Laurent Sarrazin, chargé d’études au sein de la direction de la Stratégie des publics de France Télévisions
« Plus belle la vie est la fiction quotidienne avec le plus fort taux d’accros, puisque 50 % des téléspectateurs regardent quatre ou cinq épisodes par semaine ! »
Comment se compose l’audience de Plus belle la vie aujourd’hui ?
Laurent Sarrazin : Même si les usages non linéaires progressent indéniablement, les audiences d’un programme télévisé sont encore aujourd’hui très majoritairement portées par la diffusion « en direct ». Chaque soir, ce sont 3,4 millions de téléspectateurs qui sont au rendez-vous ! Le replay pèse aujourd’hui pour plus de 10 % de l’audience, soit 450 000 téléspectateurs environ sur chaque épisode. Sur le reste du volet numérique, Plus belle la vie est le feuilleton qui rassemble la plus grande communauté de fans sur les réseaux sociaux, avec presque 2 millions de fans Facebook, dont une très large majorité de moins de 35 ans. Aussi, lancée en octobre 2017, l’offre dédiée Plus belle la vie (site et applications) réalise un début d’année 2019 historique avec jusqu’à plus de 6 millions de vidéos vues cumulées par mois, soit une hausse de près de 40 % en un an.
Quel est le téléspectateur ou internaute type ?
L. S. : L’une des très grandes forces de Plus belle la vie est de toucher un public très large et diversifié. Comme la série est à la fois un miroir du quotidien de chacun et de la société française dans son ensemble, cela lui confère une dimension universelle. Et on le retrouve dans le public de la série, qui captive aussi bien les jeunes (14 % de PdA sur les moins de 35 ans) que les intermédiaires (14 % sur les 35-59 ans) et les plus âgés (18 % sur les 60+)… Mais aussi le public masculin et féminin, urbain et rural. Toutes les catégories socio-professionnelles sont également bien représentées. C’est une réelle satisfaction pour le service public d’avoir un programme quotidien capable de réaliser ces performances !
Comment ce public a-t-il évolué en quinze ans d’existence ?
L. S. : Comparer les audiences entre 2004 et aujourd’hui est un exercice presque obsolète, tant l’univers télévisuel a connu des transformations et des bouleversements considérables (arrivée de la TNT, naissance et montée en puissance des plateformes sociales, émergence de la SVOD, multiplication des écrans au sein des foyers, montée en gamme des séries françaises et étrangères…). Concernant Plus belle la vie, la série était un véritable pari il y a quinze ans, et il a été gagné au bout de seulement quelques mois. Ce qui frappe quand on se replonge en arrière, c’est la remarquable solidité du programme une fois que les audiences ont été au rendez-vous. Sur la période 2006-2014, ce sont plus de 5 millions de téléspectateurs fidèles qui ont suivi attentivement le feuilleton avec des pointes jusqu’à plus de 6,8 millions de téléspectateurs ! Puis, face à la montée en puissance de l’offre sur la TNT et la concurrence accrue des plateformes (sociales ou payantes), les audiences se sont petit à petit érodées, mais demeurent, après quinze ans, très satisfaisantes, avec 3,8 millions de fans chaque jour, à un horaire que l’on sait redoutable (concurrence avec les JT, les talk-shows de la TNT…).
Jusqu’en 2004, Plus belle la vie était le seul feuilleton « made in France » sur une chaîne historique. Quelles ont été les répercussions de l’apparition d’offres concurrentes ?
L. S. : L’arrivée de deux nouveaux feuilletons quotidiens n’a pas fondamentalement modifié la composition du public de Plus belle la vie. Tous trois ne sont pas frontalement en concurrence et il y a bien d’autres paramètres à prendre en compte pour jauger l’évolution d’un public. En revanche, elle a profondément rebattu les cartes. Certains téléspectateurs en regardent deux, d’autres consomment même les trois : dans ce contexte, le public est d’autant plus attentif à la singularité de chacun, à l’originalité des intrigues et de leur traitement. Cette offre modifie donc l’exigence du public, qui peut être tenté de comparer les propositions et d’arbitrer entre elles. C’est un véritable challenge pour chacun.
Quel est le secret de l’attachement du public à Plus belle la vie ?
L. S. : Il y a de multiples facteurs pour expliquer ce qui unit les téléspectateurs au feuilleton. Un niveau d’attachement encore plus fort – les études « quali » le confirment – après quatorze saisons, et au fur et à mesure desquelles la série a affiné sa singularité, développé son univers et est devenue une véritable institution. Un chiffre le prouve : Plus belle la vie est la fiction quotidienne avec le plus fort taux d’accros, puisque 50 % des téléspectateurs regardent quatre ou cinq épisodes par semaine, ce qui est remarquable ! La série est parvenue à installer une galaxie de personnages riche et variée, dépeignant une France ouverte et multiple, qui est un levier d’identification et d’attachement extrêmement puissant : ce sont des personnages dans lesquels les téléspectateurs se reconnaissent, et qui sont confrontés à des problématiques concrètes qui résonnent avec celles de tous les Français. Et tout ce petit monde s’ancre sur des valeurs fortes, consensuelles et positives : le respect, l’ouverture, la famille. Enfin, l’une des autres forces de Plus belle la vie est d’aborder tous les sujets, sans avoir de tabou ni porter de jugement, tout en ayant un regard humain sur le monde d’aujourd’hui.
Comment travaillez-vous à la Stratégie des publics avec l’unité Fiction et la production du programme pour réagir aux fluctuations des audiences ?
L. S. : En étroite collaboration ! Notre rôle est de les accompagner au mieux pour porter haut les couleurs de la série et leur apporter notre éclairage, sur les audiences du feuilleton bien entendu, mais aussi sur toute la concurrence, celle des fictions quotidiennes comme de l’access en général. C’est un travail à la fois de court terme, pour décrypter les dynamiques d’audiences, et de long terme, pour comprendre les mutations des usages et le comportement des téléspectateurs. Aussi, nous sommes particulièrement attentifs aux performances du programme sur les plateformes numériques, que ce soit en replay ou grâce aux extraits sur les réseaux sociaux. En complément de toutes nos analyses d’audiences, nous avons également des suivis qualitatifs réguliers où nous creusons l’ensemble des questions éditoriales liées à la série (personnages, intrigues…).
Propos recueillis par Sylvie Tournier