
Dans les îles de la Polynésie, la notion de genre est bien plus complexe que nous ne le pensons. Loïc, Reretini, Lalita, Tehau et Sailali, souvent qualifiés de « mauvais genre » ou encore de « 3e sexe », sont les porteurs d’une identité transgenre rare et puissante. À travers une série de portraits lumineux et intimistes, ce documentaire leur donne la parole et propose une relecture des questions de genre à la lumière de la pensée océanienne.
En Polynésie française, les personnes transgenres évoluent avec une apparente fluidité dans toutes les composantes de la société. Leur présence, observée dès le XVIIIe siècle par les voyageurs et les missionnaires occidentaux, n’a cessé d’intriguer et de fasciner, produisant au fil du temps de nombreux mythes que les femmes et les hommes transgenres de Polynésie tentent aujourd’hui de déconstruire.
Les mahu, dans la société polynésienne, sont des hommes qui ont une part de féminité. Avant l'arrivée des Européens en 1842, ils était intégrés dans la communauté. Il n'y avait pas de barrière, que ce soit pour la culture, les arts, la danse, la médecine, pour raconter les légendes des dieux polynésiens. Tout leur était accessible. Ils étaient reconnus et appréciés pour ce qu'ils étaient et pour ce qu'ils apportaient.
Certains mahu deviennent des rae rae en passant par la transformation. Elles se comportent et se considèrent comme des femmes et procèdent, pour quelques-unes, à des modifications corporelles. Ce mot – considéré comme péjoratif et dévalorisant aujourd'hui – s'est imposé en 1962 avec l'arrivée du CEP (Centre d'expérimentation du Pacifique) et des 15 000 militaires et techniciens. Ça a été un bouleversement total de toute la Polynésie. Le mahu a osé se transformer. La monétisation a pris le dessus sur les questions existentielles. À l'époque, les mahu avaient compris que se prostituer pouvait apporter de l'argent.
Avec l'éclairage de différents experts (historiens, sociologues, anthropologues, acteurs du monde associatif ou religieux), le film décrit l’évolution de la question des identités à travers l’histoire afin de mieux comprendre leur réalité actuelle.
Certaines vivent leur identité de façon sereine et épanouie. D’autres, en revanche, ont des histoires beaucoup plus difficiles. Certaines se définissent comme mahu, d’autres comme rae rae, d’autres comme femmes ou hommes transgenres. D’autres, enfin, ne supportent plus ces étiquettes et se définissent comme des hommes ou des femmes à part entière.
À travers leurs récits, nous plongeons dans l'intimité de leur quotidien, une réalité où se mêlent lumière éclatante et ombres persistantes. Ils/elles nous invitent à découvrir la richesse de leur parcours, fait de luttes, de fierté et d'amour. Leurs témoignages nous offrent, avec une sincérité bouleversante, une vision inédite de la transidentité, en lien avec la culture polynésienne, et partagent avec nous les batailles qu’ils ont dû mener pour s'accepter et s'affirmer. Le plus beau bijou qu'ils/elles portent est leur fierté.
Un film humaniste et universel sur une facette méconnue de l'identité dans le Pacifique, où la diversité de genre est un héritage autant qu'une conquête.
Documentaire « Archipels »
52 min
Un film de
Raynald Mérienne
Production
DEBAZ.media,
Eclectic
Stories & Co
Avec la participation de
France Télévisions
Et le soutien du
CNC,
de la Polynésie française,
de la Procirep et du
ministère délégué chargé des Outre-mer
2024
4 questions à Raynald Mérienne, réalisateur du documentaire
• Qu'est-ce qui vous a inspiré à réaliser ce documentaire ?
Raynald Mérienne : Dès ma première rencontre avec la Polynésie française, j’ai été fasciné par la grande visibilité des personnes transgenres dans la vie quotidienne tahitienne. Elles me semblaient évoluer avec une apparente fluidité dans toutes les composantes de la société. Cette situation contrastait fortement avec la réalité des personnes transgenres dans l'Hexagone, dont le quotidien était marqué par le rejet et l’exclusion. J’ai donc voulu comprendre quelles étaient les racines de cette grande tolérance et pourquoi les cultures océaniennes semblaient vivre les questions d’identité de manière apaisée, tandis que les cultures occidentales étaient plus fracturées sur ces questions.
Petit à petit, je me suis rendu compte que le sujet était bien plus complexe qu’il n’y paraissait et que derrière l’image de façade se cachait une réalité beaucoup plus contrastée avec des parcours de vie et des expériences parfois extrêmement douloureuses. Mes lectures, mes recherches, mes discussions m’ont permis de comprendre que si la société traditionnelle polynésienne a toujours été très ouverte sur les questions liées aux identités, la société contemporaine était en revanche plus divisée, produisant des situations de grande souffrance.
À travers ce documentaire, j’ai donc cherché à comprendre ce qui explique cette évolution de la pensée, tout en laissant la parole s’exprimer. On a toujours peur de ce que l’on ne connaît pas. Permettre aux personnes qui vivent une transidentité de se raconter, c’est favoriser la rencontre et enrichir le vivre ensemble.
• Comment avez-vous travaillé pour représenter fidèlement et respectueusement les expériences des personnes transgenres dans votre documentaire ?
R. M. : Deux directions fondamentales ont guidé mon travail. La première a bien sûr été de rassembler le plus de témoignages possibles. J’ai ainsi échangé avec plus d’une centaine de personnes, aux expériences et aux parcours très différents. Certaines sont de Tahiti, d’autres vivent dans les différents archipels du Fenua, d’autres encore ont choisi de s’installer en France métropolitaine. Certaines vivent leur identité de manière apaisée et heureuse. D’autres ont des parcours plus heurtés. Certaines se définissent comme mahu, d’autres comme rae rae, d’autres comme femmes ou hommes transgenres, d’autres enfin ne supportent plus ces étiquettes et se définissent comme des hommes ou des femmes à part entière. Nous avons partagé des discussions riches et sincères, soit par téléphone, soit en vis-à-vis autour d’un verre, dans l’environnement familial, dans le cadre d’un engagement professionnel ou associatif, à l’occasion d’un événement culturel… Ce sont des rencontres, des moments de partage, des échanges inspirants…
La seconde direction a été de consulter historiens, sociologues, anthropologues ou encore acteurs du monde associatif ou du monde religieux, pour mieux observer l’évolution de la question des identités à travers l’histoire et mieux comprendre leur réalité actuelle. Vahi Tuheiava-Richaud, Serge Tcherkézoff, Bruno Saura, Karel Luciani, le père Christophe, Mareva Arnaud Tchong ou encore Julia Pacifico sont quelques-unes des personnes référentes qui ont accompagné mes recherches.
• Quels défis avez-vous rencontrés lors du tournage ou de la production, et comment les avez-vous surmontés ?
R. M. : Le plus grand défi a été de déterminer les cinq intervenants principaux du film parmi l’ensemble des témoignages recueillis, tant toutes ces histoires sont riches et passionnantes et peuvent permettre de nourrir la réflexion. Il fallait que les cinq témoignages retenus puissent mettre en lumière des réalités diverses et complémentaires, et des manières différentes d’appréhender les questions d’identité. On ne vit pas ces questions de la même manière selon qu’on réside à Tahiti ou dans les îles, selon qu’on ait 20 ans ou 50 ans, selon qu’on soit né biologiquement homme ou femme. Il était essentiel que ces témoignages, sans être exhaustifs, puissent permettre à toutes les identités de s’exprimer. L’autre défi a été de ne pas tomber dans une vision caricaturale ou manichéenne. Il n’était pas question de faire un film misérabiliste ou au contraire de tomber dans l’angélisme. Je ne voulais pas non plus faire un film « idéologique ». Je souhaitais réaliser un film qui amène à la fois de la nuance et de la lumière. Un film humaniste et universel, qui sont les deux piliers qui nourrissent mon travail. Là encore, ce sont les longues heures passées à échanger, à discuter avec chacun(e) des intervenant(e)s, qui m’ont permis de surmonter ces problèmes difficultés.
• Quel impact espérez-vous que ce film aura sur la perception du grand public et sur les droits des personnes transgenres ? Quel message principal souhaitez-vous transmettre au public ?
R. M. : À l’heure où nos sociétés contemporaines se fracturent et s’opposent, je veux mettre en lumière les enseignements riches et inspirants de la pensée océanienne, tels qu’ils me sont apparus à travers mes recherches : à partir du moment où une personne participe activement à la vie sociale et au bien-être de sa communauté, à partir du moment où elle ne retire rien aux libertés fondamentales d’autrui, pourquoi ne pourrait-elle pas vivre pleinement l’identité que son cœur et son âme lui dictent ? Ce qui fait la richesse et la qualité d’une personne, ce n’est pas de s’inscrire dans une « norme » artificielle, fluctuante selon les époques et les cultures ; ce sont les valeurs humaines qu’elle porte et la lumière qui brille en elle.
Propos recueillis par Polynésie La 1ère