Amours Solitaires est un compte Instagram tenu par Morgane Ortin, créé il y a maintenant six ans. À l’occasion de la deuxième saison de cette série, nous avons pu nous entretenir avec elle.
Comment vous est venue l’envie de créer Amours Solitaires ?
C’est une intuition très personnelle, comme beaucoup de choses que je fais en général, avant que ça prenne une ampleur plus universelle. Il y a six ans, je suis tombée très amoureuse et on s’envoyait de très beaux messages. J’avais peur de les oublier.
Je faisais alors plein de captures d’écran, mais elles finissaient noyées dans le flot de ma pellicule photo. Je me suis ainsi dit que cela serait sympa que j’ouvre un lieu où je puisse stocker ma mémoire amoureuse.
J’ai instantanément pensé à Instragram. À cette époque-là, c’était le royaume de l’image, et il y avait très peu de projets écrits, en français en tout cas. Je me suis dit que cela pourrait être intéressant de travestir la plateforme en y publiant des mots.
Le projet était-il collaboratif dès sa création ?
Non, je souhaitais juste partager mes messages. Mais très vite, de manière spontanée, on a commencé à m’écrire.
Même si le compte était public dès sa création, je souhaitais que cela soit fait sous couvert d’anonymat. Jamais je n’aurais pensé un jour révéler qui était derrière le compte.
Quand j’ai commencé à recevoir ces messages, je me suis dit, finalement, le projet, c’est ça. C’est aller visiter d’autres intimités, car la mienne commence à être un peu étroite. Ce projet était cohérent avec ce que je faisais à l’époque.
D’autant plus qu’à ce moment-là, on était dans un discours qui disait que la lettre est morte, on ne communique plus par écrit, les jeunes ne savent plus écrire. L’image a complètement remplacé le mot. Comme si on ne communiquait plus que par émoji ou par image. Alors qu’en fait c’est faux.
« Avec ce projet, j’ai voulu montrer que la lettre d’amour n’est pas morte »
On ne s’est jamais autant écrit qu’aujourd’hui. Les SMS, les mails, les discussions de messagerie instantanée, nos notes dans nos téléphones. On passe nos journées à écrire. Il y a des romans qui n’ont jamais été publiés.
Avec ce projet, j’ai voulu montrer que la lettre d’amour n’est pas morte.
Il y a une façon de vivre l’amour, une façon dont l’actualité cogne sur nos histories ?
Oui, c’est un reflet de société. Les messages que j’ai reçus ont été différents après MeToo, différent après le covid et le confinement. La manière d’écrire l’amour n’est qu’un reflet de tout ce qui se passe dans la société, même de toutes les révolutions féministes.
En dix ans, mon regard a également changé. J’ai dépublié aujourd’hui que j’avais publié, que je trouve très problématique, alors qu’en les publiant je ne m’en rendais pas compte. Merci aux féministes.
Aviez-vous conscience de l’importance de l’actualité sur la façon d’écrire l’amour ?
Je ne m'étais pas rendu compte tout de suite que ce n'était pas seulement un projet poétique et littéraire comme je me l'imaginais au départ. En fait, c'est un projet qui est très politique, qui a beaucoup de pouvoir. Dès qu’on parle d’intime, c’est politique.
Aujourd'hui, Amour solitaire a un devoir de représentation que j'ai réussi au fur et à mesure à m'approprier, mais qui n'était pas évident au départ.
Ressentez-vous un devoir de participer à cette nouvelle définition de l’amour ?
J'ai grandi avec des choses hyper problématiques mais que je considérais comme romantiques. J’ai grandi avec Dirty Dancing, Grease, qui valorisaient des choses affreuses, la jalousie, la possessivité, la toxicité.
Aujourd'hui, on a besoin de redéfinir les contours d'un romantisme nouveau, avec de nouvelles valeurs, d'égalité, de consentement, de bienveillance. Je pense que c'est à la culture, à l’art, à la musique, à la chanson de s'en emparer. Et Amour solitaire en fait partie.
Comment le projet est-il passé d’Instagram à une deuxième saison ?
J’insiste sur le fait que c’était vraiment un projet destiné uniquement à exister sur Instagram. Il n’avait aucune vocation à prendre autant d’ampleur. Petit à petit, je recevais tellement de messages, et la matière était tellement intéressante, que mes études littéraires n’ont pu me faire penser à autre chose que d’écrire un livre.
Je reçois des centaines de messages chaque jour provenant de centaines de personnes différentes, de centaines d’histoires d’amour. Je me suis demandé si en prenant des messages par ci, d’autres bouts par là, et que je les faisais se répondre, cela aurait du sens ? Au départ c’était vraiment pour m’amuser. Ça fonctionnait comme un cadavre exquis.
Petit à petit, j'ai eu envie de faire lire ces textes à mes amis. Tous ceux qui lisaient ce recueil adoraient et n'avaient qu'une seul envie, d'en lire plus. J'ai fini par mettre un point finale, et le lendemain j'étais contacté par mon éditeur sur Instagram.
Propos recueillis par Clara Luc