A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes de cette semaine, découvrez le documentaire « Le siècle des couturières » raconté par Corinne Masiero..
Voici l’histoire de celles qui ont habillé la France : les couturières. Ces ouvrières s’appellent Martine, Ginette ou Lucienne. Ces pionnières de la révolution industrielle se remémorent leur parcours fait de violence et de sacrifice. Le fracas des machines, la vapeur qui colle à la peau, le rythme saccadé des métiers à tisser étaient leur quotidien. Elles n'avaient pas plus de droits que les enfants aux côtés desquels elles travaillaient. Pendant des décennies, ces deux millions de femmes du textile sont restées invisibles, comme si le monde ouvrier n’était composé que d’hommes.
Pourtant, tout au long du XXe siècle, ces femmes se sont battues pour leurs droits et leur reconnaissance. Elles ont contribué à faire progresser la cause des femmes, ont remporté bien des batailles. En nous appuyant sur des archives (largement colorisées) et des témoignages contemporains, le film redonne toute leur place à ces héroïnes oubliées. Ouvrières des filatures de Roubaix, adolescentes exploitées par les soyeux lyonnais dans les couvents-usines, midinettes des ateliers parisiens, petites mains de la Belle Époque, pour la première fois, elles nous racontent leur histoire.
Nos témoins
- Christine Podgorski, d’origine polonaise, avait 14 ans quand elle est entrée à La lainière de Roubaix, elle n’en est partie que trente-six ans plus tard, lorsque l’usine a fermé définitivement ses portes.
- Thérèse Coquerelle, plus connue sous le nom d’Isabelle Aubret ! Née à Lille, la jeune fille commence dès 14 ans comme bobineuse dans la filature où travaille son père. Aujourd’hui, elle dit chanter « pour celles qui triment le nez dans la poussière ».
- Martine Houdet, en 1966, entre chez Pierre Cardin comme « seconde main débutante ». Elle ne quittera jamais la haute couture, passant de Dior à Chanel, où elle achèvera sa carrière comme « première d’atelier » aux côtés de Karl Lagerfeld !
- Ginette Mouchard, en 1969, va créer une section syndicale de la CFDT, une vie de combat commence !
- Danielle Girot entre à l’usine Boussac à 14 ans, comme ses parents et ses grands-parents avant elle. La reprise du groupe par Bernard Arnault signe la fin de cette dynastie ouvrière. Aujourd'hui, la maison Christian Dior est le dernier vestige de l’empire Boussac.
- Lucienne Marchand a fêté ses 100 ans en 2022. Sa carrière de modiste commence dans les Années folles… « Petite main » dans les ateliers de couture de la place Vendôme, elle a vécu le quotidien misérable des midinettes parisiennes.
90 min
Un film de
Jérôme Lambert
Philippe Picard
Raconté par
Corinne Masiero
Produit par
Fanny Glissant
Gaël Leiblang pour Éléphant Doc
2022
Note de présentation de Jérôme Lambert et Philippe Picard, réalisateurs
C’est l’histoire de nos grands-mères ou de nos arrière-grands-mères que nous avons voulu raconter. Au milieu du XIXe siècle, les femmes, qui depuis toujours cousaient, filaient, tissaient, ont massivement rejoint les usines textiles. Partout en France, du Nord à l’Alsace, de l’Aube à l’Isère, les générations se sont succédé dans ces immenses fabriques, vite surnommées « les cathédrales du textile ». Cette histoire concerne tant de familles… Elle a été vécue par l’une de nos grands-mères, elle s’appelait Gilberte Chaumonot et était entrée à 14 ans à l’usine. Quand elle évoquait ses souvenirs d’ouvrière, elle était très émue et loin d'imaginer qu'ils pourraient un jour devenir le sujet d’un documentaire…
Qu’elles aient été couturières à domicile, fileuses ou tisserandes, ces millions de femmes ont disparu de notre mémoire collective. Le monde ouvrier a toujours été associé aux hommes. Les femmes sont restées invisibles. Nous voulons, à travers ce film, raconter leur histoire si longtemps occultée et leur rendre la parole. De mères en filles, elles ont subi les mêmes injustices.
Pour des générations d’ouvrières, l’usine n’a jamais été un choix mais une nécessité. Avant la révolution industrielle, les revenus du père suffisaient à nourrir sa famille, mais dès le milieu du XIXe siècle, les femmes et les enfants, pour échapper à la misère, durent aussi travailler. À cette époque, le Code civil considère les femmes, mêmes mariées, comme d'éternelles mineures. Elles sont soumises à l'autorité absolue du père ou du mari. Leur salaire est de moitié inférieure à celui des hommes. La loi précise qu’il n’est qu’un « revenu de complément ».
En 1900, le secteur textile rapporte plus que le charbon ou l’acier. Une réussite liée au prestige de la mode française. Paris compte alors 80 000 couturières à domicile. Dans leurs mansardes, ces couturières, payées à la pièce, doivent travailler jour et nuit pour échapper à la misère. Longtemps, elles accepteront leur sort en silence.
Mais l’histoire que nous voulons raconter est aussi celle d’une émancipation. Ces femmes n’ont pour seuls atouts que leur courage et leur habileté. La couture, pour les plus audacieuses et les plus talentueuses, est un formidable moyen de promotion sociale. C’est l’un des seuls domaines où les femmes peuvent devenir patronnes. Telle Herminie Cadolle, qui au tournant du siècle libère les femmes du corset en inventant le soutien-gorge. Cinq générations plus tard, Patricia Cadolle, qui dirige cette maison, nous a raconté cette incroyable histoire.
Mais, au-delà de ces réussites individuelles, il faut attendre la fin des années 1960 pour que les femmes du textile avancent unies. Mai 68 à Roubaix ne ressemble en rien aux événements parisiens, c’est ce que nous raconte Marie-Colette Patin, jeune déléguée syndicale. Pour elle, comme pour des milliers d'ouvrières trop longtemps soumises à leur mari et à leur patron, c’est une extraordinaire prise de conscience : elles sont alors bien décidées à vivre et à travailler autrement…
Mais, dans les années 1980, la mondialisation frappe le secteur de plein fouet. L'industrie textile est au bord du gouffre. Une nouvelle fois, cette industrie va être pionnière : c’est là que s’invente la délocalisation. L’ouvrière française est jugée trop chère ; pour réduire les coûts, les industriels commencent à fabriquer hors de France. Malgré leur nombre, malgré leurs combats, ces femmes ne comptent pas ! Leurs emplois seront les premiers sacrifiés.
Ce film se clos sur une note d’espoir. Aujourd’hui, sur tout le territoire, cette nouvelle génération tente d'imaginer un avenir plus vertueux en relançant la culture et le tissage de fibres produites en France, ou en créant des matières innovantes. Les crises économiques, écologiques et sanitaires ont fait du « made in France » plus qu’une mode, un impératif. Dans le Nord, dans les Vosges ou à Paris, des marques historiques et de nouveaux acteurs redonnent vie à l’industrie textile. Les couturières n’ont pas dit leur dernier mot…