Immersion dans la tournée exceptionnelle donnée par le groupe caribéen mythique Kassav', pour leurs 40 ans de scène, à travers les îles du Pacifique. Le groupe se produit pour la première fois de son histoire au Vanuatu et à Wallis, qui n'avaient jamais connu d'événement d'une telle ampleur, avant de poursuivre leur route en Nouvelle-Calédonie et à Tahiti. À chaque étape, la population réserve aux légendes du zouk un accueil à la hauteur de leur notoriété.
Des moments de partage intenses avec le public et une proximité naturelle entre ces îliens que deux océans pourtant séparent.
Kassav’ est le groupe français le plus connu au monde. Inventeur d’un style musical à part entière, le zouk, internationalement connu et populaire. Depuis quarante ans, le groupe a joué dans un grand nombre de pays.
Ce film de tournée musicale inédit pourrait devenir un genre à part entière tant certains moments semblent incontournables. Le tournage s'est fait sur une durée de trois semaines, entre l'arrivée au Vanuatu le 5 octobre 2019 et le départ de Tokyo le 23, où cinq concerts étaient prévus. Le documentaire a adopté la chronologie de ce long voyage, les déplacements, les préparatifs, les rencontres avec la presse..., le débriefing dans les backstages après les shows ont été filmés.
Le but de ce film est de révéler l'essence du groupe et d'apporter un éclairage sur cet esperanto musical qui enchante aussi bien le pêcheur du Vanuatu que le joueur de tambour de Wallis, le lycéen de Nouméa ou le geek tokyoïte et tous les téléspectateurs du monde puisque la planète est désormais le terrain de jeu de Kassav'.
Revivez la tournée des 40 ans de Kassav' dans le Pacifique, le groupe de zouk mythique originaire de Guadeloupe. « Zouk La Se Sèl Medikaman Nou Ni ! »
ENTRETIEN AVEC JOCELYNE BEROARD
Le groupe est né en 1979. Pouvons-nous dire que c'est Kassav' qui a créé le zouk ?
Jocelyne Béroard : Kassav’ a créé un style musical qui fut nommé «zouk» parce que joué dans les zouks, nom à l’origine donné aux soirées dansantes chez nous. Tout comme le style disco fut donné aux musiques jouées dans les discothèques, notre musique fut nommée «zouk» par le public. Le style zouk qui inspire plein de musiciens sur la planète est le style qui a été proposé par Kassav’, donc oui on peut dire haut et fort que Kassav’ est à l’origine du style nommé « zouk ».
Que signifie le mot « Kassav' » ?
J. B. : Cassava est le mot anglais pour le manioc, la cassave est une galette de manioc mangée dans plein de pays de la Caraïbe. Le manioc est une racine consommée dans la Caraïbe, l’Amérique du Sud, l’Afrique et l’Asie. C’est un aliment populaire. La variété de manioc que nous avons doit être débarrassée de son poison pour être un aliment sain. C’est cette particularité qui a entraîné ce choix. Il fallait débarrasser nos musiques des choses qui l’empêchaient d’être écoutée ailleurs que chez nous, meilleure qualité sonore, arrangements précis, mélodies harmonieuses et textes variés avec lesquels nous sublimerions notre langue créole.
Parlez-nous de la tournée à travers les îles du Pacifique. Vous avez vécu des moments de partage intenses avec le public qui, pour certains, vous voyait pour la première fois en quarante ans.
J. B. : Le Pacifique fait rêver beaucoup de personnes, mais peu ont l’occasion d’y aller du fait de l’éloignement, que l’on vive en Europe ou aux Antilles. Etre connus et aimés là bas nous ravit. Nous avions déjà joué à Tahiti en 93, au moins cinq fois en Nouvelle-Calédonie depuis 1988, et aussi au Japon en 88. Cette fois, le Vanuatu et Wallis s’ajoutaient à la liste, et le Japon qui voulait nous avoir pour la deuxième fois fut annulé à cause d’une panne d’avion. Cette tournée fut riche en échanges culturels, à chaque fois reçus royalement dans le vrai sens du terme. Le public s’est à chaque concert déplacé en nombre, et son engouement était sans réserve. Lorsque certains parlent de la barrière de la langue lorsqu’il s’agit de musique, on se demande jusqu’où ils ont eu la chance de voyager ? Nous sommes venus partager notre musique, mais avons pu rencontrer leurs musiques en retour. Si le tourisme vend surtout les plages, nous avons aussi visité des villages culturels ou traditionnels où la sagesse universelle qui s’y dégage nous interdit de nous penser supérieurs à qui que ce soit.
Quel est le secret de votre longévité ? Comment expliquez-vous un tel succès ?
J. B. : Cette longévité est due d'abord au fait que nous avons trouvé le style que nous voulions créer et qu’il a été accepté par le public. Lorsqu’on prend conscience de cette réussite partagée, le plaisir de jouer cette musique prend le dessus sur toute forme d’ego. Kassav’, composé de Guadeloupéens et de Martiniquais avec Pierre Edouard Décimus comme mentor, voulait faire exister les Antilles musicalement dans le monde entier, et son public premier fut celui qu’il représentait, fédérait, rendait fier et remplissait d’espoir. Aujourd’hui, les groupes ne jouent plus uniquement en salle de bal, mais ils font des concerts dans des salles de plus en plus prestigieuses, et ce, depuis Kassav'. Aujourd’hui, il est normal de considérer qu’être musicien ou technicien de spectacles est un vrai métier, et beaucoup suivent des formations pour exceller, ce qui n’était pas toujours le cas avant. Les femmes chantent sur scène, écrivent et composent sans être montrées du doigt. Comme je l'ai dit, la qualité de nos réalisations était essentielle. Notre but était d’être acceptés chez nous d’abord puis faire briller nos îles ailleurs. L’autre peut rester insensible à notre musique, il en a le droit, mais il n’était pas question de lui donner l’occasion de dire que ce n’était pas au niveau des réalisations internationales qui avaient droit de cité. La musique proposée par Kassav’ et nommée zouk a influencé plein de musiciens dans des contrées improbables comme le Japon, l’Angola, le Cap-Vert, le Mozambique, la Côte d’Ivoire, pour ne citer que ceux-là, le Brésil et même l’Amérique du Nord où Miles Davis a exprimé son inspiration zouk dans l'un de ses titres. Beaucoup de nos titres furent repris par des Mexicains, des Dominicains et autres Sud-Américains qui en ont fait des tubes sans jamais vraiment parler de nous. J’ai dû l’expliquer, avec mes restes d’espagnol, à la radio chilienne pour que les gens qui croyaient que nous faisions des reprises, apprécient notre seconde prestation au grand festival de Viña Del Mar en 1993. Bref, nous avons fait des concerts dans 73 pays du monde. Lorsque vous faites le point et accueillez régulièrement des dizaine de milliers de personnes à vos concerts, vous ne pouvez, pour des raisons stupides, arrêter le train. Notre grand âge nous privera suffisamment tôt de scène, mais pour le moment l’envie de continuer durera tant que nos corps nous le permettent.
Il nous est difficile d’expliquer ce succès, il faut demander aux gens. Les retours qui me parviennent d’inconditionnels est que c’est une musique énergisante qui leur permet de supporter leurs problèmes. Je crois que notre musique en séduit plus d’un sur plusieurs plans, ne serait-ce que les arrangements et l’originalité de nos compositions qui sont loin d’être simplistes, mais restent à la portée de tous. Ce n’est pas uniquement une musique de fête comme beaucoup cherchent à la réduire, mais l’expression d’un peuple qui a dû se relever d’une histoire violente et douloureuse et affronte ce monde debout.
Votre meilleur souvenir en quarante ans ?
J. B. : Il n’y a que de bons souvenirs, je peux plus facilement parler des mauvais…
Un mot pour votre public ?
J. B. : Juste un mot ?... MERCI !
Allez, je ne serai pas avare, j’ajouterai : Je vous aime.
Propos recueillis par Sophie Desquesses
Jocelyne Béroard
Jocelyne Beroard s'est confiée à nous en toute simplicité. Rencontre avec la chanteuse du groupe mythique KASSAV', qui revient sur les 40 ans du groupe.