Éloi Machoro, itinéraire d'un combattant

Quarante ans après, un documentaire revient sur la trajectoire d’Eloi Machoro. Selon Eric Beauducel, le réalisateur, Eloi Machoro ne se résume pas à cette double image de terroriste ou de martyr de l'Indépendance. Et nous invite à découvrir les multiples facettes de ce personnage. Interview.

Un certain recul a-t-il été nécessaire pour travailler sur la vie d'un personnage aussi clivant ?

E.B. : Loin de moi l'idée de dire que pour parler de Machoro, il faut forcément un non-Calédonien, mais ce qui est certain, c'est que ce documentaire était également destiné à la Case du Siècle de France 5, donc à un public qui ne connaît pas ou peu la Nouvelle-Calédonie et sa complexité. C'était donc un exercice à la fois de "simplification" ou de pédagogie, en gardant les enjeux qui sous-tendaient cette période et les actions de Machoro. Je me suis nourri de dizaines et dizaines d'heures d'archives avant le tournage pour cerner un peu le personnage et sa place dans les événements, mais je partais d'abord d'une absence d'a priori ou d'images préconçues pour me faire ma propre idée avant d'aller à la rencontre de ceux qui l'ont connu.

Comment s'est déroulé le tournage en Nouvelle-Calédonie ? Votre démarche a-t-elle été comprise et bien accueillie de part et d'autre ?

E.B. : Le tournage s'est très bien passé. Même si Machoro reste un sujet controversé, les années ont passé et on doit pouvoir aborder ce genre de documentaire sans polémiques stériles. Mais on pouvait sentir que pour certains jeunes, il est aujourd'hui une image un peu floue, un peu stéréotypée. Pour d'autres, il reste figé dans cette aura révolutionnaire ou, au contraire, terroriste.

Comment avez-vous fait pour gérer la diffusion d'images assez choquantes, comme l'annonce de la mort d'Eloi Machoro sous les applaudissements ?

E.B. : Je n'ai pas "géré" mais simplement essayé qu'elle soit comprise, ou en tout cas, que cette image soit remise dans son contexte pour comprendre le climat général qui régnait. Ensuite, l'un des intervenants explique bien que si cette réaction pouvait être considérée comme indécente, elle était surtout épidermique… Mais je dois avouer qu'elle m'a choqué et qu'elle symbolise, à sa façon, la tension extrême qui régnait et ce que Machoro symbolisait pour une partie de la population.

Qu'est-ce qui vous a le plus frappé lors de la réalisation de ce documentaire ? Avez-vous découvert des aspects inconnus de la vie d'Eloi Machoro ?

E.B. : Le plus important est le décalage entre une image publique, médiatique et ce qui se dessine quand on essaye d'aller plus loin dans la vie de Machoro. C'est toujours plus facile d'emprisonner un personnage dans une image simpliste, mais cela n'est ni bénéfique pour la mémoire ni pour l'apaisement. Suivre son parcours et ses désillusions, écouter ses nombreux discours ou le témoignage de ceux qui ont croisé sa route ou partagé son combat, a dessiné un contour bien plus complexe d'Eloi Machoro. Que l'on soit d'accord avec ce combat ou non, avec ses méthodes, l'homme méritait que l'on se penche sur ce qui l'a transformé de cet instituteur plutôt timide en combattant de l'indépendance.

Quel est l'entretien que vous avez tourné pour ce documentaire qui vous a le plus surpris ?

E.B. : Certainement celui de son fils Eric, qui a perdu son père à l'âge de 5 ans. Il ne s'était jamais exprimé. La coutume qu'il a faite sur la tombe pour demander à son père l'autorisation de parler était un moment très fort. Et sa façon de dire que sa tâche aujourd'hui était de continuer le nom de Machoro, qui ne se résume pas à Eloi, et de rappeler la difficulté de porter ce nom lorsqu'il était enfant, sans vraiment comprendre le rejet. Le moment passé avec lui et sa sœur Diana dans la tribu de Nakety, fief de Machoro, m'a marqué.

Comment votre film a-t-il été reçu, et notamment auprès de la famille d'Eloi Machoro ?

E.B. : Il a été très bien accueilli en métropole, et aussi par la famille, qui attendait certainement un film sur lui depuis longtemps. Pour ses enfants, c'était un peu connaître un père dont on ne leur parlait que peu. Je sais que le film aura forcément des détracteurs, mais s'il permet au moins le débat et la discussion, il aura atteint son but.

Au final, quel message souhaitez-vous faire passer avec ce documentaire ?

E.B. : Je ne parlerai pas de message, juste d'un constat, qu'il me semble important de ne pas emprisonner un homme dans une action, aussi polémique soit-elle, sans connaître son parcours et ses motivations. Machoro ne se résume pas à cette double image de terroriste ou de martyr de l'Indépendance, elle a bien plus de facettes. Sa personnalité s'est construite sur une situation politique, sociale ou économique complexe dont l'État français a été un acteur majeur...