-Unis. Pour elles, les questions qui sont celles de toutes les jeunes femmes de leur âge se posent avec une acuité singulière : comment grandir et se projeter vers l’avenir quand on a 20 ans et que le monde qu’on a connu s’écroule ?
Le film est basé sur des documents sonores rares : des notes vocales échangées sur plusieurs mois entre les deux Afghanes et la journaliste française Caroline Gillet. Ces mémos ont été diffusés sur France Inter en format chronique (5’) entre octobre et novembre 2021, puis en format un peu plus long dans Un jour dans le monde de Fabienne Sintès. Ces chroniques sont devenues un podcast de 9 x 20 minutes qui est sorti en août 2022 sur France Inter. Il vient de recevoir la mention Écriture contemporaine au festival Longueur d'ondes de Brest.
Liens vers le podcast Inside Kaboul de France Inter
https://www.franceinter.fr/emissions/inside-kaboul
Épisode 1 - Le choc de l’arrivée des talibans - 6 min
Peu après la prise de Kaboul, des talibans sont venus menacer Raha et sa famille dans leur appartement. Après le départ des hommes en armes, le père de Raha a décidé qu’il fallait déménager au plus vite. Raha et ses sœurs ont dû faire leurs bagages dans la nuit pour partir au petit matin s’installer dans un quartier et un immeuble qu’elles connaissent mal. Raha entend les avions au-dessus de sa tête, elle les déteste, ils emportent tous ceux qui quittent le pays.
Marwa fait partie des amies de Raha qui ont quitté précipitamment le pays. Dans la nuit, son jeune mari lui a proposé de faire un sac pour partir tôt le matin. Elle a emporté ses papiers, son ordinateur et quelques souvenirs de sa famille.
Épisode 2 - Partir ou rester - 6 min 15
Raha est au mariage de sa cousine, elle enregistre la musique, décrit les danses de ses amies et le soulagement de pouvoir enfin se retrouver, pour la première fois depuis la prise de Kaboul. Puis la musique est coupée. Les talibans ont fait irruption dans la fête.
Marwa arrive à l’aéroport de Mazar-e-Sharif et décrit les contrôles des talibans dans l’aéroport, l’angoisse qu’on ne la laisse pas partir et la peur de ne jamais retrouver ses proches. Finalement, ils parviennent à passer. Elle enregistre une note vocale dans l’avion étrangement à moitié vide, pour confier l’excitation de découvrir ce qui l’attend, mais aussi sa tristesse et sa culpabilité de fuir son pays.
Épisode 3 - Le début de l’attente - 6 min 25
La famille de Raha est cloîtrée à l’intérieur de l’appartement à Kaboul. Raha a perdu son travail du jour au lendemain, ses parents également et les écoles de ses sœurs ont fermé. Les sons qu’elle capte de l’extérieur ont bien changé eux aussi : un nouveau check point des talibans est installé en bas de son immeuble et la réveille le matin avec des appels à la prière et des chants.
Marwa est seule dans une chambre avec son fiancé, ils regardent Harry Potter pour tenter de se changer les idées, mais sa famille lui manque. Elle essaie de lire mais n’y parvient pas. Dans le camp d’Abu Dhabi, les réfugiés ont commencé des manifestations pour demander des comptes aux autorités américaines, on leur a dit qu’il faudrait attendre un an et demi, peut-être même deux, dans le camp, avant de rejoindre leur destination finale. Marwa ne sait pas comment se préparer à cela. Cette vie dans le camp n’est pas une vraie vie.
Épisode 4 - Nouvelles réalités - 6 min 23
On retrouve Raha dans sa chambre, silencieuse. Il y a une coupure de courant, il fait nuit noire à Kaboul. Dehors, elle entend des coups de feu. Un autre jour, Raha est sortie se promener avec ses sœurs. Elle admire le coucher de soleil, essaie pour un instant de ne plus penser, ne plus s’angoisser... Et puis arrive une nouvelle année. Très tôt le matin, Raha enregistre le son de ses pas dans la neige ; elle a retrouvé du travail et attend la voiture qui vient la chercher. Plus tard, la famille fête le ramadan ; Raha se dit qu’au moins ils ont cette chance de pouvoir encore être réunis. Tant de familles sont séparées désormais.
Marwa fête ses 24 ans dans le camp de réfugiés, seule avec son mari. Elle enregistre le son d’une petite boîte à musique que lui a offert son fiancé. C’est la première fois qu’elle fête un anniversaire loin de ses proches. Elle a organisé une visioconférence avec son frère, sa mère et ses sœurs qui sont dans des camps de réfugiés aux États-Unis et avec son père resté à Kaboul. Lui n’a pas réussi à se connecter, Internet marche difficilement. Elle se désole de le savoir loin et seul. Elle fond en larmes.
Épisode 5 - Éloignements - 6 min 44
Raha apprend que son employeur a décidé de se séparer des deux seules femmes de l’entreprise. Il prétend que c’est pour des raisons de sécurité, il y a eu des explosions près du bureau. Raha est dépitée, elle enregistre le son autour d’elle alors qu’elle quitte son lieu de travail pour la dernière fois. Elle ne sait pas comment annoncer cela à ses parents, qui comptent sur elle financièrement.
Marwa a une voix incroyablement enthousiaste : son fiancé vient de lui annoncer qu’ils ont enfin reçu leurs billets pour l’Allemagne. Elle part dans quelques jours !
Raha s’est isolée dans une pièce chez des amis pour raconter ce qui vient d’arriver : les talibans imposent aux femmes de porter la burqa. La pire crainte de Raha vient de se réaliser, on est revenu 20 ans en arrière. Dehors, résonne l’appel à la prière. Pour Raha, c’est clair, elle va prier Dieu qu’il détruise ce gouvernement stupide et frustrant.
REPÈRES HISTORIQUES
14 avril 2021 : le président des États-Unis Joe Biden annonce le retrait des troupes américaines en Afghanistan ; les forces talibanes lancent une offensive.
15 août 2021 : les talibans s’emparent de Kaboul, la capitale, et renversent le gouvernement ; le président Ashraf Ghani fuit le pays.
12 septembre 2021 : les classes sont séparées par sexe ; les femmes ne peuvent recevoir des cours que de professeurs du même sexe ou d’hommes âgés. D’autres restrictions incluent le port du hijab dans le cadre d’un code vestimentaire obligatoire.
23 mars 2022 : les écoles secondaires pour filles sont censées rouvrir, mais les talibans annulent au dernier moment la directive. Des dizaines de milliers d’adolescentes sont exclues des établissements et doivent rester chez elles.
7 mai 2022 : le chef suprême de l’Afghanistan ordonne que les Afghanes portent désormais un voile intégral en public.
novembre 2022 : le gouvernement taliban interdit aux femmes d’entrer dans les parcs, les fêtes foraines, les gymnases et les bains publics.
décembre 2022 : les talibans procèdent à leur première exécution publique depuis leur retour au pouvoir, celle d’un meurtrier condamné, qui est mis à mort le 7 décembre par le père de sa victime dans la province occidentale de Farah. Des femmes sont également flagellées.
Le 20 décembre, les autorités talibanes annoncent l’interdiction aux filles l’accès aux universités afghanes.
Le 24 décembre, les talibans ordonnent aux ONG de ne plus travailler avec des femmes afghanes.