Gilles Dagneau s'intéresse à l'histoire de la Nouvelle-Calédonie à travers le cinéma...
En Nouvelle-Calédonie, le cinéma se fait rare. Entre 1931 et nos jours, seuls quatre cinéastes s'y sont aventurés : Jean Mugeli, le premier, réalise Visions Australes à Lifou, avec la participation de la chefferie Boula. En 1960, le réalisateur Georges Péclet, une équipe technique, des comédiens débarquent de Paris pour tourner L'Espionne sera à Nouméa. En 1989, Marie-France Pisier revient sur les lieux de son enfance pour filmer Le Bal du Gouverneur. Enfin, pendant dix ans, Mathieu Kassovitz prépare un film sur les événements d'Ouvéa, sans pouvoir le tourner sur place. Des films mal aimés, mal compris ou censurés, des films oubliés, des échecs artistiques ou commerciaux. Au final quatre mésaventures cinématographiques.
Mais aujourd'hui, que nous apprennent ces films sur la Nouvelle-Calédonie ? Quelle image du pays ont-ils donné à l'extérieur ? En quoi les calédoniens se reconnaissent ou non dans ces films ? En quoi sont-ils le reflet de leur époque ?
En prenant appui sur de nombreux entretiens et des archives rares, Aventures dans les îles tente de répondre à ces questions. Avec sérieux... et humour !
Réalisation : Gilles Dagneau
Montage : Valérie Pasteau
Musique : Xavier Roux
Mixage : Paul Evrard
Truquiste : Armel Le Gall
une co-production de
NC 1ère / France télévisions
Patrick Durand Gaillard
aaa production
Matthieu Lamotte
Durée : 52 minutes
Réalisateur, scénariste, Gilles Dagneau a débuté comme rédacteur à La Revue du Cinéma et aux Fiches de Monsieur Cinéma.
Il est l’auteur de deux biographies, l'une sur Dustin Hoffman parue en 1981 et l'autre sur Ava Gardner, publiée chez Gremese en 1984 et parue aux Etats-Unis en 2003.
Chef monteur pour la télévision depuis 2001, il a séjourné dix ans en Nouvelle-Calédonie et trois ans en Polynésie. La Nouvelle-Calédonie lui doit notamment « Tjibaou, la parole assassinée ?» (1998) « Tjibaou, le pardon » (2006), « Le Gendarme Citron » (2008) et «Renzo Piano, le chemin kanak » (2008). Entretien avec un As du scénario.
Comment avez-vous eu l'idée de ce film ?
Au début des années 90, j'avais mis de côté un extrait du journal de la Société des Océanistes dans lequel le père O'Reilly analysait un film, Visions Australes (ou Rapt dans la jungle), qui avait été tourné à Lifou, au début de l'année 1931. Ça m'avait intrigué et je me suis toujours dit qu'il y avait peut-être là un début de matière. Je venais d'arriver en Nouvelle-Calédonie et j'avais un peu suivi le tournage du « Bal du Gouverneur » de Marie-France Pisier. Ensuite, j'ai découvert L'Espionne sera à Nouméa, grâce à l'affiche qui se trouve dans le hall du cinéma de La Foa. Et puis, il y a eu L'Ordre et la Morale qui a beaucoup fait parlé. J'ai eu l'idée de réunir ces films qui correspondent à quatre époques différentes, à quatre styles de cinéma (le film ethnographique, la série B, le film d'auteur et le film politique), de balayer et l'histoire de la Calédonie et l'histoire de la Nouvelle-Calédonie.
Il y a eu d'autres films, Louise Michel par exemple ?
Je me suis limité aux films cinéma sortis en salle, réalisés par des métropolitains : à ma connaissance, il y en a eu quatre.
C'est un peu la suite du gendarme Citron ?
Si vous voulez, parce que ce sont également des aventures cinématographiques en Nouvelle-Calédonie. Sauf que Citron fait des films d'amateurs. Là, il s'agit de films réalisés pour le cinéma. Et ça change tout. Parce que il y a des enjeux financiers. Et bien souvent, en tous cas pour les deux premiers films, les réalisateurs se conforment aux idées reçues sur le Pacifique, lequel se limite à Tahiti.
Vous faites le parallèle entre la Nouvelle-Calédonie et Tahiti.
La Nouvelle-Calédonie, en matière de cinéma, est moins bien lotie que la Polynésie. A l'époque de Tabou et du Bounty, la Nouvelle-Calédonie n'inspire rien d'autre que le modeste Visions Australes et L'Espionne sera à Nouméa. C'est moins prestigieux.
Pourquoi ?
Parce que la Nouvelle-Calédonie fait moins rêver, même encore aujourd'hui.
Quel intérêt alors de parler de ces films ?
L'intérêt est qu'aujourd'hui le décryptage de ces films, pas forcément bons, nous renseigne sur l'époque. Les films de Citron ne sont pas représentatifs de leur époque puisqu'ils qu'il sont « exceptionnels » : Citron était le seul à faire ça. Alors que L'Espionne sera à Nouméa correspond à l'esprit de la période post-coloniale (et encore plus le documentaire qui l'accompagne : Nouvelle-Calédonie, terre de soleil, qui vaut vraiment le détour !). Et donc, on s'aperçoit qu'un mauvais film devient, avec le temps, aussi intéressant et précieux qu'un bon film. Quand Christiane Terrier décrypte les images de L'Espionne, c'est très intéressant : le film est devenu un document d'étude historique. A cela s'ajoute l'affectif et l'anecdotique, les souvenirs que suscitent la (re)découverte d'un film. Je m'en suis rendu compte au festival du cinéma de la Foa quand on a présenté le film en juin 2014 : le public était ravis.
D'où vient le titre Aventures dans les îles ?
C'est le titre d'un feuilleton américain qu'on regardait quand on était gosses : les aventures du capitaine Troy, basé à Tahiti et qui naviguait dans les eaux bleues du Pacifique à bord de son voilier, le Tiki. Vu de Paris, ça nous faisait rêver. On avait droit à tous clichés, on adorait !
-Vous avez reconstitué quelques scènes de Visions Australes à Lifou ?
Oui, parce que je n'ai pas retrouvé de copie de ce film. C'est Stéphane Piochaud qui joue le rôle du réalisateur Jean Mugeli. J'ai toujours eu envie de travailler avec Stéphane. Je l'ai connu quand il avait 17 ans, au lycée La Pérouse, il était dans la section audiovisuelle. Il jouait déjà dans les films de ses camarades et je l'avais remarqué. J'ai voulu lui donner un rôle dans Prisonnier du soleil, mais il n'était pas libre. Je n'ai pas eu besoin de beaucoup le diriger, car il était bien tout de suite. Heureusement, car je tournais seul, aidé par Gilles Donneger à la régie et Sophie Eugène aux costumes.
Dans la seconde partie du film, on change de ton.
Il y a un ton et une esthétique pour chaque partie du film qui correspond à l'époque traitée. Dans la seconde partie, on arrive à l'époque des événements. Et donc à une époque plus douloureuse. Mais il ne s'agissait pas de traiter des événements, comme je l'ai fait dans certains de mes précédents films. Pour Le Bal du Gouverneur, j'ai axé le propos sur l'incongruité qu'il peut y avoir de réaliser un film au sortir d'une époque aussi troublée. Je suis bien placé pour dire que quand on réalise un film, on est dans sa bulle, on pense que c'est la chose la plus importante au monde. Pour L'Ordre et la Morale, les polémiques autour du film sont juste évoquées. J'ai préféré consacrer une longue partie à Iabe Lapacas, l'acteur originaire de Lifou, qui donne la réplique à Mathieu Kassovitz. Et boucler la boucle, depuis le premier acteur kanak à Lifou en 1931, le grand chef Cakiné Boula.
Vous rencontrez autant de difficultés dans vos tournages que les metteurs en scène dont vous parlez ?
Je travaille dans un registre plus modeste. Mais je me sens très à l'aise à tourner en Nouvelle-Calédonie. Il y a une disponibilité des gens qu'on ne rencontre pas ailleurs. Et on peut improviser très vite quelque chose qui tient la route. Il y a un gros potentiel, des talents et beaucoup d'envies.