Comment est né le projet du film ?
Ben Salama et Thomas Marie : Depuis notre film Naissance d’une nation en 2013, nous avons toujours continué à suivre l’actualité de la Nouvelle-Calédonie. Comme vous le savez, la tribu de Saint-Louis fait souvent la « Une » de la presse par les faits divers, les actes de violence qui y sont. Il nous a semblé, par les commentaires que nous lisions sur ce qui se passe sur place, que Saint-Louis est un enjeu pour la société néo-calédonienne. Dans tout ce que nous avons pu lire sur le sujet, jamais la parole n’avait été donnée aux jeunes de la tribu. Les jeunes, dans leur ensemble, étant souvent jugés responsables des agissements d’une petite minorité. Beaucoup d’habitants de Saint-Louis souffrent de cette situation. Nous avons donc décidé de nous y rendre pour voir, comprendre et tenter de restituer une part de vérité, même si cela est forcément complexe.
Pour la première fois, un documentaire est tourné au sein de la tribu de Saint-Louis. Comment les jeunes ont-ils vécu la liberté de parole face à la caméra ?
B. Salama et T. Marie : Il faudrait leur poser la question pour le savoir. Pour notre part, nous ne voulions pas de censure, car nous souhaitions que toutes les questions soient abordées. Les jeunes qui ont témoigné devant notre caméra ont accepté de parler de tous les sujets, même les plus sensibles.
Comment perçoivent-ils l’avenir de la Nouvelle-Calédonie ?
B. et T. Marie : Comme dans n’importe quelle communauté humaine, il y a, chez les jeunes de Saint-Louis, une diversité de sensibilités, d’opinions. Néanmoins, on peut dire qu’il y a un désir d’indépendance, avec pour certains des craintes, des peurs, face à un avenir incertain.
Y-a-t-il eu des moments de tension pendant le tournage ?
B. Salama et T. Marie : Nous n’avons jamais eu de tensions au sein de la tribu. Avant de commencer le tournage, nous avons pris le temps nécessaire de voir les uns et les autres, les autorités coutumières, des jeunes en groupe ou individuellement. Pour nous présenter et demander l’autorisation de travailler librement au sein de la tribu. Nous avons également montré notre film Naissance d’une nation pour donner un exemple de notre travail, de notre démarche.
Nous sommes restés 6 semaines. Durant cette période nous avons circulé presque chaque jour dans la tribu, sans aucune tension ou incident quelconque.
Comment se sont établies les relations de confiance avec les acteurs du film ?
B. Salama et T. Marie : Par le dialogue, la discussion ; c’est la moindre des choses lorsque des personnes acceptent de livrer une part d’eux-mêmes.
Avez-vous une appréhension sur la façon dont le public va réagir après la diffusion du film ?
B. Salama et T. Marie : A chaque fois que nous terminons un film, nous appréhendons la manière dont il sera accueilli. On se souvient des reproches que certains nous faisaient sur le titre de Naissance d’une nation. Selon eux, nous n’avions pas le droit de parler de "nation" concernant la Nouvelle-Calédonie, alors que notre film ne prenait nullement position pour ou contre l’indépendance. Aujourd’hui, ce documentaire réalisé en 2013, est souvent cité comme un film de référence sur la Nouvelle-Calédonie.
L’ambition de Saint-Louis, une histoire calédonienne est de raconter la vie de cette tribu, au travers des paroles de plusieurs jeunes. Nous savons à quel point l’évocation de la tribu de Saint-Louis peut créer des crispations. Mais nous espérons que ce film sera un moyen de créer une opportunité de dialogue entre les habitants de la tribu et ceux de l’extérieur. Y compris ceux qui ont pu subir des violences. Vous remarquerez que n’avons pas cherché à cacher ou gommer des réalités violentes. Il y a parfois du ressenti chez ces jeunes que certains peuvent contester. Mais le ressenti est souvent moteur de quelque chose dont il faut tenir compte, si on veut trouver une solution. A moins qu’on ne veuille pas trouver des solutions au défi posé à toute la société calédonienne.
Quelle est l’histoire de la tribu de Saint-Louis ?
B. Salama et T. Marie : Saint-Louis est une tribu qui s’est constituée autour d’une mission catholique au 19ème siècle. Au fil du temps, elle a accueilli des Kanak venant d’autres tribus du territoire, soit parce qu’ils venaient travailler à Nouméa, soit parce qu’ils ont été déportés par l’administration coloniale ou chassés par d’autres Kanak lors des guerres tribales. Cette tribu avait également accueilli d’autres populations non kanak.
Thomas Marie
Ben Salama