OPHIR
Documentaire

Archipels : OPHIR

Mercredi 03 Février 2021 à 23.05

Bougainville, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Mine de Panguna, 20 000 morts : qui a entendu parler de ce conflit où une population a fait reculer une multinationale ?

 

Ophir raconte l’histoire peu connue de Bougainville, île des Salomon faisant partie de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le documentaire évoque les colonisations, et dans les années 90, la surexploitation de la terre par une compagnie minière étrangère, aboutissant à dix années de guerre civile. La mine doit-elle être réouverte ? La population navigue entre espoir de paix, de liberté, de travail, de développement et de désir de protéger la culture autochtone….

Alexandre Berman et Olivier Pollet, deux réalisateurs français, se sont penchés sur l'histoire méconnue de la lutte du peuple de Bougainville. Raconter cette histoire sur grand écran leur a demandé plusieurs années de travail, dont deux ans de recherche.

 

Réalisation Alexandre Berman et Olivier Pollet • Production Arsam International, Fourth World Films, Kristian Lasslett
• Année 2019 • Durée 97 minutes

Entretien avec Alexandre Berman et Olivier Pollet

Qu’est-ce qui vous a touché dans l’histoire de Bougainville ?

C’est une histoire profondément locale, celle d’un lieu et d’un peuple à la culture riche et universelle, car elle raconte l’éternelle nécessité de préserver la culture, l’environnement et la vie en général. C’est cette inspiration pure qui poussa les habitants à se soulever à la fin des années 1980, et qui reste encore vivante aujourd’hui. Comme l’explique Blaise Iruinu dans le film (qui fut un bras droit du leader Francis Ona), c’est l’histoire d’une révolution totale : physique, mentale, spirituelle. Pour Bougainville et pour le monde.

 

Combien de temps avez-vous mis pour tourner ce documentaire ?

Après deux ans de recherche, le tournage a pris près de quatre mois. Le film est tourné en quatre langues, les traductions et transcriptions ont donc pris près d’un an. Le montage a demandé plusieurs mois, car trois objets sont nés du projet : Le Syndrome Panguna, un 52 minutes nominé au Prix Albert Londres, le long-métrage Ophir, ainsi qu’une plateforme multimédia qui paraîtra bientôt incluant 40 courts-métrages, des documents historiques et des textes. Le projet entier s’étale sur sept ans.

 

Quelles ont été les principales difficultés de tournage ?

C’est une histoire sensible et il fallait travailler dans la discrétion. Si d’un côté un grand nombre de Bougainvilliens désirent raconter leur histoire, d’autres ne partagent pas ce souhait pour des raisons liées à l’histoire coloniale. Notre travail était donc avant tout un travail d’écoute, collaboratif, laissant une grande liberté aux personnes filmées afin que leur parole s’exprime sereinement. Mais la rencontre avec les communautés a été merveilleuse et la difficulté est en fait de retranscrire ce vécu au montage par l’image et le son.

 

Le film a-t-il été diffusé sur place ? Si oui, quelle a été la réaction des téléspectateurs ?

Le film a commencé à être vu de manière informelle et les réactions ont été fortes. Du fait des récits, mais aussi parce que les Bougainvilliens y sont les narrateurs de leur propre histoire. En cela, le film participe à une dynamique de récit collectif à travers un document concret. Car il existe très peu d’objets sur l’histoire de Bougainville. Ruth, présente dans le film, a depuis créé le premier centre de recherche culturel à Bougainville afin de collecter cette mémoire.

 

Vous avez travaillé avec l’australien Kristian Lasslett, spécialiste des crimes d’Etat en particulier de Bougainville, et vous mettez en avant tout au long du film un document secret exceptionnel écrit par l’anthropologue américain Douglas Oliver. Racontez-nous le rôle joué par cet américain dans les destinées des hommes de Bougainville…

Ce document prophétique de 1968 fut révélé lors d’un procès (avorté) contre l’entreprise minière dans les années 2000. Il révèle qu’elle savait que son projet serait totalement incompatible avec la culture locale et qu’il y aurait résistance. Il est impossible de dire si l’entreprise a (et si oui, à quel degré) concrètement mis en œuvre les recommandations du rapport pour organiser ensuite son activité et contourner les résistances (mais il existe des coïncidences troublantes, quand par exemple Oliver recommande la création de supermarchés pour convertir la population au consumérisme). Quelle que soit la réponse, ce rapport est une plongée dans les eaux profondes du colonialisme qu’il nous semblait indispensable de mettre en lumière. Douglas Oliver fut très critiqué par ses pairs pour ce travail.

 

Qu’avez-vous ressenti lorsque l’un des protagonistes du film vous provoque une hache à la main (offerte par les Allemands pour ses terres) avec ses mots en parlant des « Blancs » : « Vous m’avez profondément perturbé (…) Je pourrai vous massacrer tous les deux (…) Votre influence est terrifiante (…) Et je grandis, à votre image, en être sans moralité ».

Taruito s’adresse à nous comme un messager. Lors du premier séjour, il avait dit quelques mots sur la paralysie de son esprit qui nous avaient marqués. Lors du second, nous l’avons retrouvé et enchanté, il a voulu délivrer un message : malgré des dommages irréparables sur sa vie, il souhaite encore être ami avec celui qui l’a agressé. Cette pensée résume l’esprit de paix du peuple de Bougainville. Cette scène est l’estomac du film. Quant à la hache, n’ayant compris ses mots que le soir après traduction, nous n’avions aucune idée en filmant qu’il voulait nous couper les jambes ! Mais c’est une image et malgré la non-compréhension de sa langue, le Nasioi, nous nous sommes compris différemment.

 

L’indépendance de Bougainville est-elle liée à cette nouvelle loi minière sur la réouverture de la mine de Panguna ?

Bougainville souhaite l’Indépendance depuis les années 1960, peut-être même avant. Deux tentatives ont échoué en 1975 (lors de l’indépendance de la Papouasie vis-à-vis de l’Australie) puis en 1990 pendant la guerre. Bougainville possède sa propre culture, mais l’île a changé d’administrations de nombreuses fois et ce désir est donc lié à plus d’un siècle d’histoire coloniale. L’épisode désastreux de Panguna a été un catalyseur. La nouvelle loi minière est donc une nouvelle pièce d’une longue série. En décembre 2019, la population a voté à près de 98% en faveur de l’Indépendance et ce chiffre parle de lui-même.

 

Avez-vous des nouvelles récentes des Bougainvilliens ?

Notre relation continue. Le résultat du référendum est l’événement marquant des derniers mois. Mais en parallèle, de nouvelles études révèlent que les dégâts environnementaux liés à l’activité minière se poursuivent encore à ce jour. Les communautés attendent encore réparation et compensation. C’est donc une histoire de combat au long cours qui ne cesse de nous rappeler à nos responsabilités en tant que gardiens, et non agresseurs de notre planète.

Diaporama

Sabine Michel
Responsable projets et actions de communication Guadeloupe la 1ère