
Collection « Crimes contre l'humanité »
Durant une décennie, de 1987 à 1998, la justice française va instruire le procès de trois hommes ayant, chacun à leur niveau, contribué à la mise en place et à la réalisation d’une politique d’arrestation, de torture et de déportation de juifs et de résistants en France entre 1940 et 1944.
Ces trois noms racontent à eux seuls l’articulation criminelle qui s’est opérée entre la politique menée par l’occupant allemand et celle de la collaboration engagée par l’État français, dirigé par le maréchal Pétain.
Klaus Barbie, le nazi, Paul Touvier, le milicien, et Maurice Papon, le haut fonctionnaire.
Durant toutes ces années, ils ont changé d’identité (Barbie), ont été protégés par de puissants réseaux (Touvier) ou ont brillamment réintégré la société jusqu’au plus haut niveau de la République (Papon).
Se pensant tirés d’affaire, spéculant sur l’oubli et son allié précieux, le temps, ils ont été surpris, à l’âge de la vieillesse, au moment où l’on se retire des affaires du monde, par la résurgence de ce passé caché, le retour des fantômes qui réclament justice, la vivacité douloureuse de la parole des victimes et la mise en lumière publique de leur responsabilité pleine et entière. Pour eux, l’heure des comptes a sonné au terme d’années de traques et de procédures.
Le temps des procès pour Crime contre l’humanité est enfin arrivé.
Ce sont ces trois grands moments d’Histoire et de justice que nous avons voulu raconter en plongeant dans la matière première de ces procès : la captation audiovisuelle que la loi Badinter de 1985 a permis de réaliser.
Ces centaines d’heures d’audience, aujourd’hui accessibles pour le grand public, sont d’une puissance intacte. Elles nous obligent. Nous en sommes les dépositaires et les transmetteurs. Grâce à ces captations, nous entrons dans la vérité humaine du procès. Le temps n’existe plus. Nous sommes avec le public, avec les avocats, avec les jurés et bien sûr avec les accusés. Nous sommes au temps du procès mais aussi au temps des faits. Les exactions, les arrestations arbitraires, les rafles, les tortures, les déportations, les camps… tout est raconté par ceux qui les ont subis et qui en sont revenus. Le récit intime de leur calvaire devient une parole publique prononcée pour la première fois dans un temple de justice face au responsable de leur malheur. L'INA a coproduit les films et a permis, entre autres, la restauration de l’ensemble des archives du procès qui offre ainsi une qualité d'image inédite. Ces archives, confiées à l'INA et aux Archives nationales par le ministère de la Justice, permettent aux téléspectateurs d'avoir accès à des documents essentiels pour mieux comprendre ce passage sombre de l'Histoire.
Un moment d’humanité d’une force incroyable. C’est cette matière unique que nous avons voulu respecter tout en la travaillant pour livrer le récit filmique de ces trois grands procès.
Le Procès de Paul Touvier
Paul Touvier, ancien milicien de Vichy, condamné à mort en 1947 pour crimes de guerre, échappe à la justice grâce au soutien de l’Église et à la prescription en 1967. En 1973, il obtient la grâce présidentielle de Pompidou, mais une enquête relance les poursuites pour crimes contre l’humanité, imprescriptibles. Traqué, il est arrêté en 1989 au prieuré Saint-Joseph de Nice. Son procès s’ouvre en mars 1994, mettant en lumière le rôle de la Milice, bras armé de la collaboration, et de Vichy. Touvier est accusé de complicité de crimes contre l’humanité pour l’exécution de sept Juifs, en représailles à l’assassinat d’un propagandiste. Ses carnets personnels révèlent son antisémitisme. Le 20 avril 1994, il est condamné à la réclusion à perpétuité et meurt en 1997. Ce procès ouvre une réflexion sur la responsabilité de l’État français sous l’Occupation.
Trois questions à Antoine de Meaux :
Quels sont les enjeux du Procès de Paul Touvier, au printemps 1994 ?
Rappelons qu’avant le procès Touvier, il y a eu « l’affaire Touvier » : un moment clé dans la prise de conscience des crimes de Vichy dans la société française.
En 1972, le milicien en cavale Paul Touvier, ancien chef du renseignement de la milice française à Lyon, deux fois condamné à mort par contumace à la Libération, obtient une grâce partielle du président Pompidou.
Dans cette France des années 1970 soucieuse de conjurer les non-dits de l’occupation, le scandale est énorme.
Au même moment, la découverte d’un enregistrement dans lequel Touvier confesse avoir ordonné l’exécution de sept juifs, le 29 juin 1944, en représailles à l’élimination du ministre de l’information Philippe Henriot par la résistance, permet de rouvrir le dossier.
Avant Bousquet, Leguay ou Papon et pour la première fois, un Français est poursuivi pour crimes contre l’humanité, une notion nouvelle dans le droit français. Mais il faudra attendre 1989 pour que Paul Touvier soit enfin arrêté, et 1994 pour qu’il soit traduit devant une cour d’assise.
Le Procès Touvier est donc l’aboutissement d’un interminable feuilleton judiciaire, révélateur de ce « passé qui ne passe pas », selon les mots de Henry Rousso, et qui contribue à clore la période de l’épuration.
Au fil des audiences, la France redécouvre la réalité de la milice française, bras armé du régime de Vichy et clé de voûte de la politique de collaboration avec les nazis.
Juger cet homme de terrain est une étape indispensable sur le chemin du procès de Maurice Papon, haut-fonctionnaire français impliqué dans l’organisation de la déportation des juifs, à travers ce qu’on appelle le « crime de papier ».
C’est aussi le moment de s’interroger sur l’impunité apparente dont l’accusé a pu bénéficier pendant sa cavale, notamment grâce à la protection de certains hommes d’Eglise.
Mais le procès de Paul Touvier, qui questionne les circonstances de la mise à mort de sept innocents ayant pour point commun leur origine, et qui participe de l’extermination des juifs d’Europe, est surtout le procès de l’antisémitisme.
Comment avez-vous choisi de traiter cette matière unique ?
Le procès de Paul Touvier offre une extraordinaire matière d’archives, d’une durée de 108 heures. Grâce à notre partenariat avec l’INA, nous avons eu accès à l’intégralité de ces images, qui ont fait l’objet d’une restauration.
Mais parvenir à en faire un film en deux épisodes de 52 minutes représentait un véritable défi.
Pour le relever, j’ai choisi de m’appuyer sur deux axes narratifs principaux : le portrait du milicien Paul Touvier, et le débat contradictoire sur les circonstances de l’exécution des sept juifs de Rillieux, le crime pour lequel Touvier a pu être jugé, car échappant à la prescription.
Comme pour les autres films de la série, et en fonction de la grammaire mise en place par le directeur de collection Gabriel Le Bomin, nous avons recueilli les témoignages des acteurs de cet incroyable moment. Je pense par exemple au juge d’instruction Jean-Pierre Getti, qui a instruit le dossier, à Serge et Arno Klarsfeld bien sûr, ou encore à Jacques Trémolet de Villers, qui fut l’avocat de Touvier.
Avec le chef monteur Fabrice Salinié, secondé par Bruno Joucla, nous avons cherché à ménager au maximum la vie et le rythme du procès afin de donner au spectateur le sentiment d’une immersion.
Contrairement aux procès Barbie et Papon, le procès Touvier s’est déroulé dans une salle relativement petite, ce qui a favorisé l’intensité des débats. Ce microcosme du tribunal, avec un accusé de 79 ans, mais aussi le président, l’avocat général, les avocats de la défense et de l’accusation, les très nombreux témoins, c’est une véritable aubaine pour faire vivre un documentaire.
Plusieurs historiens, Laurent Joly, le conseiller historique de la série, mais aussi Henry Rousso, Bénédicte Vergez-Chaignon ou Virginie Sansico, nous ont offert leur expertise pour décrypter le parcours de Touvier, le contexte des faits incriminés ou celui du procès.
Enfin, pour compléter le dispositif visuel et donner une incarnation aux cinquante ans de clandestinité de Paul Touvier, par définition pauvres en images, nous avons choisi de tourner une série d’évocations fictionnées de notre personnage, en privilégiant les moments d’introspection et de vie recluse.
Quels furent selon vous les principaux temps forts de ce procès ?
Méconnu, le procès Touvier a été un grand moment d’histoire et de justice, riche en rebondissements et témoignages décisifs.
Je retiens par exemple la déposition de l’épouse et des enfants de Paul Touvier, qui ont partagé avec lui les années de clandestinité, l’ouverture des scellés où s’est produit un coup de théâtre particulièrement révélateur, le témoignage mouvementé du commissaire historien Jacques Delarue, malmené à l’audience par Me Arno Klarsfeld, ou encore le récit bouleversant des témoins de la rafle dans Lyon, la veille de la fusillade de Rillieux.
Cependant, l’évènement capital du procès fut certainement le témoignage du résistant FTP Louis Goudard. Présent dans la soupente de l’impasse Catelin, qui servait de prison à la milice, il a été le témoin de la sélection des sept victimes, le 29 juin 1944, jour de leur exécution sommaire contre le mur du cimetière de Rillieux.
Liste des intervenants
Noëlle HERRENSCHMIDT Dessinatrice
Arno KLARSFELD Avocat
Pierre MAIRAT Avocat
Virginie SANSICO Historienne
Serge KLARSFELD Avocat
Laurent JOLY Historien
Henry ROUSSO Historien
Alain JAKUBOWICZ Avocat
Laurent Sourisseau (RISS) Dessinateur
Dominique Verdeilhan Journaliste
Richard ZELMATI Avocat
Bénédicte VERGEZ-CHAIGNON Historienne
Jacques TREMOLET DE VILLERS Avocat
Jean-Pierre Getti Avocat
Documentaire inédit
Le procès de Paul Touvier
2 x 52 min
Réalisé par
Antoine de Meaux
Auteurs
Gabriel Le Bomin, Valérie Ranson Enguiale, Antoine de Meaux
Production
Dana Productions / Dana Hastier
une société Mediawan
Coproduit par
INA avec le soutien de la Fondation
pour la Mémoire de la Shoah
Avec la participation de
France Télévisions
Unité documentaires société et géopolitique
Antonio Grigolini
Emmanuel Migeot
Clémence Coppey
À voir sur
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