Vous êtes le premier homme de votre famille à avoir obtenu le baccalauréat, comment êtes vous perçu dans la tribu depuis ?
Ambroise Kamodji : Mon père et toute ma famille sont fiers. Dans ma famille, nos papas et nos mamans n'ont pas pu avoir les moyens pour continuer après l'école primaire. Mon père a occupé différents métiers pour que je puisse faire des études. Mon baccalauréat a été vécu comme un honneur pour notre famille. Cela a montré aussi que la réussite sociale est possible pour nous, Nos papas ont rangé des boîtes de sardines dans les magasins et aujourd'hui, moi leur fils, j'ai un baccalauréat !
Au sein de la tribu, je fais partie de ces exemples positifs pour mes pairs. Pour les plus jeunes, j'incarne la preuve qu’il est possible de réussir. Car si j'ai pu le faire, eux aussi le peuvent.
Qu’est-ce que ça veut dire « avoir réussi » ?
A. K : C'est d'avoir accompli un parcours qui m'a sorti des pièges liés à mon contexte de vie comme l'isolement et l'enfermement dans la tribu, la pauvreté sociale, intellectuelle, culturelle et financière, de ne pas être tombé dans la délinquance, et de ne pas reproduire le schéma de violence qui subsiste là où j'ai grandi.
C'est accomplir des actes positifs et constructifs en essayant d'être courageux et de faire le bien, que ce soit dans ma propre maison et au sein de ma tribu. De pouvoir montrer aux miens que tout est possible si on reste persévérant, travailleur, humble et respectueux.
Pensez-vous que les jeunes de Saint-Louis, « les petits frères », entendent votre discours et ont envie de se reconstruire ?
A. K : Oui, certains "petits frères" ont déjà fait un travail sur eux même et ont pris conscience de certaines choses afin de transformer leur propre vie. Mon discours rejoint le discours de mes aînés qui m'ont toujours encouragé à ne pas faire comme eux.
Ils sont beaucoup à s’investir au sein de à la tribu pour accompagner et aider les "petits frères" à ne plus gâcher leurs vies. Ils ne sont pas médiatisés mais ils sont nombreux à œuvrer en silence pour que les choses changent positivement à Saint-Louis.
Les faits divers à répétition commis par des membres de la tribu sont-ils liés à l’histoire de Saint-Louis ?
A. K : Non. Les faits divers à répétitions ont des origines différentes et isolés.
Selon vous, quelle vision faudrait-il donner à l’indépendance ?
A. K : Ma vision de l'indépendance est la suivante : continuer à vivre ensemble dans notre pays, dans le respect de la place et de l'histoire de chacun.
Je souhaite une indépendance qui se prépare sereinement avec un projet de construction clair dans tous ses aspects (éducation, économie, santé, diplomatie, sécurité, culture...)
Nous devons nous inspirer des modèles de développement des pays qui réussissent à apporter prospérité et bien vivre à leur peuple et ne pas commettre les mêmes erreurs que certaines grandes nations.
Il est important que nous ne fassions pas du "copier coller" des lois ou du système administratif français. Mais que nous puissions créer notre société avec ses propres valeurs et une manière de fonctionner qui est la nôtre.
Pour moi, l'indépendance de mon pays c'est réussir à exister, en gardant ce qui fait notre identité, dans ce vaste monde géo-politisé.
Ambroise Kamodji est originaire de Saint-Louis et habite à Koné dans l’ouest de la Nouvelle-Calédonie.
Il est aujourd’hui éducateur spécialisé et a travaillé pendant deux ans auprès des jeunes de la tribu dans une association travaillant à la réinsertion sociale.