Quelle est l’impulsion qui génère généralement chez vous l’envie de créer et d’écrire le scénario d’une série ? Quelle a été celle à l’origine de Double Je ?
Camille Pouzol : Il n’y a jamais de schéma identique, et heureusement ! On s’engage sur des séries parce que le sujet nous touche, parce que l’équipe nous plaît, parce que le genre nous met au défi, pour un coup de foudre sur un personnage, à cause d’un détail infime de l’histoire parfois… pour mille raisons différentes. Jusqu’ici je n’avais jamais eu « ma série », je n’avais jamais été « showrunneuse », comme on ne dit pas ici justement ! J’avais travaillé comme scénariste sur les projets des autres, et même en étant très impliquée, ce n’est pas du tout la même chose. Pour Double Je, à l’origine, c’est l’idée originale du producteur Stéphane Drouet. Il m’a proposé de développer ce concept qui m’a plu tout de suite. Ensuite, j’ai créé tout ce qui allait devenir la série en elle-même.
Comment vous est venue l’idée de l’ami imaginaire ?
C. P. : C’est donc Stéphane Drouet qui est venu me voir en me proposant de travailler sur une idée : un procédural « fun », dans lequel une flic enquêtait avec son ami imaginaire, Jimmy. Un nouveau partenaire débarquait dans ce duo un peu spécial et… comment ce trio allait-il fonctionner ? J’ai tout de suite adoré ce projet que je trouvais à la fois innovant et malin, mais avec une dimension « merveilleuse », enfantine, à laquelle je me suis tout de suite particulièrement attachée. D’abord on a réfléchi à trois, avec Lionel Olenga (créateur/showrunner de Chérif) et Stéphane… Les débuts, les discussions à bâtons rompus que nous avons eues, je ne les oublierai jamais, c’est là que tout a commencé ! Puis, disons que les deux garçons ont senti que je plongeais corps et âme dans cette série et ils m’ont laissée faire. Une si bonne idée, c’est un cadeau magnifique pour une scénariste. Mais ce qui a été encore plus bluffant pour moi, c’est la liberté totale avec laquelle on m’a laissée m’approprier à 100 % les choses. Créer véritablement les personnages, la backstory, l’univers, le ton, etc. Et ce bien après l’écriture… Je participe à chaque étape, avec le producteur, le réalisateur et, bien sûr, la chaîne : casting, choix des décors, des costumes, des techniciens, des accessoires… Puis je suis présente sur le plateau et, après, au montage, au mixage, aux écoutes musique, à l’étalonnage. J’ai vu chaque épisode environ cinquante-six fois… Surtout, j’ai compris le boulot hallucinant que c’était et que tous les (bons) producteurs se coltinent sur chaque série. Respect. Il est clair que je n’ai jamais autant donné à un projet !
L’inventer, était-ce une façon de rendre hommage à votre – potentiel – ami imaginaire, à la part d’enfance qui habite les adultes ?
C. P. : Je suis une enfant unique, qui a toujours adoré les « histoires », en inventer, en entendre et, très vite aussi, en écrire. J’ai eu moi-même plusieurs amis imaginaires, et la fiction, la passion pour le merveilleux, jusqu’au déni de réalité, a toujours fait partie de moi. L’imagination est le seul super-pouvoir que tout le monde possède. Pourquoi rêver de super-héros ? Nous en sommes tous, notre imaginaire est surpuissant. Les enfants le maîtrisent souvent parfaitement, et ils en sont fiers, alors que les adultes en ont souvent honte. Dire à un adulte : « Tu as beaucoup d’imagination », honnêtement, ça sonne de manière négative, péjorative, pas loin de « Tu es cinglée » ! En revanche, le dire à un enfant, c’est un compliment… Et c’est pour ça que le concept de l’ami imaginaire est toujours lié à l’enfance. Normalement, ce genre de manifestation disparaît en grandissant, on dit « lors de la sociabilisation » en gros, quand les autres commencent à se mêler de votre vie ! Mais pas chez mon héroïne. Déa a 40 ans, c’est une adulte accomplie : bonne flic, bonne mère. Mais voilà, elle a toujours ce lien direct avec la petite fille qu’elle était. Grâce à son « Jimmy ». Et c’est ce qui la rend unique à mes yeux. La psychanalyste qui a travaillé avec moi sur ce projet m’a bien dit que de nombreux adultes avaient encore « un ami imaginaire »… et que l’essentiel à ses yeux était qu’ils soient conscients qu’il n’existait pas. Comme Déa par exemple, qui sait parfaitement que Jimmy n’est pas réel…
Pourquoi avoir habillé Jimmy en smoking et l’avoir paré d’une moustache ? Une référence au cinéma hollywoodien des années 1940 ?
C. P. : J’ai écrit Jimmy dès le départ avec ce smoking. D’abord, visuellement, je voulais que ce personnage soit immédiatement identifiable, « à part ». Immuable aussi. Et puis j’ai imaginé quel ami ferait apparaître l’imaginaire d’une petite fille de 6 ans… Et j’ai pensé à James Bond. Sean Connery dans James Bond, tout au début, dans les années 1960. Cette photo en noir en blanc avec son demi-sourire, ce flingue qu’il tient de côté, son smoking. Je me suis dit que le père de Déa, Massimo, devait avoir cette photo de Sean Connery et que Déa avait cristallisé dessus le mythe du héros. Quand elle a eu besoin d’un « chevalier » pour la soutenir, alors c’est cette image qui est apparue. Quant à la moustache, et au look un peu plus Clark Gable, c’est François Vincentelli qui nous l’a proposée spontanément… Et ça lui va très, très bien, non ?
Sa présence est un ressort comique et narratif indéniable. Saviez-vous dès le départ que vous feriez une comédie policière avec une commandante quelque peu « hors norme » ?
C. P. : Stéphane Drouet, le producteur, comme moi avions envie d’un procédural « solaire et joyeux ». Cela fait six saisons que Stéphane produit Cherif et, déjà, cette série est résolument « fun », super cool même, comme le personnage principal ! On est tous les deux fans de Castle, qui réussit si bien à mêler polar et comédie élégante, et qui reste une référence pour nous... Anne Holmès qualifie Double Je de « fantaisie policière » ou de « policier onirique ». Ce sont de super termes, je trouve ! Un genre en soi. Double Je, c’est la série de Déa. Tout y est vu quelque part selon son prisme. Son monde. Et cette femme a décidé de regarder en haut, vers le soleil. Elle est résolument positive. Et ce malgré l’énorme traumatisme qu’elle a subi petite… et qui explique pourquoi Jimmy est apparu. Déa est singulière, c’est certain. Je l’ai imaginée comme le contraire d’une représentation de flic classique. Toujours en mouvement, toujours vive, rapide, piquante… Elle virevolte en robe fleurie, pieds nus, conduit une vieille Alfa rouge (hyper discret, pour une flic !), elle déteste les horaires, son bureau, les procédures, elle oublie sans arrêt sa carte de police ou son arme… Bref, elle est infiniment libre.
Finalement, Double Je est l’histoire d’un trio… C’est d’ailleurs la romance et l’histoire de ce trio qui constituent la trame feuilletonnante de la série.
C. P. : Comme le dit Jimmy : trois, c’est jamais un bon chiffre ! Mais en termes d’écriture, de rebondissement et de dramaturgie, trois, c’est parfait ! Jimmy et Déa peuvent-ils cohabiter avec Matthieu ? Matthieu peut-il comprendre le secret de Déa ? Et surtout, finalement, si Déa parvient à faire confiance et à être heureuse avec un homme « réel », Jimmy devra-t-il disparaître ? C’est l’idée de la baseline : pourquoi choisir entre l’ami de ses rêves et l’homme de sa vie ? Et puis, au départ, ce qui m’amusait, c’était d’imaginer que ce soit la réalité qui perturbe le rêve, et pas l’inverse… L’onde de choc, le bouleversement, vient de l’homme qui existe et non de l’ami imaginaire. Ce n’est pas une fille normale qui tout d’un coup voit son quotidien bouleversé par un événement « surnaturel », c’est une fille qui vit parfaitement bien avec ce monde parallèle, ce merveilleux qu’est Jimmy et qui doit tout remettre en question quand Matthieu Belcourt débarque. Une femme, deux hommes… beaucoup de questions. Double Je, c’est aussi une vraie comédie romantique. Plutôt hommage à l’immense Quand Harry rencontre Sally d’ailleurs, car j’adore l’idée du couple improbable. C’est ça la vie... RIEN ne va, mais bim, tu tombes amoureux. J’adore ce genre d’histoire bordélique, où on ne cesse de se dire « Ça va jamais le faire tous les deux »… Et puis j’avais envie de parler de l’homme rêvé, le fantasme du prince charmant, face à la réalité, l’homme réel. On est très exigeant en amour, beaucoup trop à mon goût, et souvent par peur. On ne peut pas façonner un autre être humain à notre goût. Il faut prendre le risque de se jeter dans le vide et de « tomber »… amoureux.
Les intrigues policières nous mènent dans des milieux très variés (tatouage, cabinet d’avocats…), comment pensez-vous les enquêtes ?
C. P. : D’abord, on est certes dans de vraies enquêtes, mais on s’interdit le trop sombre, le trop violent, le trop réel ! On réfléchit selon des axes d’abord humains. Un meurtre, c’est avant tout une histoire puissante. C’est pour cela qu’on essaye que nos personnages « guests » : les coupables, les suspects, les témoins, etc. soient véritablement pensés, écrits, avec de belles trajectoires. À chaque épisode, on bascule dans un univers différent, parmi de nouveaux personnages, qui nous racontent leur histoire en 52 minutes, une mine d’or et un vrai défi pour les scénaristes.
Ce n’est pas pour rien que les séries policières sont de loin les plus appréciées et regardées par le public dans le monde entier. On doit relancer nos dés à chaque épisode. Même si les héros restent et assurent l’identité de la série, l’enquête en cours doit exister à 100 %, sinon tout est raté. On réfléchit aussi nos enquêtes en pensant au côté parfois ludique, souvent mystérieux que peuvent avoir certains meurtres. Tenter de créer un effet « Wow, mais comment ça s’est passé ? », comme dans le pilote, où personne n’est entré ni sorti de l’appartement de la victime pendant plus de trente-six heures…
Les « codes » du genre polar ne me dérangent pas, bien au contraire. L’idée, c’est de les contourner parfois, de les réinventer, de les booster, de les moderniser, bref, de s’approprier les choses. Et grâce au concept, on a notre Jimmy en plus… Un personnage complètement libre. Qui justement n’obéit à aucun code : il fait ce qu’il veut, quand il veut, où il veut et avec qui il veut ! Il apparaît, disparaît, transforme le réel, tout est possible avec lui. L’imaginaire n’a aucune limite, non ?
Vous avez été et êtes comédienne et journaliste. Comment ces deux métiers vous aident-ils dans votre travail de scénariste et de productrice artistique ?
C. P. : J’ai voulu être comédienne, j’ai fait trois ans de formation professionnelle au Cours Simon, mais cela n’a jamais été mon métier. En revanche, j’ai un souvenir absolument fabuleux de cette formation et je pense y avoir appris beaucoup sur le jeu. Journaliste, par contre, je l’ai été longtemps. D’abord critique de cinéma pour le magazine Première, puis pigiste pour de nombreux féminins et enfin je suis arrivée au magazine Elle, où je suis restée pas loin de dix ans. C’est en interviewant Isabelle Camus qu’elle m’a proposé d’écrire pour Un gars, une fille et que ma vie de scénariste a débuté… Écrire a toujours été mon métier, que ce soit un article d’humeur pour Elle, un roman, le portrait d’un joueur de foot pour Bienvenue au Club, l’émission que je coanimais avec Pierre-Louis Basse sur Europe 1, ou… un scénario.
Je n’ai jamais fait de formation de scénariste ou d’école, je n’ai pas vraiment lu de livres cultes sur la manière de construire un séquencier, et peut-être que c’est dommage… Mais, aujourd’hui, toutes ces expériences professionnelles hyperdifférentes m’aident à chaque instant. Sans oublier que je regarde un maximum de séries, mais aussi de making of et d’interviews de créateurs, chefs op, monteurs, réalisateurs… Je ne sais pas pourquoi, mais le côté « coulisses, fabrication, genèse » me passionne. Je peux décortiquer ça pendant des heures. En gros, je me sens riche de vécu et je veux « faire » encore et encore. Ne pas trop théoriser. Alors, je ne fais peut-être pas comme il faut, mais au moins je fais comme je le sens.
Pourriez-vous rappeler ce que vous avez fait pour France 2 ou, plus globalement, pour France Télévisions ?
C. P. : J’ai travaillé en coécriture avec Diane Clavier sur trois épisodes de 90 minutes de la série Drôle de famille avec Christine Citti, Juliette Arnaud, Samuel Theis et Denis Sebbah (le psy de Double Je, qui était déjà psy dans cette série !). Et j’ai coécrit le dernier épisode de la saison 2 de Dix pour Cent, avec Fanny Herrero, Éliane Montane et Jeanne Herry, ainsi que deux épisodes de Cherif (saisons 5 et 6).
Qu’aimeriez-vous que les téléspectateurs retiennent de votre série ?
C. P. : J’aimerais, en gardant sa place de simple série télé, qu’elle leur fasse du bien. Qu’ils se mettent à aimer ses personnages, à aimer les retrouver, à se demander ce qu’ils font quand la télé est éteinte… Et, surtout, j’aimerais qu’ils sourient en se disant simplement : « Tiens, cool, c’est ce soir. »