Quand tu écouteras cette chanson

Note d'intention de Mona Achache, réalisatrice

Ce film est né de plusieurs élans : mon admiration pour Lola Lafon et son livre Quand tu écouteras cette chanson. Ma joie quand elle m’en a proposé l’adaptation. Ma joie encore, face aux libertés offertes par France Télévisions et la productrice Anne Schuchman. Nous avions carte blanche, c’est rare et précieux.

Comme tant d’autres, la lecture du Journal d’Anne Frank m’avait profondément marquée, adolescente. J’en retenais son irrévérence et sa lucidité. J’avais négligé ses talents d’écrivaine.

Qu’avons-nous fait d’Anne Frank ? est la question centrale du livre, et du film. Anne Frank, « cette jeune fille juive qui n’est plus. La seule jeune fille juive à être si follement aimée ». Que dit-elle de nous aujourd’hui ? De l’antisémitisme actuel ? 

En août 2021, Lola a passé une nuit seule dans l'annexe du musée Anne-Frank, là où la jeune fille et sa famille ont vécu cachés avant d’être déportés. Mais le film ne pouvait être la reconstitution de cette nuit solitaire : l’annexe – à juste titre – n’accueille aucun tournage. Alors comment représenter l’absence, évoquer « ce qui jamais ne sera comblé » ? Comment filmer ces vides ?

Puisque le voyage ne pouvait être physique, je l’ai imaginé intérieur.

Lola est une grande écrivaine, mais elle est aussi une formidable conteuse. Son processus créatif me passionne autant que l’imbrication de ses mémoires intimes avec la grande histoire. La nuit de tournage – accompagnée par Alexis Kavyrchine à l’image et Malo Thouement au son – a été celle de la relecture de son livre, ponctuée de digressions. Autant de détours qui tracent son chemin de mémoire et d’écriture. Lola est venue avec son ordinateur, ses carnets, une valise pleine de ce qui lui est important. De son passé familial, il ne reste que très peu de photos, quelques objets. Un presque rien qui devient essentiel.

J’ai voulu créer un espace où les dimensions temporelles se mélangent : une nuit dans le musée, d’écriture, de relecture. Une nuit du passé et du présent, où l’intime et l’universel se répondent et se superposent, où les formes filmiques s’entremêlent au rythme des mots de Lola. Le film s’est construit au montage, avec Muriel Breton : un libre dialogue entre les images de notre tournage et les archives intimes et historiques, réalistes et oniriques, précieusement rassemblées par Sharon Hammou et Gianna Franceschini. 

Il y a quelque chose de cérébral, punk et poétique chez Lola. Libre. Je voulais un film qui lui ressemble. Qui résonne aussi avec ce qu’on perçoit d’Anne Frank. Alors  « l’irrévérence des jeunes filles » plane. L’angoisse aussi. Omniprésente, abstraite et tangible. Le travail sonore de Benoît Gargonne et Oliver Guillaume a accentué encore cette dimension immersive, sensorielle, donnant au vide et aux émotions une vibration, une matière. 

« De ce vide, il faut faire quelque chose de vivant », m’a dit Lola cette nuit-là. C’est ce que nous avons tenté. 

Biographie :

Autodidacte et engagée, Mona Achache se forge comme assistante mise en scène, puis scripte, sur des fictions et des documentaires. Après deux courts-métrages et un documentaire, Le Hérisson, son premier long-métrage librement inspiré du roman de Muriel Barbery L’Elégance du hérisson, sort en 2009 en France, puis dans plus de trente pays. Elle réalise son second long-métrage, Les Gazelles en 2013, et poursuit son élan éclectique en écrivant pour elle et pour d’autres. Elle réalise plus d’une vingtaine de téléfilms, unitaires, documentaires et épisodes de séries pour TF1, France 2, Arte ou Netflix (Bankable, HPI, Les Femmes et l’assassin…). Son dernier film, Little Girl Blue, avec Marion Cotillard, est inspiré de la vie et des écrits de sa mère, Carole Achache. Présenté en sélection officielle au Festival de Cannes, le film a rencontré un grand succès critique, avec notamment trois nominations aux César (meilleur actrice, film documentaire et montage).