Georges-Marc Benamou (producteur), Gilles Taurand (scénariste), Antoine Garceau (réalisateur) et les comédiens Frédéric Pierrot, Judith Chemla et Sofia Essaïdi se confient sur l'adaptation du roman d'Albert Camus.
L’adaptation
Gilles Taurand : Adapter un texte aussi connu provoque un immense vertige. Nous nous sommes très vite posé la question de la temporalité. Il nous a paru évident que le choix d’une dystopie n’était pas du tout artificiel. En relisant la fin de La Peste, il est dit par l’intermédiaire du docteur Rieux que la maladie ne meurt ni ne disparaît jamais. C’est une peste autant épidémiologique que métaphorique autour du totalitarisme, et se projeter dans une époque future reste cohérent.
Lorsque nous avons proposé l’idée à Catherine Camus, la fille d’Albert Camus, elle était tout à fait d’accord parce qu’elle avait le sentiment que nous ne trahissions absolument pas l’esprit du livre.
George-Marc Benamou : Adapter un livre n’est jamais évident. Les personnages sont là, mais même Camus se plaignait que l’épidémie soit l’ennemi de la dramaturgie. Il a donc fallu en créer, rajouter des personnages, notamment des femmes et des jeunes.
Antoine Garceau : Nous avons vécu un moment extrêmement émouvant avec Gilles. Nous sommes allés à Lourmarin, montrer les quatre épisodes à Catherine Camus, et au même moment Georges-Marc les montrait à sa petite-fille dans nos bureaux à Paris.
Catherine Camus avait validé le scénario des mois avant, mais voir le résultat incarné par les acteurs, dans le bureau d’Albert Camus, était vertigineux. Elle nous a chaudement félicités et nous a dit : « Tout ce que vous avez ajouté aurait fait plaisir à papa. »
Sofia Essaïdi : Nous sommes beaucoup plus touchés de lire le scénario aujourd’hui qu’il y a trois ans. Mais ce sont surtout la qualité et l’audace de ce projet qui m’ont donné envie d’y participer. La vision d’Antoine m’a convaincue ; il m'a présenté un film choral, qui raconte beaucoup de choses intéressantes sur notre époque et qui m'a donné envie d’en faire partie.
A.G : Le contexte du covid a donné plus de force à l’adaptation. Il a montré comment chacun se comporte avec les autres, l’un qui se méfie, l’autre qui tente d’en profiter.
Frédéric Pierrot : Ce projet d’adaptation est vertigineux. Tout d’abord parce que j'ai beaucoup d’admiration pour Camus. Lorsque nous travaillons sur un rôle, l’admiration peut être dangereuse. J'ai continué à lire son œuvre et j’ai pu réaliser à nouveau à quel point son écriture est simple, sobre et pure.
La dystopie
G.T. : La période dystopique permet de montrer à quel point La Peste est un roman contemporain avec un regard de philosophe et d’une certaine façon politique. Il peut parfaitement se déplacer dans le temps.
L’actualité fait que nous ne lisons pas ce roman de la même manière aujourd’hui qu’à sa sortie en 1947. Et pourtant, les questions qu’il soulève traversent le temps. La télésurveillance, le totalitarisme, l’obsession sécuritaire ou encore la paranoïa ; ce côté kafkaïen nous concerne tous.
A.G. : Nous avons voulu imaginer la société de 2029 en ajoutant des télévisions, des hologrammes et des écrans géants dans la ville. Cela donne un côté Big Brother avec des messages qui passent en boucle. Changer tout l’environnement n’était pas possible, nous avons donc fait attention aux détails : il y a très peu de bruits de voitures à moteur thermique. Nous avons ajouté ce prêtre 2.0 qui fait des « live » sur les réseaux sociaux. Nous nous sommes dit que peut-être, en 2030, les églises seraient désertées mais que le monde pourrait suivre la messe sur son téléphone.
F. P. : J’ai trouvé que c’était une idée formidable de Gilles et Georges-Marc. C'est un véritable électrochoc qui oblige à penser à notre époque et à ce qu’on en connaît. Jour après jour, nous retrouvons des similitudes et c’est effrayant.
Judith Chemla : Dans le récit comme dans notre société, l’ampleur du désastre et des mensonges qui se sont joués ne sont jamais révélés au grand jour. Ce sont des catastrophes qui couvent et qui peuvent se réveiller à tout moment.
Propos recueillis par Lucile Canonge.