Un monde 5 étoiles

Après la livraison d'un colis, en sortant d'un restaurant, d'un hôtel, d'un train, ou à la suite d'un échange avec le service client de votre opérateur téléphonique, une même demande : noter. Sur une échelle de 0 à 10, agrémentée de couleurs, ou en attribuant de petites étoiles, jolies et ludiques. Une action simple, mécanique et indolore pour le noteur. Mais derrière ce geste anodin se cache un système de management brutal, opéré directement par le client, à son insu. Plus inquiétant encore : sans le savoir, nous sommes tous notés, pour nourrir les algorithmes de sociétés opaques qui affirment réussir à prévenir l'avenir. Le film questionne cette invasion des systèmes de notation, les conséquences de cette pratique dans nos réalités individuelles et pour nos libertés collectives.

NOTE D’INTENTION
Ismaël Halissat, Vincent Coquaz 

Nous notons tout, tout le temps : des objets, des services, des prestataires, des commerces. Et ce, depuis des années désormais. Les formulaires papier de satisfaction, utilisés jusque dans les années 90, ont laissé la place aux courriels, textos, notifications… Ces notes sont arrivées dans les entreprises et dans nos vies, sans grand bouleversement, discrètement, par petites touches. Il faut maintenant rappeler d’où elles viennent, et plonger dans les discours managériaux qui ont été utilisés pour les imposer. 

Pour cela, nous faisons voyager les internautes dans le temps. Nous leur rappelons cette histoire à travers des séquences d’archives montées et rythmées. Il s’agit de spots publicitaires et des vidéos d'entreprises retrouvées dans des VHS oubliées des années 80 et 90. Comme le savoureux clip musical Customers First de la chaîne de supermarchés Jewel qui apprenait à ses employés à sourire aux clients ou les tutoriels de Mercedes pour apprendre aux vendeurs les bonnes techniques de vente. Ces séquences d’archives accompagnent le récit, structuré autour du parcours d’une note, allant du salarié en première ligne jusqu’aux inventeurs de ces systèmes. 

D’obscures entreprises collectent aussi nos données et proposent des notes de risques, que l’on nomme des “data brokers”. Ces sociétés assurent à leurs clients qu’ils sont en mesure de calculer des notes de risques et de capacité de consommation sur la quasi-totalité des internautes dans le monde. C’est aux États-Unis que ces entreprises prospèrent. Là où les notes, dites de crédit, liées à l’historique bancaire, ont pris une place centrale dans la vie des gens. 

Cette même logique algorithmique a aussi envahi les services de police de nombreuses grandes villes américaines. Il s’agit cette fois de calculer un score du risque qu’une personne soit victime ou même coupable d’un crime. Des dispositifs dénoncés depuis des années par des activistes qui estiment que ces outils reproduisent, voire amplifient, les pratiques discriminatoires des forces de l’ordre. 

Cette plongée dans ce monde cinq étoiles nous permet donc de souligner que si les technologies sont nouvelles, la chimère qu'elles assouvissent est ancienne. Présentées comme un outil moderne de management, de découvertes d’opportunités commerciales ou d’identification des risques, ces notes répondent en réalité à un vieux rêve capitaliste de classement et de surveillance.

La Générale de Production
Créée en 2001 et dirigée par Alexandre Hallier et Jérémy Pouilloux, La Générale de Production a produit depuis sa création une cinquantaine de films pour la télévision et le cinéma. Spécialisée en fiction, en documentaire et en magazine, La Générale de Production a étendu ses activités à l’édition de contenus en général, sur tous écrans, associant ambition de fond et recherche formelle et ce pour une lecture du monde curieuse et enthousiaste.
Politique, sport, économie, réseaux..., les thèmes abordés sont une porte d’entrée pour des histoires plus universelles. Parmi les productions de la société, les documentaires Le Président d’Yves Jeuland, Petits arrangements avec la vie de Christophe Otzenberger et Stéphane Mercurio, Les Bourreaux de Staline, Katyn 1940 réalisé par Cédric Tourbe, Les Suppliques de Jérôme Prieur, ou encore les séries d’animation Les Clés ou le documentaire en réalité virtuelle Walter Sisulu : Accused n° 2 de Gilles Porte et Nicolas Champeaux. Actuellement en production, une série d’animation, Music Queens de Rebecca Manzoni et Amandine Fredon, et un 3 x 52 minutes de Cédric Tourbe, L’Évangile de la richesse. Convaincue des potentialités des nouvelles écritures, La Générale de Production voit dans le numérique un environnement à la fois prometteur mais aussi la responsabilité d’une production engagée et exigeante pour mieux comprendre une époque où l’image est le langage principal.