"Il était déjà l’homme remarquable et précieux pour tous avant même que de se mettre aux commandes du gouvernement autonome quelques années plus tard et de devenir le premier député kanak de Nouvelle Calédonie ."
Jean-Michel Rodrigo, co-réalisateur
Roch Pidjot a disparu voilà tout juste trente ans, mais il est toujours présent -vivant- dans les pensées de ceux qui lui ont emboîté le pas sur le chemin de la reconnaissance des droits du peuple kanak… Pour certains de ces Anciens que l’on retrouve dans ce film, il serait même une sorte de Père de la nation. Fervent catholique et chef de tribu, il était au dire de tous, humble, discret, privilégiant l’intérêt collectif. Profondément attaché à la valeur de la parole, il assumait en toute circonstance son rôle de « chef garant du dialogue », affirme un proche. C’était, dit un autre, un sage qu’il conviendrait de ranger aux côtés d’Aimé Césaire, voire de Nelson Mandela. Le leader sud-africain aurait sans doute pu reprendre à son compte le slogan Deux couleurs, un seul peuple, dont la famille Pidjot est le symbole vivant. A sa fondation l’Union Calédonienne réunit les organisations indigènes, mais aussi des syndicalistes ouvriers et des agriculteurs de brousse. L’esprit est à la fraternité, à l’égalité des droits et des salaires, se souvient Aïfa Taïeb Jean-Pierre qui fera ses premiers pas dans le sillon de Roch Pidjot… longtemps avant de devenir maire de Bourail.
Les années 60 sont déterminantes mais le documentaire remonte plus loin dans le temps pour cerner le personnage. Roch Pidjot est né en 1907, un peu avant la Grande Guerre. Il est trop jeune pour se rendre compte de la dureté du monde, lui qui grandit à La Conception, un village administré par les Pères maristes, donc en partie protégé des violences de l’administration coloniale. Roch Pidjot, son frère et ses soeurs vont à l’école, privilège rare pour des enfants kanak. Il n’empêche, Roch Pidjot est très vite confronté à l’atmosphère étouffante du Code de l’indigénat. La jeune Scholastique Togna qui devient son épouse, et dont les aïeux ont été décimés, contribue à sa prise de conscience. Les indigènes sont contraints aux travaux forcés, soumis au couvre-feu, doivent obtenir des laissez-passer pour circuler et ceux qui dérogent à la règle vont en prison. Roch Pidjot devient LE chauffeur des soeurs, c’est sans doute son premier signe d’insoumission. « Il sera longtemps le seul Kanak de l’île à tenir le volant », rappelle le père Apikaoua. Son attaché parlementaire, Jean-Claude Bonnevie, de rebondir : « Il a été premier en tout. premier président de l’Uicalo, l’organisation catholique fondée pour exiger la reconnaissance des droits des Indigènes, premier président de l’Union Calédonienne. Il sera l’un des deux premiers ministres kanak du gouvernement territorial et jouera un rôle majeur». Et puis, un jour, il deviendra le premier Kanak élu député de la République française. Pour l’historien Olivier Houdan, c’est là que, déçu par le manque de dialogue avec ses collègues de l’Assemblée nationale, avec les ministres successifs, il évoluera inexorablement du désir d’autonomie à la volonté affichée d’indépendance… Avant de passer le flambeau à la jeune génération.
Discret, Roch Pidjot a laissé peu de traces de lui en images, il a par contre écrit toute sa vie et mis de côté des documents précieux… Personnels, politiques, mais aussi émanant de la chefferie de La Conception. Ces derniers sont fort rares souligne l’archiviste Ingrid Waneux Utchaou. Ce trésor de mémoire se trouve aux archives Territoriales et attend à bras ouvert les plus jeunes qui éprouveraient le besoin de voyager dans le temps pour mieux comprendre le présent…
Le mot du réalisateur
LE REEL MERVEILLEUX
Le titre du film, je l’ai vu naitre lors d’une interview.
Nous étions monté toute l’équipe pour rencontrer Jean Pierre Aifa, un des collaborateurs de Pidjot lors de l’autonomie de la Nouvelle Calédonie entre 1960 et 1970. Aifa comme Pidjot siégeaient à l’Assemblée territoriale et lors des tournées de Pidjot en brousse ils partaient tous les deux rencontrer les tribus. « Autour d’un feu le soir, Roch Pidjot écoutait, il parlait peu. C’était son rôle de chef : il devait écouter comme l’avait déjà fait avant lui son père Joseph. » nous disait Jean Pierre Aifa
Tout à coup, l’arbre au dessus de Jean Pierre a été traversé par un alizé, les feuilles ont bruissé , la branche a craqué et Aifa souriant a dit « ça c’est le vieux Pidjot »
Ce souffle qui reste dans le vent, c’est celui de cet homme droit qui a traversé le 20 ème siècle avec la dignité du chef de clan qui écoute, note sur son cahier d’une belle écriture régulière et calligraphiée et fait la synthèse des propositions pour les faire avancer.
C’est au fil des années, quand il n’a plus eu l’espoir que son désir d’autonomie par la loi et le droit se concrétise qu’il a laissé son poste de président de l’UC et du FLNKS à Jean Marie Tjibaou plus jeune et plus entreprenant.
A la mort de Jean-Marie Tjibaou, à la mort de sa femme Wawa fondatrice de l’actuelle association du souriant village mélanésien, le souffle de la tristesse va s’engouffrer dans son cœur et dans son écriture jusqu’à l’emporter.
Mais les feuilles aujourd’hui bruissent encore du souffle de la dignité de Roch Pidjot.
UN NOM UN LIEU
En Nouvelle Calédonie dire un nom c’est comme tirer la longue branche d’un arbre généalogique complexe.
Les Pidjot sont issus d’une tribu du nord de Pouebo. Ils se sont convertis à la religion catholique et ont fondé sous la houlette des pères maristes une mission à la Conception. L’administration coloniale avait en effet attribué aux pères une concession où s’était installée cette mission.
Joseph Pidjot fils de chef, s’est marié avec une orpheline blanche. Cède-t-il à l’envie des pères de voir une société mixte ou au désir de s’approprier avec ce mariage de la force des blancs pour mieux les combattre. Il ne nous reste de cette union que cette surprenante photo où on voit la famille métisse avec deux de leurs enfants Roch et Philemon.
Roch deviendra le chef de la Conception et se mariera avec une fille du chef Wamytan de la tribu de Saint Louis surnommée Wawa. A leur tour ceux ci auront des enfants, des petits enfants.
Connaître la tribu de la conception c’est être en relation avec les premières familles kanak de chef qui ont pris leur place politique dans le paysage de Nouvelle-Calédonie dès l’arrivée du droit de vote en 1956, chefs formés par les missions catholiques maristes de la Conception et de Saint Louis.
L’ OMBRE ANONYME DE L’INDIGENAT
Depuis sa naissance en 1907 à 1946 que savons-nous de Roch Pidjot et du régime auquel il était soumis à la mission de la Conception comme indigène ?
Quel jeune était-il ?
La première photo que nous ayons de Roch Pidjot c’est à l’âge de 39 ans quand il devient président de l’uicalo association catholique portée par l’église qui a été fondée pour promouvoir le peuple kanak et empêcher l’idéologie communiste de s’implanter dans les tribus.
-Il savait lire et écrire chose rare pour les kanak qui n’ont eu accès à l’école obligatoire qu’en 1956.
-Il était et est resté catholique : on a retrouvé des images de Saints au milieu des cahiers de notes qu’il tenait.
- On a noté sa profession sur son bulletin de vote à l’uicalo : agriculteur.
-Il était chef de la tribu aussi et devait payer l’impôt de captation ou choisir quels hommes de sa tribu s’acquitteraient en journées de travail de l’impôt de captation si celui ci n’était pas payé en espèces. C’était alors le régime de l’indigénat qui n’a terminé qu’en 1946
Mais il n’était pas qu’agriculteur ou chef de sa tribu car Il savait conduire des voitures en 1946 et emmenait les sœurs de st Joseph de cluny de St Louis à Nouméa.
Réalisation : Marina Paugam et Jean-Michel Rodrigo
Production : AVcom - Bonobo productions et France Télévisions
Durée : 52 minutes