Elaha fuit Kaboul en 2018 avec ses parents et ses quatre frères et sœurs âgés de 3 à 16 ans. Sa mère tient un salon de beauté qui a été attaqué par les talibans. Son père a été kidnappé et torturé. Elaha et ses sœurs sont constamment menacées et leur école régulièrement ciblée par des attentats-suicides des talibans visant les centres d'éducation pour filles. La famille décide de partir. Poursuivant un seul rêve, que les enfants aillent à l'école sans craindre les bombes. Ils traversent l’Afghanistan, le Pakistan et l'Iran à pied, sont attaqués par l’État islamique dans les montagnes, et au bout de quatre mois atteignent la Turquie. Sept fois, Elaha et sa famille tentent la traversée vers l'île de Lesbos en Grèce. Sept fois, les gardes-frontières turcs refoulent leur bateau. Lorsqu'ils arrivent enfin à Lesbos, Elaha veut « faire quelque chose ». Dans la jungle du camp de Moria où 25 000 migrants tentent de survivre, elle aide à ouvrir une école. Un jour, sa vie bascule. Elle participe à un atelier cinéma organisé par une ONG. On lui prête une petite caméra. Elaha commence alors à filmer son quotidien. Elle ne s’est jamais arrêtée. Pendant deux ans, elle filme la vie dans les camps qui agonisent, elle filme le quotidien des enfants, de sa famille, elle filme les départs et la route, les logements provisoires, les doutes qui s’abattent, elle filme les espoirs et les désillusions de ses parents. Elaha capture tous les fragments de la vie trimballée d'une enfant fuyant la guerre. Chaque cadre est un témoignage rare, comme l'esquisse d'une vie en cavale.
Note d'intention de Manon Loizeau
Grandir sur la route
À l’origine était le désir de faire un film à hauteur d’enfant pour raconter l’exil, la route qui essore, fracasse, engloutit mais aussi la route qui rend plus fort. Ayant longtemps travaillé dans des pays en guerre, et souvent filmé des enfants, je voulais raconter l’enfance en fuite, cette quête d’un endroit où vivre sans avoir peur.
En Europe, les rêves des enfants qui ont fui les guerres viennent se fracasser sur les rivages des îles grecques devenues des prisons à ciel ouvert. J’ai passé plus d’un an à me rendre sur l’île de Lesbos et dans l’enfer du camp de Moria, j’ai organisé des workshops avec des enfants sur l’île de Léros et parcouru les refuges pour mineurs à travers la Grèce. Et puis la pandémie a gagné le monde, les îles se sont refermées. Après le premier confinement, une possibilité de commencer le tournage se dessinait, mais une nuit de septembre les flammes ont ravagé le camp de Moria. Le destin des enfants rencontrés basculait une nouvelle fois.
Quelques jours après l’incendie, elle s’est imposée. Seule au milieu des cendres, Elaha, une jeune Afghane de 14 ans, filmait les traces de sa vie. Elaha m’a montré sa petite caméra donnée par une ONG et m’a regardée avec un immense sourire et des yeux pétillants : « Je filme pour survivre, je filme pour raconter comment les enfants survivent à tout ça. »
Elaha a pris place dans le film, elle est devenue le film, la narratrice, le fil rouge. Elle est ce regard d’enfant sur les autres enfants de l’exil. Ses images sont d’une force inouïe, chaque plan est vécu, cadré, raconté avec ses mots d’adolescente. Elle décrit mieux que personne l’incroyable résilience des enfants de la guerre projetés dans l’errance.
Elaha filme sans relâche, elle raconte le chaos du monde et son rêve d’Europe, son rêve si simple de pouvoir retourner à l’école. Le film est son voyage. Un journal intime de l’enfance en exil.