Bilan de la 19e édition du Festival du Film Océanien (FIFO)

Entretien avec Walles KOTRA

« Notre festival peut être visible du monde entier »

Walles Kotra, directeur régional de Nouvelle-Calédonie La 1ère, et cofondateur du FIFO, revient sur cette 19e édition du festival : l’une des plus importante pour lui. Le présentiel, le numérique et faire résonner des paroles océaniennes fortes : "c’est là, l’avenir du festival", explique-t-il.

En tant que cofondateur du FIFO, quel regard portez-vous sur les 19 dernières années ?

C’est une longue route mais j’ai envie de m’arrêter sur la 19e édition car avec la 18e édition, ce sont des années particulières. De toute notre histoire, nous n’avons jamais vécu de drames comme nos pays ont vécu avec le Covid. Des gens qui partent mais dans des conditions extrêmement difficiles, une maladie qui fracture les familles, les villages, les pays. D’ailleurs certaines îles du Pacifique ne sont toujours pas accessibles ! Ce qui est complètement contraire à la vision que nous avons de nos régions. Ce qui est important de ce 19e FIFO est de tirer les leçons de tout ça. Finalement, il ne faut pas banaliser ce FIFO, c’est peut-être un des plus important.

Que peut-il avoir comme impact sur cette situation ?

Nous avons essayé de réagir et de continuer les choses. Il faut préserver le présentiel ici. C’est très important que des Océaniens se rencontrent et partagent avec les gens du monde. Même si on a moins de monde, essayer de rendre plus forte cette rencontre. Il faut également développer le numérique. Tout d’un coup, notre festival peut être visible du monde entier. Il faut s’organiser pour ça, il y a des stratégies à avoir mais je pense qu’on peut multiplier par deux, même par trois. 

Aujourd’hui, ce n’est pas visible encore du monde entier mais de la métropole, des Outre-mer, du Pacifique…

C’est déjà pas mal, il faut poursuivre. C’est un axe de développement. Il faut aussi dire des paroles fortes sur notre région. Les images des documentaires ne suffisent pas pour dire l’Océanie. Cette parole forte doit être partagée, à la fois en présentiel et dans toute la région. Dans des situations difficiles comme celle-ci, on a besoin de retrouver le sens des choses. Il faut maintenir le feu en présentiel, que les braises ne s’éteignent pas, développer le numérique et réfléchir à des paroles qui ont du sens. Nous ne sommes pas seulement un festival audiovisuel.

Maintenir le présentiel malgré le manque de public à la Maison de la culture cette année ?

Mais c’est normal ! Il faut tenir compte du contexte. Il ne sera jamais question d’arrêter le présentiel. Il ne faut pas le voir uniquement sous le nombre d’entrées. L’intervention à Brest du ministre Heremoana Maamaatuaiahutapu, du président Édouard Fritch et du président du Forum des îles du Pacifique (au One Ocean Summit, ndlr) : pour nous, c’est le FIFO aussi ! C’est la parole océanienne qui se partage.

Le Covid a fracturé la société mais il a aussi déclenché ce FIFO numérique.

A partir du moment où on a été secoué, on s’est demandé comment faire. Finalement, on a créé le FIFO numérique et on s’est rendu compte qu’on arrivait à nos objectifs de départ : toucher le monde entier et ça a une valeur économique.

Pourquoi ne pas l’avoir lancé avant ?

Le FIFO marchait bien, on continuait… Il n’y avait pas eu cette réflexion, il a fallu qu’on soit le dos au mur. Ce 19e édition est un des FIFO les plus importants. On est capable de résister, de réfléchir et de redéfinir des stratégies. Ça nous interpelle aussi sur notre manière de fonctionner. On sort du Covid transformé. Dans nos îles, après un cyclone, on est plus fort. Cette crise est dure, pour tous les Océaniens, mais elle nous a permis de nous refonder et finalement, on est revenu aux fondamentaux de l’événement : il faut porter la parole de l’Océanie et aller à la rencontre des autres.

Le FIFO avait cet objectif de partager la parole et montrer la vie réelle de l’Océanie, est-ce que ce but est atteint ?

Il y a plusieurs thématiques qui ont émergé. Je me souviens du documentaire Mahu, l’efféminé au premier FIFO, qui englobait toute la réflexion sur le genre dont on parle beaucoup aujourd’hui en Europe. L’environnement bien sûr, le nucléaire, un sujet où il y avait beaucoup de non-dits, ça a ouvert la parole et aidé à faire évoluer les choses. Je crois qu’il y a un véritable impact sur la société.

Qu’est-ce qui se prépare pour la 20e édition ?

Un séminaire est prévu pour préparer les 20 ans du FIFO lors duquel nous allons déterminer les grandes lignes de la 20e édition en réfléchissant pour les dix prochaines années.

Comment cette idée est née avec Heremoana Maamaatuaiahutapu ? C’est autour d’un verre ou d’une réunion plus officielle ?

Les verres ont été importants (rires) ! On assistait tous les deux, dans nos établissements respectifs, la Maison de la culture pour lui et RFO Polynésie pour moi, à l’arrivée des bouquets. Il faut se rappeler qu’à cette époque-là, on voyait arriver plein de chaînes et nous étions noyés dedans. On ne voyait plus nos îles du Pacifique, on était en train de disparaître. Ça renvoyait à la psychose de nos anciens sur les tsunamis. Peut-être que nous allions disparaitre mais alors nous voulions rester debout ! Au départ, c’était artisanal. Petit à petit, les chaînes ont ouvert des cases spécifiques aux documentaires océaniens. Les FIFO hors-les-murs ont été très importants dans l’évolution de l’événement : nous avions autant, voire plus, de participants qu’au FIFO. Nous avons essayé de porter nos idées partout. Au départ, on n’imaginait pas l’ampleur que ça allait prendre. On sentait les choses mais on ne savait pas trop. Lorsqu’on a vu 10 000 personnes au premier FIFO, on a été étonné ! On pensait que la fiction était populaire, pas vraiment les documentaires, et on s’attendait à un public de spécialistes. Finalement, c’est la population qui a imposé le FIFO.

D’où vous vient cette passion du journalisme, de la télé, du documentaire ?

Je ne sais pas… Sans doute parce que je viens d’une petite île, une des plus petites îles habitées du Pacifique. À Tiga, il y a 150 personnes. Quand je suis parti de Tiga, je découvrais le monde. C’est l’histoire des gens des îles qui sont toujours partagés entre leurs racines et l’horizon. C’est notre histoire océanienne. Il y a aussi beaucoup de hasard, les rencontres… Hervé Bourges, le président du jury du premier FIFO, était mon professeur à l’école de journalisme. Et chemin faisant, ça m’a passionné. J’ai rapidement compris qu’on ne pouvait pas expliquer nos sociétés complexes en 1 minute 30, d’où la place du documentaire, qui offre un temps plus long et permet de montrer des morceaux de vie.

Vous partez à la retraite à la fin du mois de mars, qu’allez-vous faire ?

Je vais retourner à Tiga, je reviendrais au FIFO, j’y participerai toujours, mais pas de la place où je suis aujourd’hui mais de ma nouvelle place : habitant de Tiga, pêcheur de picots et planteur d’ignames ! Je plaisante mais je veux retourner à Tiga et y passer du temps. Je ne vais pas m’enfermer là-bas, on n’enferme jamais un Océanien ! Je n’ai pas de projets particuliers, il faut avancer, mettre un pas devant l’autre et faire ce qu’on estime à la fois beau et utile.

Propos recueillis par Lucie Rabréaud – FIFO

Le FIFO : « un rendez-vous nécessaire »

Si la fréquentation a été moins forte que d’habitude à la Maison de la culture, la plateforme Internet du FIFO a compté de nombreuses connexions. « Nous avons eu moins de public mais nous sommes heureux d’avoir tenu cette session en présentiel. Le FIFO est un rendez-vous nécessaire », affirme Miriama Bono, présidente de l’AFIFO. D’autant que les rendez-vous des conférences et des débats ont eu du succès, preuve que les thématiques choisies correspondaient aux attentes des professionnels et du public. Le manque de public dans les allées de la Maison de la culture est dû à plusieurs choses pour Miriama Bono : « Les restrictions sanitaires qui ne facilitent pas les déplacements des gens, on a vu ça sur tous les événements dont l’entrée était soumise au pass sanitaire ; il y avait aussi beaucoup de gens malades. » En effet, l’épidémie était et est encore en pleine expansion. Heureusement, la plateforme numérique a tenu toutes ses promesses et compense le manque de public : « Nous avions été surpris l’année dernière du succès de l’édition numérique mais il s’est concrétisé cette année. Les gens commencent à être habitué aux plateformes, ce sont de nouveaux modes de consommation de l’audiovisuel, dans lesquels le FIFO s’engouffre. Beaucoup de gens ont fait ce choix cette année, car c’était plus confortable pour eux. » Pour Mareva Leu, la déléguée générale du FIFO, « c’était un défi de faire les deux en même temps : présentiel et numérique. Nous sommes satisfaits car nous l’avons fait ! C’était un véritable tour de force. Nous n’avions pas vraiment de prétentions car on est encore dans l’inconnu. Nous voulions voir ce que cela peut donner. » Une réussite car tout le Pacifique s’est connecté au festival : le Vanuatu, les Tonga, Fidji, l’Australie, Samoa, Papouasie-Nouvelle-Guinée… Les chiffres doivent être affinés pour connaitre les usages de ces internautes : « On est vraiment très content de ça. D’autant que ça a toujours été compliqué de toucher le Pacifique car on baigne dans un environ anglophone et nous faisons quasiment tout en français. Le fait que la notoriété du festival dépasse ces frontières-là, répond aux objectifs du FIFO et ça nous ouvre d’autres perspectives », explique Mareva Leu. Le FIFO ne se fera sans doute plus jamais sans la plateforme numérique mais pas question pour autant de renoncer au présentiel : « Par exemple le film sur les GI a attiré des descendants de ces militaires, qui sont venus voir le documentaire et se sont rencontrés. Ils se sont réunis, ils ont échangé des photos, c’était très touchant, le réalisateur du film a discuté avec eux et a décidé de faire une suite. C’est ça que le présentiel permet : des rencontres », estime Miriama Bono. Un séminaire qui se déroulera en mars doit permettre de réfléchir à l’avenir du FIFO et surtout d’anticiper l’organisation de la 20e édition de l’année prochaine.

 

Crédit photo : Lucie Rabréaud

 

Stéphanie Moulin
Responsable de Projet et d'Actions de Communication Nouvelle Calédonie la 1ère