À l'occasion de la conférence de presse qui s'est tenue au mois de juillet, Christopher Thompson, réalisateur de la série Fortune de France, se confie sur son envie d'adapter la saga de Robert Merle, les défis qu'il a rencontrés et les grands thèmes qui traversent les époques.
Pouvez-vous nous parler de la genèse de ce projet ?
J’ai lu Fortune de France jeune adolescent, j’avais 11 ans lorsque le premier tome est sorti. C’est une lecture de jeunesse qui m’a beaucoup marqué, à laquelle je suis revenu adulte. J’ai redécouvert ce roman initiatique qui est aussi une grande saga familiale, laquelle traite des grands moments de la vie, cela m’a beaucoup plu.
J’ai toujours eu le projet d’une adaptation et lorsque le format sériel a connu son avènement, il m’a semblé que le moment et le format étaient propices. Nous avons mis beaucoup de temps à trouver des partenaires et des producteurs, nous avons aussi rencontré les héritiers de Robert Merle. C’est une série assez différente de ce qui se fait. Il s’agit d’un récit historique sans être de la héroïc fantasy, à la fois proche de la réalité mais romanesque dans beaucoup d’aspects.
Comment s’est passé le travail d’adaptation ?
Fortune de France raconte les bouleversements du monde à travers des histoires de famille, ces deux thèmes existent depuis la nuit des temps. Encore aujourd’hui, on se sent à l’aube d’un monde que l’on ne connait pas entièrement. Cela fait partie des aspects passionnants de ce récit. Les personnages deviennent des réceptacles, on lance un grand filet pour récolter ce que charrie l’époque avant de l'insuffler au scénario.
J’ai imaginé cette série pendant 25 ans, je savais que sa création allait entraîner une suite de renoncements. Nous avons pris racine dans le livre, même si nous nous en écartons pour des raisons d’efficacité. Nous avons beaucoup travaillé pour sortir de la chronique et ne garder que les passages clés entre les personnages.
"Les personnages deviennent des réceptacles, on lance un grand filet pour récolter ce que charrie l’époque avant de l'insuffler au scénario."
Vous avez tout de même tenu à moderniser certains aspects de l’intrigue et des personnages ?
Nous adaptons cette série en 2023 (au moment du tournage, ndlr), alors qu’elle est sortie en 1977, il a fallu choisir les aspects à garder ou expurger. Il y a énormément de matière dans le roman, beaucoup de personnages formidables mais avec un regard qui n’est pas celui d’aujourd’hui. Nous avons travaillé à l’écriture pour faire évoluer ce regard, notamment sur les personnages féminins. Isabelle et Cathou par exemple, qui sont nées dans des classes sociales différentes mais qui forment une sorte de sororité en ayant grandi ensemble, dans le même château.
Il y a aussi la relation entre Jean et Isabelle et ce qu’elle dit de la place d’un homme dans la société qu’il domine totalement. Elle trouve des moyens de lui rappeler que ni son corps ni son âme ne lui appartiennent. Elle impose sa place dans leur intimité.
Finalement, c’est aussi le regard des enfants de la série, qui deviennent adolescents et qui nous touchent. C’est à travers leurs histoires que beaucoup d’émotions et de questions passent. C’est eux qui vont hériter du conflit de leurs parents. L’exemple de Pierre de Siorac est parfait : il va vivre une double identité, protestant par son père, catholique par sa mère. À une époque où le monde s’entretue pour avoir une identité, il en aura deux. Je trouve que ce conflit de loyauté a une résonnance très moderne.
"Il y a énormément de matière dans le roman, beaucoup de personnages formidables mais avec un regard qui n’est pas celui d’aujourd’hui. Nous avons travaillé à l’écriture pour faire évoluer ce regard"
Cette série est assez différente de ce que l’on voit à l’écran, vous y parlez d’Histoire, de religion... à travers le prisme d’une famille.
Nous sommes à la fin de la Renaissance, point de bascule d’un monde différent, ultraviolent, et dans lequel les personnages tentent tant bien que mal de garder leur humanité. Les héros de Fortune de France subissent ce changement et doivent trouver dans leurs propres ressources le moyen de rester eux-mêmes ou de se réinventer.
Jean de Siorac, est un scientifique qui cherche perpétuellement la vérité, jusqu’à dans son rapport avec Dieu. Il a une idée progressiste de la réforme de l’époque mais il va l’imposer à son entourage. Il se retrouve coincé entre la conviction que l’Eglise romaine catholique à ce moment-là est corrompue et la femme qu’il aime, qui est une fervente croyante.
Tout le quotidien des membres de la famille et du château est régi par leur rapport à Dieu et ces différences sont ressenties très profondément. Notamment par Jean de Sauveterre, le frère d’arme de Jean de Siorac, protestant radical qui estime qu’on ne peut pas faire une omelette sans casser quelques œufs. Les membres de la famille continuent de s’aimer mais le contexte et les difficultés extérieures les poussent à faire des choix.
Je voulais faire comprendre pourquoi cette France est coupée en deux, à l’aube d’une guerre civile, pour des nuances religieuses qui peuvent paraître très ténues aujourd’hui.
Aviez-vous fait beaucoup de recherches avant de commencer le tournage ?
Nous avons utilisé beaucoup de documentation, notamment grâce à un dossier qui contenait des références, des iconographies, des textes de l’époque qui décrivent la vie de tous les jours.
Le travail sur la langue et le degré de précision que nous voulions lui donner a aussi été très minutieux. Nous tenions à garder la distance de l’époque tout en étant dans un parler assez quotidien.
Comment s’est passé le tournage ?
Les textes étaient difficiles, les situations aussi. Nous avons tourné avec des animaux, dans des décors naturels et en très peu de temps pour un projet contemporain, ces moments sont exaltants. L’ensemble des acteurs et des équipes a formé un véritable corps vivant sans qui il aurait été impossible de réussir ce tournage.
Nous étions presque dans un micro-environnement au château après la scène d’exposition et nous nous sommes beaucoup concentrés sur les détails des choses quotidiennes : sortir du bain et s’essuyer, avoir des tâches d’encre sur les mains lorsqu’on écrit, plumer les poules pour rester fidèle à l’époque.
Propos recueillis par Lucile Canonge
Fortune de France sera diffusé le 16 septembre à 21.05 sur France 2 et sur france.tv
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