Samuel Le Bihan s'est confié sur la fiction dans laquelle il incarne l'avocat d'Elsa Sainthier, une mère coupable d'infanticide qui dit avoir voulu mettre fin aux immenses et irrémédiables souffrances de son enfant, atteinte de polyhandicap et de troubles autistiques sévères.
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Pouvez-vous nous parler de la genèse de ce projet ?
Je voulais jouer un avocat depuis très longtemps. J’avais envie de m’essayer à la plaidoirie, au challenge que cela représente en tant qu’acteur de se lancer devant une audience avec les mots comme seule arme.
Le sujet n’est venu qu’après, je ne tenais pas nécessairement à aborder l’autisme. Étant donné ma vie personnelle, j’ai rencontré beaucoup de personnes qui vivent des moments extrêmes dans une grande solitude. J’ai été très marqué par l'épuisement et l’abandon auxquels ils font face. Je suis tombé sur des articles de presse de ces tragédies qui arrivent environ une fois tous les dix ans, des mères épuisées qui, ne voyant plus d’autre solution face à la souffrance de leur enfant, prennent la décision de mettre fin à ses jours.
Cette question n’est jamais abordée, je voulais interroger la place du handicap dans notre société, tout ce qu’implique une décision aussi lourde et désespérée.
Votre vie personnelle et les expériences que vous avez vécues se retrouvent-elles dans ce film ?
Ma fille est autiste, elle va à l’école, accompagnée d’une AVS, et elle fait des progrès incroyables. Mais elle reste différente, et la question de l’avenir se pose toujours : si je ne suis plus là, comment ça va se passer ? Son chemin m’a permis de rencontrer beaucoup de monde. Je soutiens beaucoup d’associations, j’ai monté une plateforme.
Nous sortons complètement du cadre de la famille comme on l’entend dans notre société. La vie sociale change, vous devez tout réorganiser. J’ai la chance de faire un métier qui me permet d’avoir des moyens et un réseau pour faire en sorte de m’occuper de ma famille comme il se doit. Dans certains milieux moins favorisés, il est quasiment impossible d’obtenir des rendez-vous, un diagnostic.
Ma situation est complètement différente, mais je saisis l’écho que peuvent provoquer ces questions.
Il y a tout un pan de ce film qui tourne autour de la justice, comment vous êtes-vous préparé à jouer un avocat et notamment le morceau de bravoure qu’est la plaidoirie ?
Je me suis beaucoup préparé. Je suis allé au Palais de Justice de Paris pour regarder des plaidoiries, j’ai vu beaucoup de films. C’était très intéressant de voir les stratégies de chacun : ceux qui coupent le micro pour se rapprocher des juges, les Américains qui y ajoutent un certain sens du spectacle. Il faut saisir ces nuances et savoir faire preuve de réserve tout en étant convaincant.
Le texte m’a assez vite bluffé et j’ai beaucoup travaillé pour lui faire justice. J’ai commencé à l’apprendre un mois avant le tournage. Je voulais pouvoir le connaître sur le bout des doigts et en être complètement détaché.
J’ai aussi appris à maîtriser l’espace d’une salle d’audience. J’ai beaucoup répété, comme pour un spectacle. J’ai travaillé avec des conseillers techniques, des avocats, il fallait rester dans le domaine du plausible. J’ai filmé la plaidoirie deux fois, une du point de vue du public et une du point de vue des jurés. J’aimais bien l’idée de garder l’émotion de la première fois et de sauter sans filet.
Ce sont des jolis rendez-vous dans le métier d’acteur, qui donnent envie qu’on les soigne. Capter l’audience pendant 15 minutes, en changeant les points de vue, en créant des relances, c’était un défi très intéressant.
Tu ne tueras point s’arrête aussi beaucoup sur le sujet des aidants, de la famille proche, du manque d’accompagnement dont ils sont victimes...
Il y avait un aspect militant dès le début de l’écriture du projet. C’est aussi comme ça que nous en avions parlé avec France Télévisions. La place des aidants est essentielle et doit être abordée.
Certaines personnes sacrifient leur vie pour leurs enfants, souvent des femmes car ce sont elles les mères. Beaucoup de couples explosent, les pères abandonnent, et elles se retrouvent seules à devoir sacrifier leur carrière et leur vie personnelle. En décalant le sujet du crime, on étend effectivement l’histoire aux personnes qui entourent ces enfants handicapés.
L’attention est aussi tellement portée sur l’enfant plus fragile que les autres peuvent se sentir abandonnés, mal aimés et finir par croire qu’il aurait fallu qu’ils soient handicapés pour qu’on s’occupe d’eux. Ces enfants finissent souvent par s’orienter vers les métiers qui développent le sens de l’autre.
Pourquoi avoir choisi de se concentrer sur la mère, que pouvez-vous nous dire de son personnage et de ce qu’elle représente ?
Je voulais qu’on aborde le sujet après que la tragédie a eu lieu, il fallait que ce soit acceptable pour le public. Il n’était pas question de voir une mère tuer son enfant. Nous sommes dans le temps de la justice, c’est une distance nécessaire pour aborder ce sujet avec plus de pudeur et de délicatesse. Nous suivons la mère, ce qu’elle vit et comment elle en ressort ou pas. C’est une fenêtre sur son chemin intérieur : quel être humain est-on après cet événement, comment y survit–on ?
L’avocat n’est pas là pour lui faire éviter la condamnation : elle s’est condamnée elle-même, il est là pour sauver cette femme aux yeux de la société, pour faire évoluer son regard. La tragédie est déjà trop ancrée dans sa vie, peu importe le résultat du procès. Cette femme, à bout de souffle, pose une question sociale. Le film interroge l’accompagnement ou son manque et la terrible solitude des parents. Il ne faut pas chercher à comprendre son geste mais le regarder en face et de se demander ce qu’il dit de notre société, de notre humanité. L’idée n’est pas d’amener des réponses mais de poser la question, de soumettre une réflexion au public. Il s’agit réellement d’une mission de service public.
Justement, quel regard sur la société posez-vous avec ce film, comment approchez-vous votre rôle ?
Je vois une société de plus en plus compétitive, qui laisse de moins en moins de place à la famille, à la vieillesse, à la maladie, à la différence ou à la faiblesse. Cette solidarité naturelle est de plus en plus difficile à mettre en place.
De gros efforts ont été faits pour accompagner les enfants à l’école mais il reste tellement de combats. Pour les autistes adultes, sur l’accueil et les places en centres spécialisés. Je me souviens d’une mère, défendue par Éric Dupond-Moretti, qui avait tenté de mettre fin à ses jours après avoir tué son enfant. La société avait complètement abandonné cette mère qui s’est résolue à disparaître et faire disparaître son enfant. Il y a beaucoup de maladies rares où il faut évoluer en termes d’accompagnement : l’aspect social et structurel mais aussi l’aspect moral et la manière dont nous intégrons la différence au quotidien.
Chacun vit ce métier comme il l’entend. Je trouvais important de mêler celui-ci à une cause qui m’est chère et de faire bouger les lignes. Je ne veux pas non plus devenir intrusif, mais ces sujets méritent une tribune.
Propos recueillis par Lucile Canonge.