Coluche, le bouffon devenu roi

Le 19 juin 1986, sur la route de Grasse, un « putain de camion » mettait brutalement et prématurément fin à la carrière du plus populaire des humoristes français. Coluche faisait à cette occasion sa plus mauvaise blague. Formé au café-théâtre dans les années 1960, son look improbable, son humour absurde et son phrasé hésitant font mouche dès son premier passage à la télévision, un soir de 1974 — pour meubler l’antenne dans l’attente des résultats de l’élection présidentielle, il annonce pendant plusieurs dizaines de minutes « l’histoire d’un mec… ». Rapidement, l’homme à la salopette bleue rayée et au nez rouge devient un véritable phénomène culturel, coqueluche de la France giscardienne, passant de la scène à l’écran avec un égal succès (une vingtaine de premiers rôles au cinéma, dont celui de Tchao Pantin, qui lui vaut le césar du meilleur acteur), avant de se transformer en trublion médiatique de plus en plus controversé, poussant la provoc’ jusqu’à se porter candidat à l’élection de 1981. Mais c’est surtout son engagement social et humanitaire, à travers la création des Restos du cœur en 1985, qui marque aujourd’hui les esprits. Trente ans après sa disparition, le documentaire Coluche, le bouffon devenu roi ouvre les portes du Théâtre du Gymnase, où l’artiste a connu ses plus grands triomphes, pour évoquer avec plusieurs générations d’humoristes l’homme, son parcours, ses personnages, son style, ses mots. En un mot : sa trace.

Portrait vivant
Avec cet art de l’hommage et cette douce nostalgie qui caractérisent leurs documentaires (Renaud, on t’a dans la peau, Je m’présente, je m’appelle Daniel sur France 3 ou Un beau jour... Barbara sur France 5), le réalisateur Nicolas Maupied et le journaliste Didier Varrod mêlent les images d’hier (sketches, interviews, coupures de journaux) aux paroles d’aujourd’hui pour interroger le mythe Coluche. Loin de l’oraison funèbre forcément figée et hagiographique, le documentaire dessine le portrait vivant et protéiforme de l’insaisissable clown triste, « bouffon qui voulait être roi », c’est-à-dire tout autant bouffon (renvoyant, par le rire et la caricature, les puissants à leur propre ridicule) que roi lui-même (de la scène, du cinéma, de la provoc’ et des marginaux, selon les quatre chapitres du documentaire). Devant la caméra, Jean-Marie Bigard, Patrick Sébastien, Jamel Debbouze, Anne Roumanoff, Didier Porte, mais aussi les jeunes comiques comme Norman, Alex Vizorek ou Mathieu Madénian parlent tour à tour de ce qu’ils aiment, admirent ou redoutent chez Coluche. Autrement dit : de ce qu’ils lui doivent. Trente ans après la mort tragique de Coluche, la société française continue de se reconnaître — de se juger et de se jauger — dans le miroir à peine déformant qu’il lui tend.

Cyrille Latour