Résumé
Provence, été 82. Des lycéens français et leurs correspondants allemands font une séance de spiritisme.
Peu après, une série d’évènements tragiques s’abat sur le village. Auraient-ils réveillé un esprit maléfique ? Les jeunes vont se lancer dans une enquête sur l’origine du mal qui frappe leurs familles.
Avec notamment
- Bruno Solo (Pierre Peyrat), Patrick Mille (Jacques Lagorce), Ophelia Kolb (Isabelle Seguin), Anne Le Ny (Françoise Seguin), Catherine Mouchet (Madeleine Lagorce), Raphaêlle Agogué (Laure Lagorce), Katharina Schüttler (Karine Schiller), Stefan Konarske (Klaus Lehman), Thomas Sarbacher (Fritz Schiller), Matthias Van Khache (Charles Seguin ), Narcisse Mame (Père Antoine), Stéphane Rideau (René Brémont), Mounir Margoum(Farid Abbas), Guillaume Carcaud (Louis Giono), Ruben Meiller (Frank Schiller), Eloïse Kafui (Alice Brémond), Victor Lefebvre (Vincent Seguin), Leyla Rink(Dilay Pamuk), Anton Weil ( Fritz Schiller jeune), Anton Petzold (Oliver Mayer), Manu Libert(Mathieu Lagorce) Célia Lebrument (Yasmina Abbas), Emilia Peske (Iris Hoffmann)...
Série 6 x 45 min
Créée par
Thomas Bourguignon
Jörg Winger
Réalisée par
Thomas Bourguignon
Production
Kwaï
Big Window
Producteurs
Stéphanie Carrère
Jörg Winger
Musique
Yuksek
Direction du cinéma et des fictions internationales et jeunes adultes
Manuel Alduy
Morad Koufane
Note d’intention des créateurs
Quand on s’est rencontré la première fois avec Jörg — il avait produit la série Deutschland 83 (International Emmy Awards de la meilleure série en 2016), j’avais produit Baron Noir et réalisé les quatre derniers épisodes de cette série —, on s’est rendu compte qu’on avait tous les deux eu des correspondants quand on était ado. Avec mon correspondant allemand (Thomas), ça avait été la guerre totale. On se faisait les pires crasses ! Jörg, au contraire, s’est fait un ami pour la vie avec son correspondant français . Il y a donc un aspect autobiographique dans OUIJA, UN ÉTÉ MEURTRIER.
Avec OUIJA, UN ÉTÉ MEURTRIER, on voulait explorer les relations franco-allemandes à travers une série ludique, et qui a du fond : une série criminelle et paranormale, qui raconte comment trois générations se retrouvent impliquées dans un drame, à cause d’une tragédie qui s’est produite 40 ans plus tôt.
L’histoire se passe sur deux périodes : 1944 — lors de l’épuration — et pendant la Coupe du monde de foot de 82. A cette époque-là, le sentiment anti-allemand était très fort. On parlait encore des « Boches ». On voyait la France et l’Allemagne comme des ennemis héréditaires. Avec Jörg, on voulait monter que cette haine était une construction et que, de la même manière, l’amitié entre les peuples est également une construction, fragile, et sur laquelle il faut veiller. Dès qu’il y avait un match de foot, la haine des Allemands remontait en flèche. La Coupe du monde de 82 nous a servi à structurer le récit. Un match, un épisode. Chaque match nous rapprochant inéluctablement de la fameuse demi-finale perdue par la France contre l’Allemagne, avec Schumacher brisant la mâchoire de Battiston et les rêves de la génération Platini. Tout le monde se souvient de cette Nuit de Séville, chacun sait où il était ce soir-là, un peu comme le 11 septembre… On peut dire que ça a été la dernière guerre avec l’Allemagne !
Le Ouija est une pratique censée permettre la communication entre les esprits des morts et des vivants. Le nom lui-même vient des mots « oui » en français et « ja » en allemand. On s’est dit que c’était un signe… et un bon medium pour connecter ces deux époques. Plus profondément, le paranormal est pour nous un moyen d’explorer la psyché humaine. On s’est beaucoup inspiré de la psycho-généalogie pour cette série.
Même si les gens sont rationnels, le paranormal et le spiritisme continuent de nous fasciner et de nous faire peur. D’ailleurs, l’équipe de tournage était de plus en plus inquiète au fur et à mesure qu’on s’approchait du moment de filmer cette fameuse séquence de Ouija. Et ils avaient raison… La maison en ruine dans laquelle on a tourné s’est en partie effondrée pendant le tournage de cette scène ! Heureusement personne n’a été blessé, mais nous avons dû finir le tournage sur un autre décor. On ne joue pas impunément avec les forces obscures… comme les héros de notre histoire vont le découvrir… !
Thomas Bourguignon et Jörg Winger
Interview de Thomas Bourguignon
Avant d’être réalisateur, vous étiez producteur de Baron Noir et Il Miracolo notamment, vous avez même été élu producteur de l’année par le Film Français et la Procirep en 2017.
J’ai eu plusieurs vies professionnelles, mais en fait j’ai toujours rêvé d’être réalisateur…
A l’âge où d’autres écrivent leur journal intime, moi j’écrivais un journal… de critiques de cinéma. Je voyais un film par jour et j’écrivais dessus, je noircissais des cahiers entiers… A l’époque, je ne savais même pas que ça pouvait être un métier. Mes parents n’étaient pas pour que je fasse des études de cinéma, ils m’ont dit « Passe Sciences-Po d’abord ». Là-bas, je me suis occupé du ciné-club, et puis il y avait un cours de cinéma de Michel Estève, le directeur d’Études cinématographiques. C’est lui qui m’a conseillé d’écrire à Michel Ciment, chez Positif. Ils ont publié mon premier article sur David Lynch et les frères Coen quand j’étais encore étudiant.
J’ai écrit pendant dix ans pour cette revue, surtout sur le cinéma américain et asiatique (Tim Burton, Edward Yang, Kurosawa, Peter Weir, Jane Campion…). Parallèlement, j’ai fait un D.E.A de cinéma à la Sorbonne avec Éric Rohmer comme prof de scénario. Mon sujet de mémoire était Kubrick : du vouloir-vivre à l’autodestruction. Gilles Jacob, le délégué du Festival de Cannes, avait repéré mes articles et m’a demandé de rejoindre son comité de Sélection. On était quatre journalistes à le conseiller pour les films en Compétition et Un certain regard. Du coup, j’étais invité à Cannes au moment du Festival et j’assistais aux projections, assis entre Coppola et Sharon Stone !… J’avais 25 ans… je vivais un rêve de cinéphile.
J’écrivais aussi des court-métrages. Mais ils n’étaient pas à la hauteur… Je les trouvais trop « à la manière de… ». Je n’avais pas assez vécu, ça manquait de vérité humaine. Alors j’ai arrêté, mais en me disant que je reprendrais, plus tard, quand j’aurais mûri. Mais je me suis juré de réaliser un film avant mes 40 ans.
A l’époque je cumulais les petits boulots et je lisais aussi des scénarios pour France 2, TF1, M6… La petite chaîne qui monte voulait créer un département fictions et m’a proposé des les rejoindre. J’ai travaillé trois ans pour eux, en parallèle du reste… Les semaines étaient bien remplies. Mais je trouvais que tout ça c’était trop loin de mon rêve d’ado, la fabrication des films. J’ai arrêté la critique, Cannes, M6… et je suis devenu producteur chez Alizés Films. C’est là que j’ai créé notamment la série Femmes de loi pour TF1.
En 2007 j’ai fondé ma société, Kwaï, en hommage au film de David Lean, Le pont de la rivière Kwaï, parce que produire des films c’est comme construire un pont, dans la jungle, sous les bombes, avec des gens qui parlent des langues différentes… et y croire. C’est aussi construire des ponts entre les personnes, entre les cultures. C’est pour ça que j’ai souhaité que le groupe Fremantle devienne partenaire de Kwaï en 2015, parce que je voulais faire des coproductions internationales, construire… un pont plus loin !
J’ai produit des séries et mini-séries, Baron Noir (Canal+) Il miracolo, Kim Kong, Esprit d’hiver, Anna (Arte) … Et surtout, j’ai pu accomplir mon rêve. Je venais d’avoir 40 ans, j’avais vécu un divorce douloureux, j’étais parti en Inde, pour faire table rase… Je suis revenu de toutes ces épreuves changé, mûri … Et j’ai écrit, réalisé et produit Des mots d’amour (France 2), avec Michel Vuillermoz et Clotilde Courau, une comédie dramatique sur la maladie d’Alzheimer. C’était une sorte d’autoportrait déguisé sur quelqu’un qui oublie progressivement qui il est, qui perd son identité… Ça a été une expérience extraordinaire et salvatrice. Par la suite, j’ai réalisé les deuxièmes équipes sur mes productions et puis, surtout, les quatre derniers épisodes de Baron Noir ! Un sacré challenge !
La réalisation est une drogue dure. Je n’avais qu’une envie, c’était d’y retourner ! La Covid a mis un coup d’arrêt à nos productions. J’en ai profité pour écrire Ouija un été meurtrier, pendant le confinement. A partir de là, tourner est devenue ma seule obsession. Produire demande un investissement personnel énorme, qui n’était plus compatible avec mon désir de réaliser. J’ai décidé de vendre le reste de mes parts à Fremantle et de passer la main. Avec Ouija un été meurtrier, j’ai tourné la page de la production et ouvert un nouveau chapitre, celui de l’écriture et la réalisation.
Comment est né le projet ?
Je m’étais associé au groupe Fremantle parce qu’ils avaient des producteurs très créatifs partout sur le globe. Miso en Scandinavie (Rain), Wild Side en Italie (Mon amie prodigieuse, The Young Pope), UFA en Allemagne (Ku’Damm 56), Fremantle America (American Gods)… C’était la “Fremantle family”. C’est comme ça que j’ai rencontréJörg Winger de la UFA. Il avait écrit et produit Deustschland 83 que j’avais beaucoup aimé et lui avait apprécié Baron Noir… Ça nous a donné envie de travailler ensemble. On voulait faire une copro qui ait du sens, pas un de ces europuddings qui ne veulent rien dire. On a commencé par faire connaissance. Il avait appris le français, moi l’allemand quand nous étions lycéens. On avait tous les deux eu des correspondants. Avec le mien ça avait été la guerre totale. Je le détestais et il me le rendait bien. On se faisait les pires crasses. Je le perdais exprès dans Paris et lui me rendait la pareille en m’oubliant dans la Forêt Noire… ! Jörg, au contraire s’est fait un ami pour la vie. Grace à lui il a rencontré sa femme, Anna (NDLR Anna Winger, showrunner de la série Unorthodox). On s’est dit que ces histoires de correspondants, dans les années 80, ça pouvait être un point de départ pour une série.
Alors il y a un aspect autobiographique dans Ouija un été meurtrier?
Absolument, « Zakman », le surnom de Frank est celui que je donnais à mon correspondant allemand. L’histoire de Karin, la mère de Frank, est en grande partie inspirée de celle de ma propre mère. Les grands-pères de Jörg étaient dans la Wehrmacht dans les années 40…
Quels étaient les thèmes que vous aviez envie de traiter dans cette série ?
On voulait raconter les relations franco-allemandes à travers une série ludique, entertaining, et en même temps avec du fond. On voyait monter autour de nous le nationalisme, le repli identitaire, la haine de l’autre, l’euroscepticisme, le Brexit… Et on se disait que c’était important de rappeler d’où venait l’Europe et ce fameux “couple franco-allemand”, dont on nous rebat les oreilles à chaque sommet européen. En 1982, quand on était ado, l’anti-germanisme était encore très fort. La génération de nos parents et de nos grands-parents avaient connu la guerre. On parlait des « Boches ». Dès qu’il y avait un match de foot, la haine des Allemands remontait en flèche. Aujourd’hui, il y a une jeunesse européenne. Tout le monde écoute les mêmes musiques sur Spotify, regarde les mêmes séries sur Netflix, s’habille en Zara et prend son cafè-latte chez Starbucks… A l’époque, il y avait de vraies frontières culturelles. Le contraste était frappant entre un ado français et allemand. On pouvait se reconnaître à des kilomètres ! Les végans et les Birkenstock n’étaient pas vraiment tendance… Il y avait un énorme clash culturel entre nos pays.
On voyait encore la France et l’Allemagne comme des ennemis héréditaires. C’est vrai qu’on avait suicidé l’Europe en trois actes : 1870, 1914, 1940. On voulait monter que cette haine était une construction et que, de la même manière, l’amitié entre les peuples est également une construction, fragile, et sur laquelle il faut veiller. On voulait donc que la série se passe en 1944 au moment de la Libération et de l’Épuration et en 1982, lors de la Coupe du monde de foot. Lier ces deux époques, montrer l’évolution de la relation, qui restait encore fragile, en contraste avec ce qu’on connaît aujourd’hui. La Coupe du monde nous servait à structurer le récit. Un match, un épisode. Chaque match nous rapprochait inéluctablement de la fameuse demi-finale perdue par la France contre l’Allemagne, avec Schumacher brisant la mâchoire de Battiston et les rêves de la génération Platini. Tout le monde se souvient de cette Nuit de Séville, chacun sait où il était ce soir-là, un peu comme le 11 septembre… On peut dire que ça a été notre dernière guerre avec l’Allemagne !
Il y a un mélange des genres dans la série, des changements de tons…
Comme dans la vie ! Les plus grands fou rires sont souvent au moment des enterrements et les plus grandes engueulades pendant les mariages… Personnellement j’aime ces contrastes qu’on retrouve dans le cinéma et les séries coréennes, chez David Lynch, Fellini, Tarantino… ou Shakespeare. J’aime passer d’un genre à l’autre, d’un mood à l’autre. C’est une série historique, paranormale, policière, et c’est aussi un teen movie… Mais tous ces genres ne s’excluent pas, au contraire, ce sont des couleurs différentes, des contrastes d’une même série. Ce qui les unit ce sont les personnages qu’on suit et le style…
Justement, pouvez-vous nous dire comment vous avez travaillé avec les acteurs ?
L’action se passe principalement en 1982, ce qui en fait en déjà un film d’époque avec son phrasé, ses expressions, les débuts du verlan… J’ai donc demandé aux comédiens de connaître leur dialogue sur le fil, car toutes les improvisations ou rajouts seraient probablement à côté, par rapport à l’époque. Par ailleurs, la plupart des acteurs allemands ne parlaient pas français, ils devaient donc apprendre leur texte phonétiquement ! Si les Français changeaient leur lignes, les Allemands ne sauraient plus quand démarrer leurs répliques… Les Allemands ont travaillé plusieurs mois avec un coach, pour avoir le bon rythme, tout en gardant un accent… Ça a été un énorme travail.
Pour éviter les ajustements au moment du tournage, j’ai donc fait des lectures avec chaque comédien. J’ai réécrit chaque fois que ça butait, que ça accrochait, en termes de sens ou de musicalité. Pour Catherine Mouchet par exemple, après la première lecture, je me suis rendu compte que son personnage parlait trop. J’ai donc retravaillé, avec une psy spécialisée dans les Syndromes Post Traumatiques, Yvonne Poncet-Bonnissol, et j’ai réduit de ¾ ses dialogues ; je les ai complètement déstructurés. On a encore travaillé avec Catherine, elle a rencontré la psy elle aussi, pour chercher les mouvements, la diction de son personnage… Et elle m’a fait une proposition de voix, singulière. J’ai procédé de la même manière avec chacun, pour trouver la note juste, le rythme de chaque personnage et l’harmonie générale. Pour Ophélia Kolb, on a travaillé le côté mère de famille qui devient gendarme. Elle n’a pas les codes de l’armée. C’est la première femme gendarme de la région, avec la féminisation de la gendarmerie par Joxe en 1982. Dans ce monde d’hommes, elle se positionne autrement. Et puis elle connaît tous les gens du village. C’est comme si elle faisait une enquête intime, une introspection sur sa propre famille, son histoire. On a donc travaillé sur l’intimité, la douceur, la lenteur, la proximité, pour créer une atmosphère propice aux confidences. Il y aussi un côté ludique dans sa manière d’aborder chaque interrogatoire comme une série de duels avec les figures masculines d’autorité religieuse (le prêtre), politique (le maire) et financière (l’homme d’affaire).
Pour les ados, il fallait créer un unité. Une cohérence de groupe. Une solidarité entre eux. On a fait une première session à Berlin, où les ados français et les allemands se sont rencontrés pour la première fois quelques mois avant le tournage. Le soir, ils sortaient dans les bars… pour créer un esprit d’équipe. Puis on a fait le match retour à Paris. Il y avait des sessions individuelles, en binôme et en groupe. A la fin on a fait une lecture avec tous les comédiens de la série, pour que chacun puisse “entendre”, ressentir dans quel ensemble il jouait sa partition. Ça a été une expérience très forte pour tout le monde. Pour moi, on reconnaît le style d’un réalisateur “les yeux fermés”. Prenez Howard Hawks, ça joue prestissimo, chez Lynch ça joue largo, chez Almodovar animato, rituneto chez Bresson… On a beaucoup travaillé avec les acteurs pour créer une musicalité proche parfois de la torpeur, de la sidération, pour passer d'un niveau de réalité à une autre. Sur le tournage, je faisais autant de prises que nécessaire pour obtenir cette rythmique particulière.
Comment avez-vous abordé le personnage de mal-voyant de Frank ?
C’est un des personnages principaux. Le paradoxe est que celui qui est aveugle voit au-delà des apparences, il est le “voyant” de notre histoire. Il développe un don, un sixième sens, il a des visions. Tout ça ressort d’un fantastique assez européen, où au final il n’y a ni super héros ni extra-terrestres, mais des histoires bien réelles qui sont à la source du fantastique. Et un héros tragique qui vit son don comme un fardeau à porter pour la communauté.
Quand on a pris cette décision sur le handicap du personnage, j’ai rencontré les gens de l’INJA (Institut National des Jeunes Aveugles) avec lesquels j’ai passé beaucoup de temps. J’ai travaillé “sous masque”, pour ressentir ce que c’est que d’être aveugle. J’ai assisté à des cours de théâtre, de judo avec des ados non-voyants ou mal-voyants… J’ai pu échanger avec de nombreux jeunes et m’appuyer sur leurs témoignages pour créer le personnage de Frank. Sa représentation mentale de l’espace, l’écholocalisation, la mémoire, la colère, l’indépendance…. J’ai découvert qu’il y avait autant de façons de vivre ce handicap qu’il y a de personnes. Par exemple ce n’est pas la même façon de réagir à votre environnement selon que vous êtes aveugle de naissance ou pas. Un aveugle de naissance ne tourne pas le visage vers son interlocuteur, contrairement à quelqu’un qui est devenu non-voyant, etc.
Ruben Meiller, qui joue Frank, s’est préparé avec un coach pendant plusieurs mois, en plus de son coaching de français. Il a travaillé sous masque, avec une canne, ses déplacements… Je voyais les vidéos de son travail toutes les semaines, on échangeait avec le coach, jusqu’à ce que Ruben soit capable de se déplacer à l’aveugle, seul, en ville, avec sa canne. Pour le regard, j’ai vu la plupart des films avec des personnages d’aveugles. La palme revient à… Al Pacino dans Le temps d’un Week-end (remake de Parfum de femmes), pour lequel il a d’ailleurs gagné son Oscar. Cette façon qu’il a de regarder son partenaire sans le voir, comme s’il était out of focus. C’était ça ! Il fait le point devant ou derrière le visage de son interlocuteur dans une sorte de faux-raccord permanent… ! Ruben a travaillé ça jusqu’à ce qu’il le chope. C’est très subtil.
Vous avez parlé de “musicalité” pour le jeu des acteurs… la bande-son est un des éléments fort de cette série.
Ça fait partie du voyage dans le temps. Une chanson suffit pour vous projeter dans l’époque, Words de FR. David, Mon fils ma bataille de Balavoine, Da-da-da de Trio… Pour la B.O. j’ai fait un casting. Je voulais une musique d’aujourd’hui mais qui sonne 80, plutôt pop anglaise et New Wave. Yuksek qui vient de l’éléctro s’est imposé. Il adore ce genre de musique, il a une collection de synthétiseurs de ces années-là… ! On voulait retrouver ce grain analogique, très chaud. Pendant le tournage j’avais déjà une dizaine de boucles qu’il avait composées et que je diffusais sur le plateau, pour ambiancer autant les techniciens que les comédiens. La vitesse du steadycam ou du travelling n’étaient plus les mêmes ! Je diffusais aussi des références musicales sur lesquelles on avait travaillé : Krafwerk, Joy Division, New Order, Bowie, Soft-Cell, Human League, … J’avais également créé une playlist avec ces artistes sur Spotify, que je partageais avec les jeunes, pour qu’ils se connectent à cet univers.
On a aussi beaucoup travaillé sur le montage-son et le mixage pour créer un fantastique qui se propage progressivement dans le quotidien. Par exemple, sauf quand c’est un effet recherché, on a enlevé tous les bruits de pas, les frottements des costumes… Vous ne vous en rendez pas compte, mais ça joue sur la perception du film, ça crée une “inquiétante étrangeté” de voir tous ces personnages se déplacer silencieusement.
Ouija un été meurtrier, raconte des choses parfois très dures (femmes tondues, violence conjugale, assassinat…), mais dans un cadre paradisiaque avec une image somptueuse. Le village d’Utelle existe-t-il vraiment ?
Oui, comme pour Baron Noir avec Dunkerque ! C’est important de partir du réel pour faire de la fiction. Ça donne un ancrage, une réalité. Comme la série se déroule quasiment un huis-clos, le village devient un personnage à part entière. Je voulais un lieu coloré, vivant, caché dans la montagne. Un village où on rêve d’habiter, mais où on découvre progressivement que ce petit coin de paradis est gangrené par des secrets du passé. Il fallait trouver un décor qui puisse s’adapter à deux époques, 1944 puis 1982, sans refaire toute la déco, et qui entre dans le budget de la série. Je voulais aussi qu’il y ait une place du village qui soit comme un petit théâtre, où va se jouer tout le drame de la série, comme chez Pagnol, avec son église, son café, sa fontaine…
On a cherché pendant des mois. On a visité plusieurs régions avant de se rapprocher de la frontière italienne et des villages perchés de la vallée de la Vésubie. Après les inondations de 2020, la vallée était encore coupée du monde. Il y avait du coup une ambiance très singulière, hors du monde, hors du temps. En plus c’était le moment du confinement, ce qui rajoutait encore à ce sentiment si… particulier. On est passé sous le porche d’Utelle, exactement comme les Allemands au début de la série… et on a découvert ce village où la vie s’était arrêtée dans les années 70-80, avec sa petite place, son église, son café, sa fontaine… Du coup on n’avait qu’à créer les années 40 et faire quelques aménagements pour les années 80 !
Par rapport aux années 80 quels étaient vos références ?
“La” référence c’est évidemment Spielberg. E.T sort en 1982, l’année où se passe notre histoire. On aurait aimé mettre une affiche du film, mais il n’est sorti qu’en octobre… et Ouija un été meurtrier, se passe en juin /juillet au moment de la Coupe du monde. Il y a évidemment une influence de Lynch et l’ombre de Stephen King, surtout Stand by me… Mais la source c’est surtout nos souvenirs de jeunesse à Jörg et moi. Je ne voulais pas une reconstitution classique, où on a l’impression d’être au musée Grévin, et qui nous tient à distance des personnages. Je voulais au contraire qu’on soit proche d’eux, qu’on s’identifie à eux. On avait la chance que les années 80 soient à la mode… avec le come-back de K-Way, les bandanas, les Rubik’s Cube, Fila, Lacoste… Du coup, on a pu faire un mix entre des costumes vintage et des vêtements contemporains. Du 80’s revisité.
Je voulais un visuel très pop, coloré, contrasté, brillant, chaud, qui reflète l’appétit de vie de la jeunesse qui voit tout en Technicolor ! La présence de la nature était également très importante. Ce petit village, niché dans la montagne, coupé du monde, ça crée un univers à la fois élégiaque et inquiétant… On est allé chercher des décors très difficiles d’accès (grottes, forêts, cours d’eau) pour confronter les ados à une nature sublime, mais qui peut devenir hostile en l’espace d’un instant. Je trouve fascinante cette réversibilité du vivant, qui peut changer de visage comme les personnages de la série. Pour la lumière on n’a pas cherché à être réaliste. On a voulu rester dans le point de vue des ados, qui vivent une aventure bigger than life. Du coup, les nuits dans la forêt sont fauves et la grotte est éclairée comme un autre monde, la planète Mars…
Et pour le fantastique… ?
On n’a ni les moyens des Américains, ni le même rapport au fantastique. En France, il y a une vraie tradition du fantastique aussi bien dans la littérature que dans le cinéma. Prenez Maupassant (Le Horla), Prosper Mérimée (La Vénus d’Ille), Marcel Aymé (le Passe murailles)… Dans le cinéma Meliès s’empare du genre dès l’origine, ensuite il y a aura Feuillade, L’Herbier, Franju, Carné… et Cocteau. Je me suis beaucoup inspiré de lui. Pas seulement parce que sa présence était très forte dans la région où nous tournions (son musée à Menton, la villa Santo Sospir à Saint Jean Cap Ferrat…), mais aussi pour sa manière de créer des effets spéciaux en direct. On a beaucoup fait ça sur Ouija un été meurtrier,. Je trouve que ça apporte une matérialité plus forte que les VFX. Il y a un côté artisanal versus un côté machine-industrie.
Vous pouvez nous donner un exemple ?
Il y a un travelling dans le cimetière, où les personnages sont debout sur le chariot du travelling qui recule. Du coup, on a l’impression qu’ils s’avancent vers nous dans un mouvement immobile, comme en lévitation. C’est un procédé que j’ai repris du Sang d’un poète de Cocteau.
A un autre moment, Bruno Solo et Anne Le Ny sont au lit. En fait le sommier est cloué au mur, tout comme les tables de nuit, les livres, les lampes de chevet… Quand Bruno tombe et se relève, on ne comprend plus dans quel espace on est, l’horizontalité et la verticalité semblent s’être inversés. C’est très Cocteau ça aussi. Pour les visions de Frank, ça a été fait très simplement, directement à la caméra aussi. Pendant un week-end de repérages, j’avais filmé mes enfants, au ralenti, dans une œuvre de Jésus-Rafael Soto à la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence. C’est un volume de 200m3 environ composé d’un cadre rectangulaire en aluminium, à l’intérieur il y a de fines tiges en résine longues de plusieurs mètres. Ça fait comme des spaghetti géants. Les enfants courraient à travers, ils apparaissent et disparaissent au milieu de ces tiges qui ondulaient. Visuellement l’effet était fantastique !
J’ai repris ce procédé pour les visions de Frank, notre aveugle. Je voulais quelque chose de très physique, et qu’on n’avait jamais vu. On a fabriqué avec la déco et l’équipe caméra ce qu’on appelait notre “machine à spaghetti”. Des tubes translucides sur un cadre en bois qu’on agitait devant la caméra qui tournait au ralenti. On le faisait en direct. Sans autre trucage. J’appelais ça le « fantastique spaghetti », en référence au « western spaghetti » qui a européanisé le western à l’époque de Sergio Leone… ! J’aime beaucoup la texture, la matérialité de cet effet directement sur la caméra, la manière dont le fantôme apparaît au travers. Il y a une vraie poésie.
Vous parlez de “fantastique-spaghetti”, on pourrait aussi parler de “fantastique-psychanalytique”.
C’est vrai que pour nous, le fantastique est un outil pour explorer la psyché humaine. D’ailleurs, sans vouloir spoiler, les fantômes dans Ouija un été meurtrier, ne sont pas ce qu’on croit… Ce ne sont pas des morts… Ce qui nous intéresse, c’est la trace que laissent les personnes disparues dans la conscience de ceux qui restent. Elles sont les projections de leurs remords… ou de leurs regrets.
Les fantômes ne sont d’ailleurs pas toujours ceux qu’on croit. Il y a des vivants qui sont des fantômes, comme le personnage de Catherine Mouchet. Elle est restée enfermée, refoulée, en 1944. Sa première apparition est filmée comme un spectre qui sort du néant… On a beaucoup travaillé sur la manière dont les personnages apparaissent et disparaissent à l’écran, pour créer de l’instabilité, du mystère, de la tension. Il y a tout un jeu avec le spectateur, un jeu sur les codes du genre, pour jouer et déjouer ses attentes.
A travers la série on voulait raconter un secret de famille à l’échelle d’un village. Comme une métaphore de la France. Pendant longtemps les Français se sont raconté une histoire héroïque, celle d’un pays qui est du côté des vainqueurs de la deuxième guerre mondiale. D’ailleurs, notre siège de membre permanent à l’ONU est là pour attester cette histoire… Mais aujourd’hui tout le monde sait que la France est un pays vaincu et qui a collaboré plus que d’autres. C’est le génie créatif de De Gaulle d’avoir inventé cette fiction !
On voulait raconter une page de la Libération et de l’Épuration, période méconnue et pas très faste de notre histoire. Et comment ce mensonge a pu pourrir toutes les relations à l’échelle d’un petit village. La première génération vit un trauma, qu’elle cache à la seconde et c’est la troisième génération qui va révéler ce secret au grand jour, et le régler. On s’est beaucoup appuyé sur les travaux de Berte Hellinger, un psychothérapeute allemand qui a créé le concept de Constellations Familiales, pour structurer le scénario. C’est une méthode de thérapie familiale transgénérationnelle fondée sur les jeux de rôles.
C’est comme ça qu’est née l’idée de la pièce de théâtre dans la série. Les ados doivent mettre fin à une malédiction qui se transmet de génération en génération. Ce sont les actes des aïeux, autant que leurs silences, qui sont responsables de ce mal. La pièce de théâtre que doivent écrire les jeunes devient le moteur de leur enquête, et la représentation finale le moyen cathartique de mettre en scène ces secrets, pour les purger. C’est une fois qu’ils ont vu leur histoire jouée sur scène que les villageois peuvent retrouver la paix.
On a beaucoup travaillé à l’écriture, puis à la mise en scène, sur cette thématique du double. Il y a un triangle amoureux dans le passé qu’on retrouve au présent, avec la jeune génération. Les grands-parents voient leur descendants jouer leur propre rôle sur scène, comme dédoublés. Les personnages possèdent, pour certains, un double maléfique ou bénéfique… un Doppelgänger. Certains personnages ont une double vie… Il y a beaucoup de mise en abyme , de miroirs… qui créent des ponts entre le passé et le présent, le monde intérieur et extérieur le réel et le fantastique…