Résumé
Un corps de femme raconte les rapports des femmes à leur propre corps. Au sein de trois lignées de femmes, de 12 ou 80 ans, chacune incarne et éclaire la façon dont les époques et leurs injonctions ont pu modeler leurs corps, et les en déposséder. Cinq ans après #MeToo, comprendre la manière dont nos corps continuent à nous échapper et à nous tourmenter. Après l’égalité et l’acquisition de droits juridiques, après la libération sexuelle et procréative, le film pointe ce qui change et doit se dessiner aujourd’hui, la conquête d’une liberté plus intime : s’approprier enfin ce corps, l’accepter comme il est, et pourquoi... pas l’aimer.
Note d'intention de la réalisatrice Delphine Dhilly
Je pense souvent à la différence entre la vie que je vis en tant que femme, et au rapport à mon corps, qui sont corrélés, voire indissociables, à celle qu’a vécue ma grand-mère, à seulement deux générations d’écart. Elle n’aura connu qu'un seul homme, mon grand-père, a toujours travaillé à la ferme avec lui, tout en ayant porté, donné naissance et élevé sept enfants, dont deux jumelles.
Je pense à elle quand je mesure la chance que ma mère m’explique ce que sont les règles, et qu’elle me raconte qu’à son époque, ce jour-là, on se prenait une baffe. Je pense à ma grand-mère quand je me rappelle que j’ai pu avoir plusieurs histoires amoureuses, me questionner sur les moyens de contraception et que j’ai pu choisir le moment pour avoir un enfant, alors que les femmes de sa génération ont souvent dû, dans l’illégalité, la honte et au péril de leur vie, avorter.
Si je mesure tous ces écarts, j’écris toutefois ces lignes avec une bouillotte sur le ventre, ou alternativement sur le bas du dos, avec un Doliprane avalé, car j’ai mes règles. J’hallucine quand un médecin me dit à travers la salle d’attente après une mammographie : « Vos seins vont très bien ! » Mes problèmes ou enjeux majeurs de rapport à mon corps ont été de l’ordre de déconnection, de manque de maîtrise, de pudeur, de maladies chroniques un peu pénibles mais pas trop graves, de complexes. À 44 ans, j’apprends seulement à l’aimer un peu plus, mais surtout à le connaître, à l’habiter grâce au sport, aux travaux féministes, aux échanges avec mes amies, et même à mon travail de réalisatrice. J’ai eu 40 ans en pleine révolution féministe, qui se situe au niveau du corps précisément.
J’ai choisi de raconter le corps, la vie d’un corps de femme, et le chemin de nos corps des années 1940 à aujourd’hui, à travers trois familles et trois générations de femmes, car ces lignées de femmes dans lesquelles nous grandissons nous permettent de mesurer l’évolution de nos droits, mais elles nous transmettent aussi, parfois bien malgré elles, d’une femme à une autre, tous ces critères d’éligibilité au marché de l’amour, de la séduction et la bienséance. Pour le bonheur futur de leurs filles, pour leur appartenance à ce monde, voire leur réussite.
Et si ce n’est pas la famille qui s’en charge, car parfois la famille fait office de cocon, ce sera la société. À travers les normes non écrites, dès la puberté : à l’école, dans l’amour et les règles du dating, sur les réseaux sociaux, dans les injonctions des magazines et de la publicité, du marché du travail jusqu’aux conseils entre amies, tout, quasi tout est fait et organisé de manière à contrôler le corps des femmes. Alors que nous sommes en France, dans un pays dans lequel nous sommes censées aujourd'hui disposer de nos corps.
C’est là que la fracture intervient : entre le corps que nous sommes, que nous avons, que nous pouvons utiliser au quotidien, dont nous devrions jouir et nous réjouir, et ce corps qui devient cette autre entité que l’on ne cesse de dompter et ainsi, comme nous n’y arrivons pas, que nous ne cessons de dégrader, voire détester.
Ce film veut explorer ces fractures, et dessiner un nouveau rapport au corps. Car « la question du corps pourrait bien constituer un levier essentiel, la clé d’une avancée des droits des femmes sur tous les autres plans », Mona Chollet, Beauté fatale.