Que font tous ces camions sur nos routes ?
Des camions font des détours depuis l’étranger pour rouler en France sans s’arrêter juste parce qu’il n’y a pas de taxe pour les poids lourds. Ils traversent les tout petits villages de campagne pour contourner les péages. Comment réguler ce flux de camions ? Pourrait-on tous les mettre sur les voies ferrées ?
Hugo Clément nous dévoile les combines des transporteurs pour satisfaire notre addiction aux livraisons de colis.
Édito de Hugo Clément, journaliste
J’ai toujours été halluciné par le nombre de camionnettes qui encombrent nos centres-villes. À Sur le front, nous nous sommes penchés sur les chiffres et nous avons découvert qu’il y a, aujourd’hui en France, 200 000 camionnettes de plus qu’en 2020. Parce que nous sommes tous devenus accros aux livraisons à domicile, elles sont bien souvent assurées par ces camionnettes qui roulent, en général, au diesel.
Nous nous sommes aussi aperçus que beaucoup de ces marchandises passent par la France, sans s’arrêter sur le territoire. Vous avez probablement remarqué un jour, sur l’autoroute, que la voie de droite était saturée de camions. En Alsace par exemple, les camions de transit international engorgent complètement l’A35. En les suivant, nous nous sommes rendu compte qu’ils ne viennent pas livrer en France, ils n’ont pas non plus besoin de passer ici pour aller en Espagne par exemple : ils n’ont donc rien à faire chez nous. Pourtant ils font un détour depuis l’Allemagne pour venir rouler sur notre territoire… Nous avons fini par comprendre : ils contournent les routes allemandes pour ne pas payer la taxe poids lourds qui s’applique là-bas ! Tous les pays du centre de l’Europe appliquent une taxe, sauf nous. Depuis le mouvement des Bonnets rouges, c’est devenu un tabou en France. C’est pourtant une absurdité de ne pas faire payer les camions étrangers qui passent chez nous, qui abîment nos routes et qui rejettent des particules fines.
Nous avons enquêté sur les autres combines des transporteurs. Dans un village près de Bordeaux, les quelque 1 500 habitants voient défiler toute la journée des poids lourds, au milieu du bourg. Ces camions n’ont rien à faire là, mais ils empruntent une petite route qui leur est interdite pour contourner le péage et gagner quelques euros. Il y a déjà eu des accidents dans le village, les riverains n’en peuvent plus, et rien ne change.
Nous avons aussi rencontré, sur l’A7, les chauffeurs originaires d’Europe de l’Est qui viennent avec leur camionnette pour effectuer des trajets normalement réservés aux poids lourds. Eux ne sont pas soumis aux mêmes contraintes, ils peuvent rouler plus longtemps sans être inquiétés. C’est déplorable pour ces chauffeurs qui sont exploités et c’est bien plus polluant de transporter de la marchandise en petite camionnette qu’en gros camion, à colis égal.
Cette situation est d’autant plus révoltante quand on sait que chez nos voisins suisses, un camion qui traverse le pays monte souvent sur un train. Là-bas, 40 % des marchandises sont transportées par le fret ferroviaire. Chez nous c’est 11 %. Une dégringolade depuis soixante-dix ans. Ce serait pourtant la solution pour désengorger nos routes, les rendre plus sûres, moins pénibles, et réduire nos émissions de gaz à effet de serre.
Des séquences exceptionnelles
Nous l’avons prouvé : des camions étrangers viennent rouler en France uniquement pour échapper à la taxe poids lourds allemande
Nous voulions comprendre pourquoi il y a autant de camions sur l’autoroute A35, en Alsace. Entre filatures et enquête de terrain, nous avons découvert que de nombreux poids lourds sortent de l’autoroute en Allemagne, traversent la frontière pour venir rouler en France, avant de repartir en Allemagne ! Ils sont prêts à faire un détour pour échapper à l’écotaxe outre-Rhin. Nous sommes un des seuls pays d’Europe à ne pas pratiquer de taxe poids lourds, qui viennent donc rouler sur nos routes dès qu’ils le peuvent.
Ces petites communes transformées en autoroutes en plein champ pour que les poids lourds économisent le péage
À Pissos, dans les Landes, la rue principale permet à peine à deux poids lourds de se croiser… et pourtant les habitants vivent un calvaire. Des milliers de camions défilent chaque jour dans le bourg. Ils s’arrangent pour emprunter une petite route interdite, pour contourner un péage. En toute impunité.
Transport longue distance : quand les petites camionnettes remplacent les poids lourds
C’est absurde : c’est plus polluant et c’est plus précaire pour les conducteurs. Pourtant, des camionnettes remplacent de plus en plus des poids lourds pour des trajets internationaux, alors qu’elles sont faites pour des petits trajets. C’est une des astuces des transporteurs routiers pour échapper à la législation qui impose aux chauffeurs de prendre des pauses régulières pour ne pas conduire trop longtemps et respecter les horaires de travail.
Ces entrepôts logistiques ont coulé du bitume sur la voie ferrée !
Les entrepôts logistiques poussent comme des champignons dans nos campagnes. On aurait pu croire que, comme le fret ferroviaire est bien moins polluant que le fret routier, on utilise automatiquement une voie de chemin de fer pour transporter les marchandises… Dans le Loiret, au milieu des nouveaux entrepôts, les rails sont bien là… Mais ils ont été bitumés ! Impossible de s’en servir.
Solution : des caténaires au-dessus des autoroutes pour des camions bas carbone
C’est une expérimentation en Allemagne : sur l’autoroute, on électrifie une voie, les camions sont équipés de pantographes… Et on dirait un tramway sur l’autoroute ! C’est étonnant et très prometteur, puisque le camion roule à l'électricité et recharge sa batterie en même temps.
Des combattants
Luc Huber
Cet Alsacien n’en peut plus de voir des camions étrangers défiler sur les autoroutes de sa région. Il est persuadé qu’ils ne viennent ni voir les cigognes, ni manger une choucroute, et surtout pas livrer des usines en France. Luc nous embarque dans son enquête pour démontrer que ces camions contournent la taxe poids lourds allemande. Il milite pour instaurer une taxe au moins équivalente en France et pour que les camions étrangers arrêtent d’emprunter nos routes quand ils n’ont rien à y faire.
Christelle Lefoix
Lorsqu’elle s’est aperçue que des entrepôts XXL se construisaient près de chez elle, Christelle s’est immédiatement mobilisée. Cette mère de deux enfants dénonce la folie du e-commerce et des livraisons incessantes qui pourrissent la vie des riverains et polluent sa campagne. Elle se bat pour un air pur et moins de nuisances autour de chez elle.
Présentation
Hugo Clément
Production
Winter Productions
Production
Régis Lamanna-Rodat
Hugo Clément
Rédaction en chef
Pierre Grange
Réalisation
Marie Demarque
Unité documentaire
Antonio Grigolini
Amandine Picault
Benoît Raio de San Lazaro
À voir sur
francetv.preview
Les épisodes de Sur le front sont disponibles dans la collection france.tv nature